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Ali Moindjié I «Le journaliste est un homme guidé par une éthique»

Ali Moindjié I «Le journaliste est un homme guidé par une éthique»

Société | -

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La presse a un grand rôle à jouer en cette période de pandémie. Le journaliste a l’obligation de s’instruire d’abord de la réalité avant d’informer la population avec des informations honnêtes. Membre du Conseil national de la presse et de l’audiovisuel (Cnpa), Ali Moindjié revient sur le rôle d’un journaliste et des medias en période de crise comme celle que les Comores vivent aujourd’hui. «Un journaliste vérifie ses infos et vérifier l’info, c’est diversifier les sources», dit-il. Journaliste de formation, Ali Moindjié a été ancien rédacteur en chef d’Al-watwan, premier rédacteur en chef de la télévision nationale et ancien correspondant à Moroni de l’Agence France Presse (Afp).

 

Al-watwan : Quelle posture doit avoir le journaliste en temps de crise comme celle que nous vivons aujourd’hui ?

Ali Moindjie : Pendant les périodes de crise comme celle-ci, les exigences du journalisme sont les mêmes en réalité. Même droit du citoyen à être informé ; même devoir du journaliste à publier des informations honnêtes ; même liberté des journalistes à mettre en exergue les contradictions des acteurs ; même obligation des journalistes à rendre compte des faits de manière impartiale ; même obligation de mettre les évènements dans leur contexte…
Couvrir une épidémie ne s’improvise pas. Il faut se documenter, acquérir des connaissances de base sur la pandémie. On ne peut pas prétendre expliquer des choses que l’on ne comprend pas soi-même. D’autant qu’en cette période, le journaliste doit également contribuer à vulgariser des connaissances sur le mode de transmission, les mesures barrières, tout ce qu’il faut faire ou pas faire pour se protéger.

Sans prétendre se transformer en spécialiste, le journaliste doit s’informer d’abord. Il doit avoir l’humilité d’apprendre. C’est du reste le seul moyen de ne pas se laisser mener en bateau par les «sources autorisées». Les sources officielles ne sont pas, loin de là, une garantie de véracité. Il leur arrive souvent de dénaturer l’info pour diverses raisons. On se souvient qu’en France, les autorités sanitaires ont soutenu pendant plusieurs mois que le port du masque n’était pas nécessaire. On devait apprendre par la suite que c’était tout simplement parce qu’il n’y en avait pas de disponible dans le pays en ce moment-là. Il ne faut donc jamais oublier que derrière le discours officiel se cache souvent des enjeux de politique interne et internationale.

Rien n’est plus dangereux qu’un journaliste naïf qui se contente de répéter à la manière du perroquet tout ce qu’on lui raconte. Un journaliste vérifie ses infos. Et en temps de crise, ce besoin est plus que nécessaire. Vérifier l’info, c’est diversifier les sources. Travailler avec une seule source c’est le meilleur moyen de se laisser tromper et de tromper les lecteurs. Or tromper les lecteurs en période de pandémie peut conduire à des drames.

Al-watwan : Quelle attitude doit avoir les médias en général pour éviter de ne pas se laisser emporter par les rumeurs au risque de désinformer le public ?

AM : Avant tout, le journaliste est un homme guidé par une éthique. Il n’y a pas de journalisme sans éthique. C’est le fruit de la mise en commun des normes qui régissent ce métier  qui sont le droit de la presse, la déontologie (règles édictées par la profession) et la morale publique qui a bercé notre éducation. On ne peut pas dès lors accepter par exemple de jeter en pâture des centres médicaux et des médecins juste pour faire le buzz comme on dit.

Les médias sont au service de la population et non pas des politiques ni des organisations. L’intérêt de la population est le seul et unique poteau indicateur des journalistes.
Quant aux médias qui les emploient, ils doivent intégrer le fait que les journalistes sont libres de proposer le contenu éditorial qui leur parait adapté à la situation sans restriction, ce qu’on appelle le principe d’indépendance éditoriale. Si les médias se contentent de recueillir l’information officielle et de la servir sans le moindre esprit critique, le risque est grand qu’ils travaillent contre l’intérêt de la population. Il ne faut surtout pas perdre de vue le fait que nous sommes dans un pays dont la grande majorité n’a pas fait d’études et n’a pas d’autres moyens de se faire une idée de la réalité que les médias. Il faut donc s’efforcer de diffuser une information honnête qui apporte une aide à vivre à ces lecteurs-là.

Al-watwan : Comment gère-t-on les rumeurs en temps de crise pareille ?

