Cet exercice inédit, le premier a être organisé depuis la fin de la crise séparatiste, se voulait pédagogique avec une approche empirique pour mieux comprendre les sources de divisions dans l’archipel et les tentations du séparatisme et leur impact sur la cohésion de la communauté nationale et les politiques de développement. L’idée était de «parler en général des causes des divisions et dégager des pistes pouvant renforcer la cohésion», selon un participant. Mais aussi pour rendre hommage aux artisans de cet accord historique qui a mis fin à la crise séparatiste déclenchée en 1997.
«Repli sur soi»
Quatre personnalités politiques vont, tour à tour, livrer leurs points de vue sur ce processus de réconciliation nationale : l’ancien vice-président et actuel ambassadeur des Comores à Madagascar, Caambi El Yachourtui, les anciens ministres, Houmed M’saidie, Djaffar Salim Allaoui et Milissane Hamdia.D’autres personnalités politiques, comme le président de l’Assemblée nationale, Moustadroine Abdou, le gouverneur de Ndzuani, Dr Zaidou Youssouf, l’ancien ministre et actuel secrétaire général adjoint du gouvernement, Mahamoud Salim Hafi ou encore Dr Ansoufoudine Mohamed vont prendre aussi la parole pour faire part de leurs approches sur le vivre-ensemble et le renforcement de la cohésion nationale.
Malgré la portée de la thématique, le temps était, pour certains, limité pour approfondir les problématiques soulevées et les aspects exposés par les panelistes. Pour autant, les uns comme les autres, ont eu à ressortir des points communs sur l’approche du «vivre-ensemble» avec des nuances qui variaient d’un paneliste à l’autre. Appelé à ressortir les sources du séparatisme, Houmed M’saidie évoque quatre causes qui pourraient nourrir les appétits de division : politique, économique, psychologique et les mains extérieures.
Pour lui, «la tendance naturelle des hommes est de se replier sur soi», expliquant que l’histoire politique du pays, depuis le sultanat, a toujours été faite de divisions et de guerres de leadership incessantes. A l’entendre, le pouvoir politique lui-même est une source de divisions lorsque les uns souhaitent dominer les autres pour renforcer ou étendre leurs pouvoirs, faisant allusion «aux batailles des sultans» qui ont fait le lit de l’instabilité avant la colonisation.
«Frustrations» et «réalités sociales»
Côté économique, Houmed M’saidié évoque les frustrations qui naissent si une region ou une partie de la communauté se sent lésée par une décision politique, citant le cas du «transfert» de la capitale de Dzaudzi à Moroni ou encore la révolte des habitants de Nyumakele contre l’exploitation et les injustices subies au sein de la Société coloniale Bambao (Scb) en avril 1940. Pour l’ancien ministre, la perte d’un intérêt matériel direct ou la dépossession de droits peut être source de divisions. Il reviendra, aussi, toujours sur le cas des habitants de la région de Nyumakele «qui avaient voté massivement le président Mohamed Taki Abdoulkarim en mars 1996 mais qui n’avaient rien obtenu en retour».
S’agissant de la cause psychologique, Houmed M’saidie fera part des «réalités sociales, des stéréotypes et de l’iniquité» dans la répartition et la gestion du pouvoir. Pour lui, le déséquilibre des richesses au sein même d’un territoire ouvre la voie aux divisions. Il conclut en rendant hommage au président Azali Assoumani pour le travail «accompli ayant abouti à l’unification de l’archipel à travers l’accord-cadre pour la réconciliation» : «Le président est un fin stratège, il a compris les affres du séparatisme en engageant le processus de réconciliation pour consolider l’unité. Et aujourd’hui, un plan de développement pour corriger les injustices et garantir l’équilibre économique entre tous les îles afin de barrer les velléités de séparatisme», a-t-il soutenu.
«Réconciliation des cœurs»
L’ancien vice-président Caambi El Yachourtui, de son côté, a brièvement expliqué le contexte du séparatisme et arbore dans le même sens que l’ancien ministre Houmed M’saidié. Il prône «une vraie réconciliation des cœurs» entre les Comoriens. Mais il estime que toute cohésion de la communauté nationale passe d’abord par la satisfaction des besoins fondamentaux des populations. Il ajoute en affirmant que «la principale difficulté entre l’Etat central et les îles autonomies repose sur le problème épineux du partage équitable des ressources disponibles».
Parlant d’un «accord historique», l’ancien premier ministre suggère la mise en place d’un comité de suivi capable d’apporter des réponses aux problèmes à l’origine des divisions. Pour lui, il faut «mieux analyser les causes profondes de la résurgence des conflits» pour pouvoir mieux guérir les plaies du séparatisme et consolider la cohésion de la communauté nationale :
«Toute réflexion sur la mise en œuvre de l’accord pose des défis et nécessite une analyse approfondie des aspects juridiques, économique et socio culturels afin de mieux situer l’efficacité entre l’Etat central et les îles autonomes», dit-il, appelant à créer «un environnement de confiance», mais aussi «un dialogue permanant» et à «définir» les compétences entre les îles et l’Union avant de déplorer l’inexistence d’une structure de suivi de l’Accord-cadre de Fomboni.
«Garantir une paix durable»
L’ancien ministre Milissane Hamdia était appelé à apporter une réflexion sur «comment garantir une paix durable après la crise séparatiste». Il abordera la question de «l’équilibre des îles, le développement socio-économique, les réformes sécuritaires, le renforcement de l’Etat de droit et la promotion de l’éducation à la paix ainsi que le rôle des pays voisins dans la consolidation de la paix». Il estime que l’Etat doit renforcer les capacités de la justice, faire la promotion de la méritocratie, surtout à l’Université des Comores où il demandera l’instauration de «primes» d’encouragement au profit des meilleurs pour susciter l’émulation entre les étudiants et promouvoir l’esprit de redevabilité de la jeunesse comorienne envers l’Etat comorien.
