Des progrès sociaux spectaculaires dans l’ombre de la stagnation économique
Cinquante ans après l’indépendance, les Comores présentent un bilan contrasté qui interpelle. D’un côté, des avancées sociales indéniables témoignent de la résilience du peuple comorien. De l’autre, une économie qui peine à décoller malgré les ressources et opportunités disponibles. Les indicateurs sociaux dessinent un tableau encourageant. En effet, l’espérance de vie a bondi de 49 ans en 1975 à plus de 68 ans en 2023, soit un gain exceptionnel de dix-neuf ans qui place l’archipel dans la moyenne africaine. La mortalité infantile a chuté de manière significative, reflétant l’amélioration progressive du système de santé publique.
L’éducation a connu une transformation tout aussi remarquable. Le taux d’alphabétisation des jeunes dépasse désormais 80%, un chiffre qui indique une rupture qualitative et quantitative avec l’héritage colonial. Ces performances, largement soutenues par les partenaires internationaux et surtout par la diaspora comorienne, prouvent qu’en dépit de l’instabilité politique chronique, l’investissement dans le capital humain a porté ses fruits. Paradoxalement, ces succès sociaux contrastent avec des faibles performances économiques. Certes, le PIB réel a doublé entre 1990 et 2021, attestant d’une capacité de croissance certaine. Mais cette expansion n’a pas bénéficié à la population. En Effet, le PIB par habitant a stagné, passant de 1.285 dollars en 1990 à seulement 1.255 dollars en 2021. Cette quasi-stagnation sur trois décennies révèle un développement économique fondamentalement non inclusif, où une croissance faible se trouve neutralisée par la pression démographique.
Il en résulte donc que 44,8% de la population vit encore sous le seuil de pauvreté en 2020, et l’indice de Gini (33,5) classe les Comores parmi les pays les plus inégalitaires d’Afrique. La structure économique explique en grande partie ces faibles performances. L’économie reste dominée par un secteur informel représentant plus de 60% du PIB, témoignage d’une modernisation insuffisante de l’appareil productif comorien. Le secteur secondaire, traditionnel moteur d’industrialisation, ne pèse que 8% de l’économie en 2022, ce qui traduit un échec patent des politiques de diversification économiques initiées par les différents gouvernements.
Une vulnérabilité économique multidimensionnelle
L’économie comorienne souffre d’une vulnérabilité structurelle qui entrave sa capacité de développement autonome. La dépendance excessive à l’agriculture de rente (vanille, ylang-ylang, girofle : plus de 90% des exportations), bien qu’elle confère au pays une renommée internationale, expose l’économie aux fluctuations des cours mondiaux et aux aléas climatiques. Cette mono-spécialisation agricole limite les opportunités de création de valeur ajoutée et de diversification économique.
Plus préoccupante encore est la forte dépendance aux transferts de fonds de la diaspora, estimés à plus de 120 milliards de FC en 2022, soit plus de 20% du PIB et plus de 200% des recettes publiques internes. Si ces transferts jouent un rôle stabilisateur crucial et contribuent au financement de la consommation des ménages, ils révèlent également une économie incapable de générer suffisamment de revenus pour ses citoyens, contraints à l’émigration massive.
Une telle situation crée un cercle vicieux où l’exode des forces vives prive le pays de ses talents tout en rendant l’économie fortement dépendante de cette fuite des cerveaux. Le chômage des jeunes constitue une véritable bombe sociale silencieuse. Avec près de 50% de la population âgée de moins de 25 ans, les Comores disposent, théoriquement, d’un dividende démographique considérable. Cependant, l’incapacité de l’économie à créer suffisamment d’emplois décents transforme cet atout potentiel en source d’instabilité sociale et de frustrations générationnelles. Ces vulnérabilités socioéconomiques se trouvent exacerbées par les aléas climatiques, lesquels confèrent à l’économie comorienne une fragilité accrue face aux catastrophes naturelles.
Potentiels inexploités : des atouts géostratégiques et naturels considérables
Bien que les défis à relever pour relancer l’économie comorienne soient si nombreux et multiformes, force est de noter que les Comores disposent d’atouts considérables largement sous-exploités qui pourraient transformer radicalement leur trajectoire économique. La position géostratégique de l’archipel au cœur du canal du Mozambique en fait un carrefour naturel des échanges dans l’Océan indien occidental. Les vastes zones maritimes de 160.000 km² recèlent un potentiel halieutique énorme, tandis que les richesses touristiques et culturelles demeurent largement inexploitées. L’intégration progressive à la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) et l’adhésion à l’OMC ouvrent également de nouveaux horizons commerciaux. Ces potentiels, combinés à une diaspora influente et très attachée à son pays d’origine, constituent un socle solide pour une transformation économique structurelle et accélérée.
Vers une stratégie de transformation économique
Pour concrétiser le potentiel économique comorien, plusieurs axes stratégiques devraient orienter l’action publique dans les prochaines décennies. En effet, les autorités compétentes devraient œuvrer pour la modernisation de l’agriculture et le développement de la pêche industrielle. De telles initiatives permettraient de réduire la forte dépendance aux importations alimentaires et par voie de conséquence de renforcer la sécurité alimentaire du pays. L’amélioration de l’environnement des affaires, notamment par la création et l’opérationnalisation d’un Conseil présidentiel des investissements, s’avère cruciale pour rassurer la communauté des investisseurs et attirer les capitaux étrangers, moteurs indispensables de la croissance.
La mise en place d’une Commission ad hoc pour mener une réflexion avancée et proposer aux autorités compétentes des pistes pour orienter la manne diasporique vers des investissements productifs est une autre mesure à prendre en urgence. Le renforcement des capacités humaines et techniques par des programmes de formation adaptés aux besoins de l’économie comorienne s’avère être plus qu’utile pour un développement harmonieux de l’Union des Comores.
Enfin, les élites gouvernementales devraient, également, initier des politiques visant à développer les infrastructures et les énergies renouvelables pour créer les conditions d’une croissance inclusive et durable.
Au-delà des statistiques, l’enjeu central des cinquante prochaines années reste d’offrir à la jeunesse comorienne des perspectives économiques viables sur son territoire national. Les Comores ont prouvé leur résilience politique au cours du demi-siècle écoulé. Il leur faut désormais transformer cette force en prospérité économique partagée. C’est l’avenir d’une génération entière qui se joue dans cette équation de développement. Le défi est certes titanesque, mais les atouts existent. Il ne manque plus que la volonté politique de les mobiliser efficacement au service d’un développement inclusif et durable au profit de toutes les couches sociales, notamment les plus vulnérables d’entre elles.
Dr Abdou Katibou, consultant indépendant