AM : A mon avis la meilleure manière de gérer les rumeurs, c’est de continuer à publier une information vérifiée. Quand Obama était candidat à la présidence américaine, ses adversaires avaient diffusé une rumeur disant qu’il n’était pas né en Amérique mais au Kenya, ce qui le disqualifiait de fait. Pour toute réponse, il a publié son acte de naissance sur internet. La rumeur s’est arrêtée. La rumeur est fille de l’absence d’informations. L’être humain a besoin de savoir ce qui se passe autour de lui s’il n’a pas l’information alors il se gave de rumeurs

Al-watwan : Le journaliste fait face, dans bien des cas, à des difficultés pour accéder aux vraies sources d’informations. Les autorités restent souvent muettes. Comment concilier le devoir de vérité pour le journaliste et sa difficulté à obtenir les sources officielles ?

AM : Il est évidemment préférable d’avoir à faire avec des autorités qui collaborent en cette période de pandémie. Mais il arrive que les dirigeants ne comprennent pas qu’elles doivent communiquer. La solution c’est de recourir à des informateurs plus discrets mais bien au fait de la réalité. Les soignants qui prennent en charge les malades connaissent mieux la réalité du terrain que les ministres. C’est pour cela que chaque journaliste doit disposer d’un réseau d’informateurs fiables. On reconnait un bon journaliste à son réseau personnel, à son carnet d’adresse personnel comme on dit.

Al-watwan : A part le bulletin de santé, les journalistes travaillent avec des bribes d’informations. Quelle attitude doit avoir les gouvernants dans un contexte de crise pour rendre fluide l’information et éviter une communication au prorata ?

AM : Depuis quatre décennies, les dirigeants comoriens n’ont jamais pu intégrer le devoir d’informer la population. De temps à autre, ils font de la sensibilisation c’est-à-dire de la communication ce qui n’a rien à voir avoir avec l’information. Vous avez sans doute noté par exemple que le gouvernement avait adopté, en un moment une politique de déni en soutenant que nous n’avons pas la maladie (voir la déclaration du chanteur Cheikh Mc).

Al-watwan : On fait face ces derniers temps à un journalisme d’opinion. Certains travailleurs de la presse se substituent à leurs interlocuteurs en parlant à leurs places, soit en s’opposant, soit en leur donnant raison. N’est-ce pas un danger, que faire ?

AM : J’ai appris que le journalisme consistait à relater des faits. Il fallait donc sortir aller voir ce qui se passait de visu, lire des rapports, parler avec différentes sources pour avoir une idée précises de ce dont il s’agit. Le lecteur n’achète pas le journal pour avoir l’opinion personnelle d’un journaliste. En général, il y a dans un journal un seul texte d’opinion : l’éditorial signé par le rédacteur en chef ou le directeur général. Il n’y a de journalisme que pour des faits. Pour exprimer des opinions personnelles, on écrit un livre mais on ne se met pas en embuscade dans une rédaction. La confusion actuelle découle à mon avis d’un problème de formation.

Al-watwan : Malgré l’absence d’études, on peut légitiment dire que la moitié des journalistes ne sont pas professionnels soit parce qu’ils n’ont pas été suffisamment formés, soit parce qu’ils ne bénéficient pas d’un encadrement conséquent leur permettant de renouer à terme avec les fondamentaux du métier. Comment en finir avec cette anarchie dans la presse ?

AM : Cela est dû à deux facteurs à mon avis : la précarité voulue et entretenue des journalistes professionnels et l’absence d’un plan de formation des journalistes. Ceux qui ont fait la formation quittent rapidement la profession au regard à la fois des contraintes politiciennes dans les médias et au regard des revenus franchement modiques. Cette situation n’encourage guère la nouvelle génération à s’investir dans cette profession. Par ailleurs, les autorités comoriennes n’ont jamais considéré qu’il était prioritaire de mettre en place un plan de formation des journalistes dans les écoles hormis la promotion formée à Nvuni à une époque. . Au final, on se retrouve avec des personnes sans formation et mal payées. Comment voulez-vous que ça marche ? Dans notre pays la plupart des journalistes ne sont pas passés par une école et pensent que le talent suffit. C’est à mon avis un défi pour ce pays. Les autorités comoriennes doivent envoyer les futurs journalistes dans des écoles professionnelles comme on forme les ingénieurs et les médecins. Ce sont des sujets qui pourraient être abordés aux Etats généraux de la presse annoncés par les hautes autorités. Pour autant que leur but serait de trouver des solutions à une profession sinistrée.

Chamsoudine Saïd Mhadji

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