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Anissi Chamsidine : «On peut encore dire non !»

Anissi Chamsidine : «On peut encore dire non !»

Société | -   Sardou Moussa

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Dans cet entretien, le gouverneur de Ndzuani, Anissi Chamsidine, répond aux questions d’Al-watwan au sujet de son récent ouvrage et de sa carrière d’homme politique. Alors qu’il s’apprête à quitter ses fonctions, Chamsidine insiste sur l’urgence de repenser la politique et de réapprendre à naviguer avec et pour le peuple.

 

Vous avez, il y a quelques mois, publié votre ouvrage « Nisisu’ali intsi » aux éditions Bilk & Soul. Quelles attentes avez-vous vis-à-vis des lecteurs après avoir abordé la question de l’indépendance inachevée des Comores avec Mayotte en toile de fond ?

On a tendance à expliquer nos échecs postindépendance, en omettant de poser la question de la souveraineté, qui demeure pourtant toute entière, à l’endroit même où elle a été posée, il y a bientôt 50 ans. Un pays peut-il s’épanouir avec une autonomie aussi relative que la nôtre ou bien doit-on retourner au combat pour son émancipation ? Toutes les questions relatives au destin de cet archipel nous ramènent au même endroit. Nous ne sommes pas libres. Nous ne décidons pas de notre avenir. Nous négocions chaque jour, notre droit à l’existence. Le citoyen doit être saisi de cette situation dans sa complexité. On ne peut plus lui mentir. Autrement, je n’attends rien du lecteur. J’espère juste qu’il comprend «l’habitant de ces lunes» (Saindoune Ben Ali), quand il se refuse au «fait accompli».

Vous mélangez le français et le shikomori, et vous alternez texte et illustrations sans liens apparents dans votre livre. Pourquoi ces choix ?


C’est peut-être vous qui ne voyez pas l’importance de ces liens. Les illustrations dans le livre rappellent qu’il est une histoire dont personne ne parle ici. Celle des gens de Hamabawa, qui ont toujours refusé de se plier à la France, au point que le président Ahmed Abdallah a dû leur trouver un endroit pour vivre, étant donné qu’ils ne supportaient plus d’être asservis, en demeurant à Maore, après l’indépendance. Il est une histoire de la résistance anti coloniale aux Comores dont on ne cause pas. Et si je me retrouve à alterner entre le français et le shikomori, c’est qu’on oublie souvent que certaines choses ne peuvent se dire que dans une langue, et rarement dans l’autre.

Pourquoi avez-vous choisi de questionner vos compatriotes au lieu de proposer des solutions concrètes, surtout étant un homme politique et un homme d’État censé apporter des réponses ?


On pense que l’homme politique a les réponses à tout ! On oublie qu’il a besoin du citoyen pour saisir la complexité des situations que vit le pays. L’homme politique n’est pas un superman, quoi qu’on dise. Nous ne sommes pas dans une fiction américaine. Les solutions viendront de la base, de la part de ceux qui souffrent. La politique est d’ailleurs une chose trop sérieuse pour être confiée aux seuls politiques. Le citoyen doit retrouver sa part de responsabilité dans ce qui se décide en son nom. Voilà le sens de ma démarche.

L’opération Wuambushu a repris à Mayotte, et mardi dernier un kwasa a sombré à Shiroroni avec 20 passagers qui voulaient s’y rendre. Tout cela dans le silence du gouvernement et de la population comorienne. Et les garde-côtes font tout pour barrer la route à ceux qui veulent aller à Mayotte, même en leur tirant dessus. Avec qui comptez-vous mener le combat de Mayotte comorienne ?


La présence française à Maore a changé de «façon de faire» depuis 30 ans. En 1994, on a eu la déportation du président Djohar à la Réunion, l’installation de la Centrale d’écoute aux Badamiers sur la grande terre, les promesses de Balladur et de Jospin à leur suite. Il y a eu la disparition de personnalités aussi fortes que Bamana dans le paysage de l’île occupée et le risque d’une rupture dans le discours. Il y a eu enfin le choix de la capitulation de la part des autorités comoriennes en place. Je ne vais pas faire dans le détail pour ne pas perdre de temps, mais rien de tout ce qui nous arrive n’est inscrit dans la fatalité. On peut encore dire non ! Il nous suffit de prendre du recul et de réfléchir à ce qui nous arrive. Ensuite, il faudra agir, sans se confondre dans une rhétorique de la défaite. On voudrait faire croire à tous que le problème des Comores est lié au pouvoir en place. J’ai la faiblesse de croire qu’il est bien plus complexe que ça et concerne avant tout notre rapport à la tutelle française. Nous devons nous interroger sur notre responsabilité par rapport à cette question. Autrement, nous allons continuer à jouer les garde-chiourmes pour la France. Vous imaginez ce qui s’est passé avec les garde-côtes ? Notre force publique en train de tirer sur nous pour qu’on ne se rende pas à Maore ?

