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Ahmed Ali Amir I «Les résultats obtenus illustrent la densité du travail accompli»

Ahmed Ali Amir I «Les résultats obtenus illustrent la densité du travail accompli»

Société | -   A.S. Kemba

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Ahmed Ali Amir, ancien journaliste, nous parle dans cet entretien de ses 5 ans à la tête de la communication du président de la République, de sa riche expérience et des défis persistants. Les stratégies numériques, les succès diplomatiques et les enjeux locaux y sont abordés. De même que les perspectives sur l'investiture à venir et les défis à relever pour un nouveau départ.

 

Vous êtes, depuis 5 ans, à la tête de la Communication du président de la République. Avec le recul, quelles leçons tirez-vous de cette expérience?


Un journaliste ne pouvait espérer mieux que ce poste. C’est une expérience très enrichissante professionnellement. Après avoir travaillé pendant 24 ans au service d’un média public, j’ai décidé de changer le fusil d’épaule et d’évoluer dans la communication institutionnelle. Dès ma prise de fonctions, j’ai élaboré, avec mes collaborateurs, la stratégie globale de communication à mettre en place, touchant tous les secteurs d’intervention de l’Etat et toutes les institutions. Nous nous sommes attelés, tout d’abord, à faire évoluer sensiblement la communication numérique de la Présidence de la République à travers de nombreuses innovations. Nous avons, dans ce sens, proposé avec l’aide de Kinu Ink, le Newsletter résumant l’action et l’engagement de la Présidence.

Et, par rapport au site internet ?


Nous avons, ensuite, décidé de refaire entièrement le site internet de Beit Salam, et d’inaugurer les comptes Instagram, Twetter, Facebook de la Présidence et du président ainsi que le compte  LinkedIn et autres. Le but a été de privilégier la transparence des actions du Président et de permettre aux Comoriens de les suivre et réagir, l’essentiel étant de resituer l’activité présidentielle. Il faut souligner, d’ailleurs, qu’aucun commentaire sur nos interfaces n’est censuré. Une fois la stratégie élaborée est validée par le Chef de l’Etat, j’ai suggéré qu’on mette à ma disposition des ressources humaines mais aussi financières pour la mettre en œuvre. A défaut, j’ai proposé également de conclure des contrats avec les agences de communication sur place, Kinu Ink, Nextez, Tartib… pour s’occuper des services prévus dans le nouvel organigramme.

En quoi consiste précisément votre mission à Beit-Salam? Estimez-vos que le Palais dispose des ressources humaines nécessaires pour ce travail?


Comme je l’ai dit plus haut, les ressources humaines font défaut à la Présidence. La communication du Palais nécessite au minimum une équipe de 30 personnes avec les services y afférents. Or nous varions entre une et deux personnes seulement.Nous avons proposé un nouvel organigramme et des postes correspondant aux services à pourvoir. Cette proposition est également restée lettre morte. Nous sommes deux cadres seulement, chargés de réfléchir, d’élaborer et d’exécuter le plan de communication du chef de l’État.Jusqu’ici, quels sont les actes forts que vous avez posés ? Qu’est-ce qui a changé dans la manière de produire et de relayer la parole du président ?
Nous avons mené jusqu’à son terme la communication de la Conférence des Partenaires au Développement de Paris et assurer son succès total. Ensuite il y a eu le travail acharné et mené sans relâche pour que notre pays accède à la présidence de l’Union Africaine, à l’Organisation Mondiale du Commerce, et que l’Union Africaine intègre le G20. Chaque pas posé est accompagné d’un plan de communication, de parutions dans la presse, d’éditoriaux du Président et d’interviews etc… Les résultats obtenus illustrent la densité du travail accompli. Dans le cadre des responsabilités qui ont été confiées à la présidence comorienne de l’Union Africaine, l’accélération de la mise en œuvre de la Zone de Libre-échange Continentale Africaine (Zlecaf), thème de l’année 2023, a constitué une priorité. Nous avons réussi à convaincre les pays qui étaient encore réticents, à ratifier le traité d’adhésion. A ce jour, seule l’Érythrée ne l’a pas encore fait. Pour la mise en œuvre de la Zlecaf, 34 pays ont entamé le processus, grâce au plaidoyer engagé par le Chef de l’État et ses émissaires.

Et, par rapport à l’agenda 2063 ainsi que les autres dossiers du continent ?


