Comme toujours, à chaque crime sordide, ressurgit le débat sur l’application de la peine de mort aux Comores. Il est néanmoins frappant de constater qu’en 50 ans d’indépendance, le pays n’aura procédé qu’à l’exécution de trois condamnés : sous le président Ali Soilihi en 1977 et deux sous Mohamed Taki Abdoulkarim. La dernière exécution d’un condamné à mort remonte au 17 septembre 1997, il y a presque 3 décennies.L’assassinat de la jeune femme, Hikima Ahamada, 22 ans, commis selon les premiers éléments de l’enquête par son chauffeur le 31 janvier dernier, ravive le débat chez les Comoriens particulièrement choqués. Sur les réseaux sociaux, dans les médias et sur les places publiques, nombreux appellent à l’exécution de l’auteur de ce crime crapuleux.
Une position partagée par les prédicateurs et ulémas comoriens
La famille de la victime (qui était gérante d’une agence de transfert d’argent), par la voix du frère aîné de celle-ci, a souhaité la mise à mort du ou des meurtriers de sa fille. « Il faudra que la justice fasse de son mieux pour exécuter la ou les personnes qui ont tué Hikima. Si toutes les preuves le démontrent bien sûr. C’est le souhait de notre famille. Ma mère a fait part de ce souhait au gouverneur de Ngazidja, venu nous présenter ses condoléances. Il faut qu’ils meurent, ce n’est qu’à cette seule condition que nous trouverons la paix », indique Mohamed Ahamada Soihibou, frère aîné de la victime.
Des avocats émettent des réserves
Cette position est partagée par les prédicateurs et ulémas comoriens. «Au nom des représentants et des prêcheurs comoriens, je voudrais dire que nous sommes pour l’application de la peine de mort pour toute personne qui a tué quelqu’un sans aucune raison avec une préméditation », a déclaré Mohamed Ousseine Dahalani.
Cet uléma a pris le soin de préciser qu’il n’y avait aucune divergence à ce sujet au sein de la grande famille des prêcheurs comoriens. «L’Islam nous dit clairement que toute personne qui commet ce genre d’actes doit être tué après avoir trouvé toutes les preuves possibles», a-t-il précisé.Cet uléma, qui tient une chronique hebdomadaire dans Al-watwan, justifie également sa position favorable à l’application de la peine de mort par le fait que les textes législatifs comoriens la prévoient. Mais surtout, il demeure convaincu «qu’en appliquant la peine de mort, cela va entrainer une diminution des crimes».
Abdou Elwahab Msa Bacar, docteur en droit, déclare d’emblée « être profondément contre les peines inhumaines et dégradantes contre une personne, quel que soit l’acte commis ».
« La peine de mort en est une. » Cet avocat au barreau de Moroni nuance par ailleurs le propos du prédicateur sur la diminution des crimes si la peine de mort était appliquée. «Il n’y a aucun lien entre le fléchissement de la courbe de criminalité dans un pays et l’application ou non de la peine de mort. Plusieurs pays n’appliquant pas la peine de mort ont des taux de criminalité plus bas que d’autres qui l’appliquent», fait-il remarquer. Cet interlocuteur rappelle que « les dispositions pénales relatives à cette peine sont contraires à notre loi fondamentale, ainsi que plusieurs textes internationaux auxquels les Comores adhèrent comme la Déclaration universelle des droits de l’Homme ou la Charte africaine des droits de l’Homme ».Il y a, en outre, le caractère irréversible et irréparable de cette sentence alors «qu’aucun pays n’est à l’abri d’une erreur judiciaire ». « Nous avons une justice qui est défaillante. Je trouve que c’est absurde et dangereux d’appeler à l’application de la peine de mort, parce que c’est ouvrir la voie à beaucoup de bavures», estime de son côté, Me Said Mohamed Said Hassane, inscrit aux barreaux de Moroni et de Paris. Comme son confrère cité plus haut, par principe, il est contre la peine de mort.
Le principal suspect dans cette affaire aurait avoué son crime
L’opinion publique semble avoir oublié que l’auteur présumé du crime qui la passionne en ce moment bénéficie de la présomption d’innocence. «J’aurais aimé que les autorités judiciaires rappellent le principe », fait observer Me Said Mohamed Said Hassane. Il enchaîne : « L’on dit que le principal suspect dans cette affaire aurait avoué son crime. Je précise que nous avons vu des gens faire des aveux, reconnaitre des crimes qu’ils n’avaient finalement pas commis. Ce n’est pas parce qu’une personne a reconnu avoir commis un crime qu’il l’a forcément commis », insiste-t-il.
Il faut sans doute noter que plus de dix personnes, tous des hommes, se trouvent dans le couloir de la mort à Moroni principalement. Mafura, Mowambwa et tant d’autres noms ont commis il n’y a pas très longtemps des crimes qui lors de leur commission avaient suscité émotion et psychose dans la population. Il y a 5 ans, pas moins de 7 personnes ont écopé de la peine capitale selon une tribune publiée en 2020 par Abdou Elwahab Msa Bacar après des procès aux assises. D’autres sont en prison depuis près de 30 ans.Si l’on devait mettre fin au moratoire de fait observé par le pays en procédant à une exécution, la première en près de 30 ans, pourquoi devrions-nous commencer par celui qui a mis fin à la vie de Hikima ? Si l’on devait fusiller ceux que la cour d’assises a reconnus coupables d’assassinat (le code pénal dispose que les condamnés à mort doivent être fusillés), pourquoi commencerions-nous par le dernier de la liste ?
Ce que dit la loi
L’homicide commis volontairement est qualifié de meurtre selon l’article 273 du code pénal. « Tout meurtre commis avec préméditation ou guet-apens est qualifié d’assassinant ». Le même code dispose dans l’article qui suit que « tout coupable d’assassinat, de parricide ou d’empoisonnement sera puni de mort ». La mise à mort se fera par la fusillade selon la même loi. La disposition précise un peu plus loin que « seront punis comme coupables d’assassinat tous malfaiteurs, quelle que soit leur dénomination, qui pour l’exécution de leur crime, emploient des tortures ou commettent des actes de barbarie ». L’article 275 indique par ailleurs que « le meurtre emportera la peine de mort lorsqu’il aura précédé, accompagné ou suivi un autre crime ou délit ».