Si la France décidait aujourd’hui de restituer Mayotte à l’État comorien, comment ce dernier devrait-il procéder pour y instaurer sa souveraineté, sachant que les habitants de l’île ne veulent pas partager le même destin que le reste de l’archipel ?


Vous me demandez ce qu’il faudrait faire contre la fable de la division ? Avant l’arrivée de la France, les habitants de cet archipel ont cru en la possibilité d’un destin commun. En moins d’un siècle et demi, ils ont accepté de céder au mensonge de la haine fratricide. Peut-être qu’il faudrait changer de vocable et parler de sororité à la place. Car on aura beau dire. Estelle Youssoufa et Mansour Kamardine ont leurs gènes bien ancrés dans le destin archipélique, l’une arrivant de Mbadjini, l’autre de Bambao la Mtsanga. Avant eux, on savait que certains défenseurs de «Mayotte française» tels que Martial Henry ou son frère n’ont pu le devenir que parce que leur histoire les ramenait à Ngazidja ou à Ndzuani. C’est peut-être parce qu’ils appartenaient aux autres îles de cet archipel qu’ils ont trouvé l’idée de se renier «passionnante».

Un challenge contre eux-mêmes ! On devrait probablement y réfléchir à deux fois, avant de croire au retour impossible aux éléments constitutifs de cette histoire. Cet archipel dérive d’une affaire de shungu que nous n’avons pas su défendre à la base. Mais nos élites ont la tête embourbée ailleurs, aujourd’hui, et ont dû mal à nous aiguiller sur l’essentiel. Nous devrions apprendre à rebattre les cartes pour définir à nouveau ce que doit être notre destin à tous. Marine Lepen ne peut décider de l’avenir des «Mahorais». Même les Français en rigolent, sous cape.


Vous allez rendre les clés de Dar-nadjah dans quelques jours, le 23 mai prochain. Qu’est-ce que les anjouanais ont gagné de votre deuxième mandat ?


La paix et la stabilité ! Ce n’est pas peu dans un contexte aussi miné que celui du renoncement au destin commun. La France a fait un sale boulot depuis 1975. A nous de lui prouver qu’elle a eu tort de diviser autant dans nos rangs. Et on ne peut le faire dans l’instabilité chronique. Mon second mandat m’a ainsi permis de réfléchir à la possibilité pour ce pays de relever la tête, autrement. Il me fallait peut-être tout ce temps pour comprendre ce qui était essentiel pour nous.

Vous avez commencé votre relation avec le gouvernement Azali sous de beaux auspices, mais l’année dernière vous avez fini par sortir de l’Alliance de la mouvance présidentielle. Qu’est-ce qui s’est passé ? Vous aviez pourtant juré de ne jamais vous opposer au pouvoir central…


J’ai donné l’impression de jurer et je m’y suis tenu. Un bon marin arrive toujours à bon port avec son bateau à quai. Mais cela ne m’empêche pas d’inventer la suite de mon histoire avec d’autres attentes. Je me suis trompé sur beaucoup d’endroits, mais la vie n’est pas finie. J’ai aussi appris à rebondir à chaque nouvelle situation. Le fait que l’État central ait oublié certains de ses engagements n’empêche rien, quant à la suite à donner à nos attentes. Ce pays a besoin d’un autre projet auquel l’opposition, tout comme le pouvoir, n’a pas pensé. A nous de l’inventer, avec le soutien du citoyen. Je sais que vous n’avez pas l’habitude d’entendre ce discours. Mais il va falloir retourner à la base et ne pas se contenter des mécaniques habituelles qui nous obligent à tendre la main pour mendier notre salut. Je ne serais plus gouverneur, mais je serais toujours un citoyen, désireux de voir ce pays s’épanouir dans le temps.

Vous avez dit quelque part dans votre livre : «Je retourne sur les bancs de l’école pour apprendre à mieux naviguer par mauvais temps, au-delà de vouloir mener le boutre à bon port.» Après avoir été ministre, accompli deux mandats de gouverneur et effectué une formation à l’Ecole nationale d’administration française sur la gouvernance publique, à quelle autre école retournez-vous pour apprendre à «naviguer» ?

A celle du citoyen. Il arrive que l’homme politique oublie ce pourquoi il existe. Je n’échappe pas à cette réalité. Mais je peux travailler à changer la donne.

Qu’est-ce que vous regrettez le plus de votre carrière politique, et de quoi êtes-vous le plus fier ?

Ce que je regrette, je viens le dire. Mais je suis fier de savoir que je suis encore capable de reconnaître la plupart de mes erreurs. C’est une raison supplémentaire pour croire en l’avenir de ce pays.

 

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