L’Agenda 2063 considère le potentiel de l’Economie bleue, comme une opportunité de transformation socio-économique de l’Afrique. Par conséquent, l’Economie bleue, l’Action climatique et la défense des intérêts des États insulaires ont fait partie des priorités de la présidence comorienne de l’Union africaine. Une conférence ministérielle sur l’Economie bleue et l’Action climatique s’est tenue à Moroni les 12 et 14 juin 2023 et a réaffirmé la volonté partagée des États insulaires et côtiers africains à faire de cette Economie bleue un levier pour le développement durable.

On a noté « La Déclaration de Moroni » sur l’économie bleue ainsi que d’autres rencontres de haut niveau à Moroni, quelle a été leur portée ?


La « Déclaration de Moroni » adoptée et reprise partout marque le succès de l’action conduite par le Président. La présidence comorienne fut marquée aussi par la tenue de la 3ème Consultation des Femmes Leaders Africaines sur la Masculinité positive à Moroni et la 3ème Conférence des hommes de l’Union Africaine sur la masculinité positive co-organisé par les présidents Azali et Ramaphosa à Johannesburg, en Afrique du Sud. Au niveau de la jeunesse, il y a eu le lancement aux Comores de l’initiative «100 millions de MPME en Afrique », en partenariat avec l’AUDA-NEPAD, pour doter les jeunes entrepreneurs, des compétences et connaissances essentielles pour mieux gérer leurs entreprises, tirer profit des nouvelles technologies de l’information et mieux accéder aux financements. 

 

La présidence comorienne de l’Union Africaine a également hérité de nombreux dossiers relatifs aux crises sur le continent et les premières réactions ont porté sur l’établissement de passerelles d’échanges avec les différents protagonistes pour trouver des solutions pouvant favoriser le retour à l’ordre constitutionnel. Le président Azali n’a pas chômé dans ce sens, des pourparlers ont eu lieu sur les Grands lacs, le Soudan, le Gabon, le Sahel, l’Éthiopie et la Somalie. Et pour couronner le tout, il n’y a pas eu que l’Afrique, le Président Azali a pris part également à la grande Initiative africaine de paix sur la guerre russo-ukrainienne.


L’adhésion au G20, je suppose comme étant le plus grand succès de votre bilan, qu’est ce qui a été fait au juste ?


Effectivement, le 09 septembre 2023, en Inde, l’Union africaine a été admise, comme membre de plein droit du G20. Il est à noter qu’au lancement du processus, seulement 8 pays membres de ce Groupe étaient favorables à cette intégration, la présidence comorienne de l’Union africaine a pu convaincre les 12 autres de soutenir cette adhésion. Ce succès démontre que l’accession de l’Afrique à au moins un siège permanent au sein du Conseil de Sécurité des Nations-Unies est possible. Dans tous ces processus, mes attributions propres ont été de préparer les plans médias ainsi que les éléments de langage ou alors de coordonner la rédaction de tout outil du chef de l’État et enfin, de proposer des stratégies de communication, créer et gérer tout support que je jugeais nécessaire à la communication de ses messages. Tout au long de cette présidence, nous avons bénéficié des compétences avérées d’un réseau d’Experts, soutenus financièrement par la Fondation Bill et Melinda Gates.

Estimez-vous que l’opinion capte mieux la parole officielle maintenant? 


Le grand problème auquel je suis confronté c’est de faire admettre à tous, le modèle démocratique. La communication du président brille à l’international et peine à s’appuyer sur les médias locaux pour toucher l’opinion publique. Nous sommes en train de réfléchir sur d’autres canaux et prospecter d’autres pistes locales. En outre, le gouvernement a créé un journal, une radio et une télévision qui peinent à couvrir le pays. Al-watwan, journal d’Etat est édité en français avec 650 exemplaires et le journal en arabe hebdo avec 200 au maximum d’exemplaires. Idem pour la presse indépendante qui tire entre à 500 et à 300. La Société Gaphica imprime à perte la presse nationale.

L’imprimerie ne maintient ses prix réduits que grâce à ses autres commandes. Comme vous le voyez les canaux de transmission étant défaillants. Il n’y a donc que les radios privés qui couvrent partiellement le territoire, à raison d’une radio par zone. C’est la raison pour laquelle j’ai demandé l’organisation des Etats généraux de la Presse pour apporter des réponses urgentes à tous ces problèmes structurels avant de penser à la communication. Peu de gens ont cru à ma démarche, j’ai donc dû l’abandonner et privilégier le renforcement des capacités du CNPA. Avec Aboubakari Boina et la nouvelle équipe, beaucoup de chantiers sont mis en œuvre, soutenus par le ministère de l’Information.

