Après presque trois décennies d’existence, le droit Ohada remplace le traditionnel droit national qui réglait le domaine commercial. Comment appréciez-vous cette situation ?
La façon la plus objective d’apprécier l’état d’application se fait soit par une observation de terrain et dans ce cas, ce sont les acteurs présents sur le terrain qui peuvent en rendre compte, soit à travers les recours qui sont formés contre les décisions de justice. Tous les Etats membres Ohada ont une cour suprême unique, la cour commune de justice et d’arbitrage d’Abidjan (Ccja), si un texte Ohada n’est pas appliqué ou mal appliqué, les parties en conflit peuvent saisir la Ccja. Cela est une espèce d’observatoire qui permet d’évaluer la bonne ou la mauvaise application nationale du droit Ohada. De ce point de vue, l’Union des Comores ne figure pas parmi les grands pourvoyeurs de la Ccja.Cela peut se traduire par deux choses, les gens sont satisfaits de l’application du droit Ohada ou par le fait que les litiges qui encourent dans la plus part des justices qui sont dédiées, l’intérêt n’est pas tel au point que les parties souhaitent porter la procédure au niveau de la Ccja.
Le droit Ohada est supranational et les pays membres sont tenus à respecter. Quel moyen de pression dispose l’organisation pour obliger les Etats membres à exécuter les décisions rendues par la Ccja et que risquent les pays en cas de résistance pour exécuter?
Je pars du principe que nos pays sont des Etats de droit, des Etats responsables et soucieux pour la bonne exécution de leurs engagements internationaux. Apriori, il ne devrait avoir aucune raison à ce qu’un Etat refuse d’exécuter une décision rendue par la Ccja. Cela étant, si par extraordinaire, une telle occurrence venait à se produire, le justiciable n’est pas démuni de recours. Le conseil des ministres est une instance de décision, qui peut-être réunie au moins une fois par an d’après le traité et en pratique au minium deux fois par an. Cela ne serait pas l’instance indiquée pour apporter ce genre de problème parceque cela pourrait se régler sur le plan politique. Aucun Etat ne souhaiterait voir son image ternie et étiqueté comme étant un Etat qui ne respecte pas ses engagements internationaux. Je préfère compter sur la bonne volonté des Etats membres de façon empirique qu’on voit que les arrêts de la Ccja s’exécutent dans nos Etats, il n’y a pas de résistance.
Au cours de la cérémonie d’ouverture de la huitième session de formation de l’école régionale supérieure de la magistrature, il a été mentionné l’idée d’étendre le droit Ohada sur l’ensemble du continent. Selon vous est ce que ce projet est réalisable si l’ont tient compte des diversités de droit dans le continent ?
La première chose à considérer est que le traité Ohada, lui-même, a une ambition très fermement panafricaine. Cette ambition consiste à couvrir tous les Etats membres du continent et fermement inscrit dans le traité Ohada. Est-ce réalisable, je dis oui, mais peut-être pas à court ou à moyen terme. Il y a une grande diversité de tradition juridique, mais je crois que les oppositions sont parfois exacerbées. Il a été démontré que les oppositions entre les pays de Commonwealth et les autres pays ne sont aussi radicales que cela. Il y a de la place pour la mise en commun des grandes conceptions de ce système romano-germanique et le système de Commonwealth.
Cela est possible. Je suis optimiste dans la mesure où nous avons déjà des laboratoires. Le Cameroun a une tradition juridique de fait de son histoire coloniale oû la Commonwealth côtoie le système romano-germanique, et le droit Ohada est appliqué au Cameroun. Evidemment, il y a encore quelques difficultés et résistances, mais essentiellement dues aux questions de traditions et d’accessibilité aux textes. Quant aux pays lusophones, la Guinée-Bissau est lusophone, elle est dans l’Ohada et cela fonctionne plutôt bien. La Guinée-équatoriale est hispanophone, elle est dans l’Ohada, il y a des difficultés, mais cela constitue des défis. Il faut précisément surmonter les défis de la traduction, de l’accessibilité de tous les textes et de la jurisprudence et ce que les praticiens de droit attendent. Ils sont partants pour cette grande question de diversité culture juridique. Oui, l’ambition panafricaine n’est pas démesurée, elle peut prendre du temps, mais il suffit de travailler.