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Actions caritatives I Djibril, le très «controversé» prédicateur devenu «humanitaire»

Actions caritatives I Djibril, le très «controversé» prédicateur devenu «humanitaire»

Société | -   Abdou Moustoifa

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Le prêcheur est très bien suivi sur les réseaux sociaux, grâce à «son association humanitaire Air Darasa». Il y est à lui tout seul un média très suivi. Si ses actions humanitaires, avoisinant le 1 milliard de francs débloqué en 2020 selon lui, sont saluées un peu partout, l’opacité qui entoure en revanche l’origine des fonds avec lesquels il finance celles-ci divise l’opinion. Le gouvernement vient d’ailleurs d’interdire les activités de l’association.

 

A longueur de journées, en plus de ses prêches diffusées sur les réseaux sociaux, il joue la carte du prédicateur au grand cœur. Personnalité comorienne la plus suivie en ce moment sur Facebook. Son dernier live a atteint en moins d’un quart d’heure les 8000 vues. Le prédicateur a vu son audience exploser depuis qu’il s’est converti dans l’humanitaire. Aujourd’hui, son association, Air Darassa, continue d’aider plusieurs comoriens en difficultés. Depuis deux ans, il suffit parfois de ne publier qu’un post pour solliciter le soutien de Djibril pour qu’il débourse plusieurs milliers de francs. Plus l’histoire est triste, plus grande est sa réactivité.


Rien qu’en 2020, Air Darassa affirme avoir déboursé 2 millions d’euros (environ 1 milliards de francs) alors que 2021 vient à peine de commencer, le prédicateur affirme avoir envoyé en février 110 000 euros, soit 55 millions fc. La plupart des bénéficiaires sont des malades nécessitant des évacuations sanitaires à l’étranger. Pendant la même période, plusieurs mosquées en chantier ont reçu plusieurs tonnes de ciment, de sa part.   

Origine des fonds
 
Djibril aime les gens mais il s’aime tout autant, si ce n’est plus et alors qu’il aide les déshérités, il prend le temps de vivre. Aimant parler de lui à la troisième personne, il ne rechigne pas à faire étalage du luxe dans lequel il vit, [il se filme dans des grosses voitures, tourne ses vidéos dans des somptueux hôtels], Chaehoi Mmadi de son vrai nom, reste incontestablement «une personnalité appréciée» pour les uns mais «un homme détesté» pour les autres. Foundi Djibril a polarisé la toile, entre ses fanatiques et ceux qui s’interrogent sur ses agissements jugés suspects. Il suffit parfois de poser des questions sur l’origine des fonds d’Air Darassa pour soulever débat passionnel et passionné. Certains estiment qu’il n’y a pas lieu de chercher à savoir où il trouve l’argent avec lequel il finance ses œuvres de charité.


«Djibril aide tous les nécessiteux. C’est l’essentiel. Pourquoi poser des questions ?», aiment à répéter ses inconditionnels. Le sociologue, docteur Mistoihi Abdillahi abonde dans le même sens. «Qui n’a pas un passé plus ou moins sulfureux», s’interroge-t-il. A supposer qu’il a arnaqué hier est-ce que cela remet en cause la nature de ses aides ? Non. Quant à ceux qui parlent de blanchiment, j’appelle cela des accusations gratuites. Ses disciples apportent des contributions, cela doit suffire au bon musulman. Le reste, c’est à la justice française de s’en occuper».


Les questions sont nombreuses mais tout tourne autour de l’origine de ses fonds, de sa capacité à les débloquer rapidement, Djibril n’étant ni un milliardaire ni un rentier et qu’il n’a fait fortune dans aucun secteur connu. L’absence d’informations sur la provenance de son argent figure parmi les motifs cités par le ministre comorien de l’Intérieur qui a interdit toute activité d’Air Darassa aux Comores.  
 