Pouvez-vous nous citer ces chantiers proprement dits ?

Vous n’êtes pas sans savoir que l’’activité principale du CNPA est le monitoring qui permet entre autres, de collecter, analyser et évaluer les informations diffusées dans les médias. Cet instrument permettra désormais de surveiller la conformité de l’information diffusée, aux règles de régulation et d’évaluer l’équité et l’équilibre médiatique. Dans ce monde où prolifèrent les fausses informations, le CNPA permettra de détecter ces fake news et la désinformation, prévenir la diffusion de discours haineux, stopper la diffamation et enfin analyser les évolutions de l’opinion publique. Au-delà de nombreuses formations dispensées par le CNPA en direction des journalistes sur divers sujets d’intérêts communs, l’organe de régulation s’attelle, en ce mois d’avril 2024, à démarrer les travaux d’attribution de la carte de presse et à définir les ayants droits autorisés à présenter leurs candidatures  afin de délivrer enfin, cette fameuse carte. Une campagne sera menée en direction des médias afin qu’ils se conforment à la règlementation, en diffusant un nouveau cahier des charges des médias, pour enfin délivrer des nouvelles autorisations. La régulation des réseaux sociaux fait partie des défis majeurs à relever. La réflexion est déjà engagée pour parvenir, au cours de cette année, à une loi y afférente.

Les plateformes de communication de la Présidence ne sont pourtant pas suffisamment réactives par rapport à l’actualité, tout comme elles ne rendent pas compte de toute l’actualité du Palais censée être connue du public. Quel est le problème ?

Remarque pertinente. Je l’ai dit plus haut. Le principal problème c’est le manque de ressources humaines et financières pour mettre en œuvre notre Plan de communication. Nous avons par contre deux fortes personnalités, le Porte-parole de la Présidence et le Porte-parole du gouvernement qui se relaient avec des missions différentes pour porter la parole de l’Etat. Ils sont en principe relayés par d’autres personnalités des ministères. Pour une meilleure communication, il faudra donc non seulement disposer des ressources humaines et financières adéquates mais aussi revoir notre façon de communiquer, en tenant compte du ressenti de ceux à qui on s’adresse.

Vous êtes l’un des Conseillers les plus proches du chef de l’État. A quel niveau de suivi en est-on avec les recommandations des Assises nationales de 2018, la CPAD et le Plan Comores émergent ? 

Les disponibilités financières pour exécuter le Plan Comores émergent sont là. C’est la capacité du pays à absorber et piloter les projets phares qui fait défaut. Il ne faut pas se voiler la face. Tant que le mode de recrutement surtout dans les hautes responsabilités se basera sur des critères insulaires, régionales et d’appartenance politique ou simplement de copinage, le pays continuera à s’enliser. Il faut mettre fin à ce fléau, et vite. Le développement de l’Union des Comores est, comme vous le soulignez, porté par le Plan Comores Emergent (PCE). Ce Plan est soutenu par ailleurs par un Plan de relance économique 2022-2026, préparé en décembre 2022. A mi-parcours, le président, ayant constaté le retard pris dans l’exécution du Plan et pas en raison du Covid-19 comme on a tendance à le croire, tient une réunion de suivi de la Conférence des Partenaires au Développement (CPAD), pour mobiliser des ressources extérieures supplémentaires, afin d’accompagner la mise en œuvre de ce Plan de relance économique.
Le président est conscient de la nécessité de mettre en œuvre plusieurs réformes, pour garantir le succès de ce Plan de relance économique. La croissance économique de notre pays, est excessivement portée par la consommation et nous n’avons toujours pas réussi à attirer plus d’investissements du secteur privé. Et pourtant en accédant au niveau des pays à revenu intermédiaire, les perspectives démontent qu’avec un programme de réformes ambitieux, il est possible d’atteindre un taux de croissance du PIB de l’ordre de 6,6% à l’horizon 2030, et qu’à l’horizon 2050, il serait aussi possible pour notre pays de devenir un pays à revenu intermédiaire élevé. Pour cela, il faudra que les secteurs de la pêche et du tourisme qui disposent d’un potentiel de croissance important soient pris au sérieux et que la priorité leur soit accordée. Le Président rappelle toujours l’urgence et je le cite de « libérer le potentiel d’investissement du secteur privé, de renforcer les fondements des institutions et de rehausser la résilience économique. » C’est le capital humain qui ne répond pas aux attentes.

