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Aboubacar Ahmed Zaki : «Notre indépendance n’a pas été prise trop tôt»

Aboubacar Ahmed Zaki : «Notre indépendance n’a pas été prise trop tôt»

Société | -

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Ancien militant indépendantiste du Molinaco, Aboubacar Ahmed, alias Abkari, a accepté de revenir sur ses années de lutte, et de nous livrer ses réflexions sur les Comores d’aujourd’hui.

 

En tant que personne qui a vécu la colonisation et qui a milité en faveur de l’indépendance, que répondez-vous aux compatriotes qui estiment que cette indépendance a été prise trop tôt ?
Quand nous étions une colonie, nous n’avions rien. Notre budget était incorporé dans celui de Madagascar. Nous n’avions ni routes, ni hôpitaux, ni médecins, rien. Les fonctionnaires du gouvernement comorien accusaient des retards de paiement, tandis que ceux du commissariat de la République française l’étaient régulièrement. Après 150 ans de colonisation sans rien, nous nous sommes alors trouvés dans l’obligation de demander notre indépendance. Et puis, il ne faut pas se tromper : l’indépendance était voulue par les Comoriens, mais les français aussi n’étaient pas contre. Au début, en réalité, Ahmed Abdallah et Mohamed Ahmed ne la voulaient pas, mais ce sont les français qui les y ont préparés. Les gaullistes surtout, qui étaient les premiers à faire la publicité de l’indépendance comorienne.

Pourquoi dit-on qu’il était trop tôt alors que nous l’avons votée à 90 % pour ?

La question peut être formulée autrement : est-ce que les Comoriens étaient suffisamment mûrs pour se prendre en charge une fois accédés à l’indépendance ?
150 ans de colonie, sans rien gagner, c’est trop. Qu’est-ce que l’on pouvait encore espérer ? Le gouvernement (de Giscard D’Estain, ndlr) avait proposé de la retarder pour pouvoir amorcer un développement des Comores avant de la leur accorder, mais il n’y avait pas de chance de trouver le chemin du développement dans une France minée à l’époque par les querelles au sein de ses élites politiques.

Pouvez-vous nous raconter les moments forts de votre combat de militant indépendantiste ?
Le premier moment fort a été l’arrivée aux Comores du ministre français des Départements et territoires d’outremer, Bernard Stasi. Nos camarades du Molinaco [Mouvement de libération nationale des Comores] nous ont encouragés à organiser une manifestation pour montrer au monde que nous voulions effectivement  l’indépendance. Nous avons donc manifesté avec nos pancartes à Mutsamudu. Des militants proches de l’administration de l’époque nous ont molestés, au point que le ministre lui-même leur a dit de nous laisser manifester, que c’était notre droit. A chaque fois que nous tenions un meeting ou faisions une campagne pour cette cause, nous finissions en prison. Il s’est ensuite passé beaucoup de choses après, mais je suis vieux je ne peux pas toutes les raconter.


Estimez-vous que les militants comme vous, avez obtenu la reconnaissance nationale que vous méritez ?
Nous n’avons eu aucune reconnaissance. Au contraire, nous n’avons récolté qu’insultes et mépris, surtout ici à Ndzuani. A Ngazidja, Mwali ou Madagascar c’est mieux. J’avais déjà été invité à notre consulat de Madagascar à ce titre, et ma fille, lorsqu’elle était étudiante là-bas, avait aussi droit à certains égards dus à mon statut d’ancien militant pro-indépendance. Sinon, nous n’en avons rien bénéficié. Mon premier enfant a eu son bac avec une mention bien et pourtant il n’a même pas eu droit à une bourse d’études. Un autre l’a encore décroché avec une mention très bien, et lui non plus n’en a pas eu. Mais grâce à Dieu tous les deux ont fait des études jusqu’au niveau master II.

Selon vous, les Assises nationales pour les 42 ans d’indépendance, organisées en 2018, ont-elles changé quelque chose dans ce pays ?
Du changement, il y en aura. Ou disons qu’il y en a déjà. Notre problème à nous, Comoriens, nous ne sommes pas des nationalistes. C’est l’intérêt individuel qui compte. Nous aurions dû tous prendre part à ces Assises, même ceux qui sont contre Azali, car celles-ci n’étaient pas à lui. Maurice a fait la même chose et en a récolté les fruits.

Quel regard portez-vous sur ces 45 ans d’indépendance ?
Nous avons pris notre indépendance, et nous nous sommes éduqués. C’est l’éducation qui fait avancer un pays. Maintenant, nos dirigeants doivent construire l’avenir de nos enfants. Il n’est pas normal qu’après des études dans toutes sortes de disciplines, les jeunes diplômés se retrouvent sans rien faire. C’est dangereux. Et cette indépendance est à nous tous Comoriens, mais pas à Ahmed Abdallah, ni Djohar, ni Azali, et donc honorons-la. Nous avons beaucoup gagné en 45 ans, car nous avons des diplômés dans tous les domaines, ici à l’intérieur comme à l’étranger. Il ne manque que des moyens financiers pour booster notre développement. Ne mélangeons pas querelles politiques et intérêt de la Nation, valorisons les compétences des uns et des autres et respectons l’autorité de l’Etat.

Le mot de la fin ?
Allons fêter notre indépendance avec fierté (l’entretien a eu lieu avant le 6 juillet, ndlr). Toutefois j’estime, et cela n’engage que moi, que cette célébration du 6 juillet devrait être strictement militaire, puisque ce jour-là nous avons arraché notre indépendance presque par la force, unilatéralement. Mais la grande fête civile, nous devrions la célébrer le 12 novembre, date à laquelle le monde entier, y compris la France, a reconnu notre souveraineté.

Par Djalali-Eddine Madi et Sardou Moussa 

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