Contributions de particuliers
 
Notre généreux bienfaiteur aime à aider les indigents d’où qu’ils proviennent, peu importe l’île. En janvier dernier, par exemple, son association a envoyé presque sept millions de francs à Mwali qui était en proie à une résurgence de la Covid-19. Interrogés, des représentants d’Air Darassa évoquent des sommes versées par des particuliers sous formes de dons. «Il y en a qui cotisent 200 euros voire plus. Ce sont eux qui nous envoient directement l’argent. Ustadh ne touche aucun rond. Il fait des duans à distance et les bénéficiaires versent sous forme de zakat. Il est aussi payé par des mosquées dans lesquelles il dirige la prière.

Il reverse dans ses œuvres de charité», répondait il y a quelques mois le journaliste Abderemane Ahmed, le représentant de Ngazidja pour justifier l’origine des fonds de l’association. Mais cette version suscite des questionnements au vu de la rapidité avec laquelle les fonds sont débloqués et envoyés aux Comores. Surtout pour une association qui affirme dépendre des aides provenant de particuliers.


Le 25 janvier dernier, dans un contexte sanitaire compliqué, Djibril se disait prêt à débloquer 20 millions de francs pour acheter des bouteilles d’oxygène destinées aux hôpitaux. Actuellement, il prévoit de construire un hôpital dans son village natal, à Mtsamdu ya Washili, où les soins seront gratuits. 
Pas plus tard que la semaine dernière, le prédicteur a envoyé 5000 euros à l’association des étudiants comoriens au Sénégal.Toujours en février, il avait annoncé sur la toile, être à la recherche d’un restaurant à Moroni dans lequel toutes les personnes handicapées devaient se nourrir gratuitement.

Il en payerait chaque semaine la facture. Autant d’actes qui soulèvent des questions sur la provenance de ses fonds et sur le pourquoi de tant de générosité. Ses adeptes eux, parlent souvent les rémunérations de ses vidéos sur YouTube pour tenter de justifier les fonds. Pour que la plateforme paie, le youtubeur doit certifier son compte et avoir un contenu favorable aux publicités. Pour chaque mille vues, il lui est versé entre 7 et 10 dollars (montant qui varie selon le public de l’auteur). Toujours est-il que rien ne confirme que le prédicateur a certifié son compte.
 
Escroquerie au Sénégal
 
Si cet altruisme fait de lui un des comoriens les plus adulés, et que peu de gens remettent en question ses efforts, de nombreux citoyens refusent en revanche d’oublier son passé «sulfureux». Parmi les casseroles que Djibril traîne derrière lui, se trouve l’affaire de Moinahalima du nom de cette jeune fille, originaire de Boueni ya Bambao qui l’accuse d’escroquerie.  Un dossier qui continue de faire couler beaucoup d’encre.


Le président d’Air Darassa a en effet été condamné il y a quelques années à deux ans d’emprisonnement avec une amende de 25 000 francs. Il a été également sommé de verser à la victime en guise de dédommagements et intérêts la somme de 41 millions francs. Quatre ans après le procès, l’affaire semble toujours d’actualité. Djibril qui avait fui la justice avant d’avoir fini de purger sa peine, a pris l’engagement il y a quelques mois de payer la famille de Moinahalima. Mais encore une fois ce règlement à l’amiable serait au point mort. Des zones d’ombres entourent l’histoire notamment en ce qui concerne les kilogrammes d’or réclamés par la victime.


L’autre frasque du prédicateur remonte à 2009. Alors qu’il a le vent en poupe en tant que Fundi, Ustadh Djibril séjournait au Sénégal pour prêcher la bonne parole. Sauf qu’au moment de quitter le pays de la Téranga un scandale éclate. Des jeunes africains se disent victimes d’escroquerie. Ils affirment avoir remis de l’argent au prédicateur comorien qui leur avait promis en échange de billets de banque, des visas pour la France ou des bourses d’études pour des pays arabes.


A cause de cette histoire, le prédicateur avait été passé à tabac par ses victimes qui réclamaient des remboursements. C’est l’association des étudiants comoriens au Sénégal qui s’est muée en médiateur pour trouver une solution. Reste à savoir si les bonnes actions de «Djib’s» le serviront dans l’au-delà ou s’il compte surtout en tirer profit ici-bas. En tout cas, malgré l’interdiction qui frappe les acticités de son association, le prédicateur ne compte pas renoncer à poursuivre ses activités aux Comores.

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