Pour lui, il est nécessaire de «faire un travail de fond» pour mieux garantir une meilleure représentativité des îles dans les sphères du pouvoir. Il insistera sur l’équilibre des îles dans tous les volets. Il remerciera le président Azali Assoumani d’avoir «concrétisé cet équilibre des îles en garantissant l’équité dans la répartition des projets d’infrastructures et des moyens mis en commun», en citant l’Université des Comores «qui se trouve à Ngazidja, à Ndzuani et à Mwali» mais aussi les routes «dont les projets engagés sont équitablement répartis entre les îles».
«Un travail de mémoire»
Pour le ministre Djaffar Salim Allaoui, un «travail de mémoire est nécessaire» pour «mieux léguer un héritage à partager» avec toutes les générations. «Le divorce entre les Comoriens et leur histoire n’est pas une fatalité. Il est le fruit d’années de silence, de manipulations, et de renoncements... Mais la mémoire, si elle est construite sur la vérité, peut guérir les blessures. Elle peut redonner aux Comoriens confiance en eux-mêmes, non pour glorifier le passé, mais pour inventer un avenir plus digne», a-t-il souligné. «La réconciliation avec l’histoire ne viendra ni des discours officiels, ni des slogans, mais d’un effort collectif, patient, sincère. Un peuple qui regarde son passé en face devient capable de se projeter vers l’avenir avec lucidité et courage», souligne Djaffar Salim Allaoui.
L’ancien ministre souhaite une restitution fidèle et objective de l’histoire pour mieux comprendre ses torts, ses succès et ses dérives. «Les événements majeurs (l’assassinat des présidents Ali Soilihi et Ahmed Abdallah, les interventions répétées de mercenaires, la sécession de Ndzuani en 1997, les violations des droits humains sous différents régimes) n’ont jamais fait l’objet d’un véritable travail de mémoire», a-t-il regretté : «Ni dans les manuels scolaires, ni dans les média publics, ni à travers des commissions indépendantes. Résultat : une mémoire collective fragmentée, souvent manipulée à des fins politiques», a ajouté l’ancien ministre. «Chaque Île, chaque génération, chaque partie développe son propre récit. Mais une nation sans mémoire partagée est une nation sans socle commun».
Pour lui, la vérité «ne signifie pas la recherche de boucs émissaires, mais la reconnaissance des faits», demandant à «reconnaître les responsabilités dans les dérives autoritaires passées» à «nommer les périodes d’injustice», à «honorer la mémoire des victimes» et, surtout, à «faire place à ceux qui ont résisté avec dignité», citant des pays qui, selon lui, ont emprunté cette voie : «Le Rwanda avec la commission Gacaca, l’Afrique du Sud avec la Commission vérité et réconciliation, le Maroc avec l’instance équité et réconciliation».
Il finit par demander des «commissions d’enquête historique, de journées nationales de la mémoire» et «un travail de recueil de témoignages porté par des historiens, des journalistes et des artistes». Pour lui, «réconcilier les comoriens avec leur histoire, ce n’est pas faire l’éloge du passé. C’est en faire un levier d’avenir. Cela suppose de transformer la mémoire en force de cohésion, en outil d’éducation civique», ajoutant qu’à l’école «il faut enseigner l’histoire des Comores sans tabou, dans sa complexité, ses douleurs, mais aussi ses résistances et ses espoirs».
«Dispositifs de renforcement de la paix et du vivre-ensemble»
L’ancien ministre de l’Education rendra un hommage appuyé au chef de l’Etat en ces termes : «Vous avez beaucoup fait pour cette Réconciliation, énormément investi de votre temps pour réunir autour d’une même table tous les protagonistes en cause. Tout ce dispositif milite à créer les conditions d’un processus d’apaisement dans le cœur des Comoriens en vue d’une réconciliation juste et durable», a-t-il martelé.
Des intervenants, à l’instar de l’ancienne vice-présidente de l’Assemblée nationale, Aida Nourdine, le gouverneur de Ndzuani, Zaidou Youssouf, le ministre de l’Economie, Moustoifa Hassani, la députée Ladhaenti Houmadi ou encore le secrétaire général du ministère de l’Intérieur, Mohamed Ali Abdallah, ainsi que d’autres cadres ont appelé à lutter contre les velleités sectaires, à eriger un mur contre le séparatisme et à mettre en place des «dispositifs de renforcement de la paix, de la solidarité et du vivre-ensemble entre Comoriens des quatre îles».
Le chef de l’Etat, Azali Assoumani, artisan de cette réconciliation nationale à Fomboni, s’est limité à un appel à consolider l’unité du pays, à renforcer la cohésion et à promouvoir le vivre ensemble. «Les Comores ne forment qu’une seule famille unie par la culture, la langue et un destin commun», a-t-il souligné en «insistant sur la nécessité d’un dialogue sincère entre les Comoriens».
L’Accord-cadre pour la réconciliation qui aura vingt-cinq ans l’an prochain fera l’objet d’une cérémonie spéciale.
«En clôture, son excellence le président Azali Assoumani a annoncé une cérémonie nationale dédiée à la réconciliation, qui se tiendra à Mwali le 17 février 2026, un clin d’œil fort à la date même de la signature des Accords de Fomboni, vingt-cinq ans plus tôt», a-t-on souligné.