Que faudrait faire pour un nouveau départ pour ce nouveau mandat ?

Apres les élections et les bouleversements qu’a connus le pays, il est venu le temps de faire table rase, d’initier un jeu franc, de renouveler toutes les équipes, de rechercher et placer les meilleurs aux postes stratégiques, de viser l’efficacité et le résultat, et de ne plus pardonner les échecs. Nous avons obligation de donner des réponses aux questions urgentes de société à l’exemple de celles qui touchent à la jeunesse, à la formation, à l’insertion, l’emploi et l’entreprenariat et de satisfaire aux besoins vitaux et impératifs de la population notamment en eau, électricité, santé et éducation de base. Rien de plus. Rien de moins. A mon niveau, je connais des spécialistes en communication dix mille fois meilleurs que moi, il est donc temps pour moi aussi de penser à ma reconversion.

 

L’investiture du Président suite à sa réélection aura lieu justement le 26 mai prochain. Pouvez-vous nous donner un avant-goût de cet événement et de son coût?
La cérémonie d’investiture est un moment de communion entre le Président, les Corps constitués et le peuple. Beaucoup pensent à tort que cela ne tient qu’à l’organisation de la journée et au respect du solennel rituel établi. Or l’investiture est avant tout une fête populaire, mais pas seulement une salve de coups de canon, d’honneurs militaires rendus et l’hymne entonné devant le drapeau. Ce jour, l’ensemble de la classe politique et de la société civile devrait être convié pour célébrer l’élection d’un président ; c’est le moment pour établir le diagnostic du fonctionnement du pays et définir la politique du futur. La présence de tous les candidats aux élections témoignera de l’engagement commun à soutenir vaille que vaille les alternances pacifiques. La présence des invités de marque comme l’a dit le Président hisse à un niveau élevé cette cérémonie et le distingue des précédentes. Mais pour cela, il faut définir d’abord l’agenda politique du Président avant de penser aux mini-drapeaux et aux affiches.

 

Vous avez longtemps été journaliste et éditorialiste respecté. Beaucoup n’ont pas compris votre conversion dans la communication politique, surtout à une période de fortes turbulences. Etes-vous de ceux qui pensent que le métier de journaliste est juste un gagne-pain comme un autre ? 

J’ai été journaliste. J’ai travaillé pour le journal Al-watwan, l’agence Reuters et France télévisions à travers Mayotte première. J’ai exercé avec professionnalisme ce métier. Après 24 années de service, je suis parti laisser la nouvelle génération accéder à des responsabilités. Un gagne-pain, vous dites ? Je vous rappelle juste que nous étions licenciés, suspendus, emprisonnés à plusieurs reprises tout au long de notre carrière pour défendre notre liberté d’écrire, de dénoncer les abus et de lancer des alertes sur les dérives. Aucun régime ne m’a épargné. Et maintenant ? A mon niveau, quand des journalistes sont touchés, inquiétés, je suis averti à temps et j’agis. Mais je n’ai pas pour habitude d’en parler.

Enfin, avez-vous déjà eu l’occasion de conseiller le Président de la République au sujet de la question de Mayotte, de l’exploitation du pétrole comorien et du cas de l’ancien Président Sambi ? Que lui avez-vous suggéré ?

Ce sont trois sujets sensibles. On me demande des informations ou mon opinion sur presque tous les sujets, et j’ai l’honneur et le privilège de participer à presque toutes les rencontres du président. C’est une lourde responsabilité. Mais je n’ai pas pour habitude de dévoiler mes notes confidentielles, ni de faire des comptes-rendus publics de mes entretiens privés avec le chef de l’Etat. Quand on a accès au bureau d’un président, on ne crie pas sur tous les toits la teneur des échanges qu’on a avec son locataire sauf s’il autorise lui-même expressément ou l’ordonne, et ce n’est pas le cas.

 

"Le président est conscient de la nécessité de mettre en œuvre plusieurs réformes, pour garantir le succès de ce Plan de relance économique. La croissance économique de notre pays, est excessivement portée par la consommation et nous n’avons toujours pas réussi à attirer plus d’investissements du secteur privé. Et pourtant en accédant au niveau des pays à revenu intermédiaire, les perspectives démontent qu’avec un programme de réformes ambitieux, il est possible d’atteindre un taux de croissance du PIB de l’ordre de 6,6% à l’horizon 2030"

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