Ce qui s’est passé, la semaine dernière à Ndzuani, a de quoi rendre “fou” et c’est bien le cas de le dire. Quand un déséquilibré mental est pris à partie – torturé et brûlé à l’acide – par des gens soi-disant “normaux”, on peut légitimement se demander qui souffre de déséquilibre mental. Son tort ? S’être introduit, au gré de ses pérégrinations, dans une maison à Mutsamudu. Mais, à qui la faute ?
À défaut d’infrastructures de prise en charge, nos malades mentaux sont abandonnés à la raillerie et aux sévices des gens normaux. Ils sont nombreux, ces “fous”, à arpenter les rues de nos villes et villages. Souvent la risée des passants, encore plus fous qu’eux.
Ils sont nombreux à être enchaînés, quelque part dans nos villes et villages, loin des regards. Et leur nombre ne va qu’en augmentant. 26 nouveaux cas de schizophrénie ont été enregistrés en 2016 à l’hôpital El-maarouf. Dix-neuf, en 2017, sur 376 consultations.
Manque de personnel
Le Service de santé mentale, ouvert en décembre 2015, fait face à un manque criant de personnel.
Nous ne sommes que deux à assurer le service. Un médecin psychiatre et une infirmière, révèle le Dr Mistoihi Hassani Msoma, seul médecin psychiatre du pays.
Le service dispose bien d’une chambre, avec des lits, mais faute de personnel, ajoute-t-il, “nous ne pouvons pas garder les patients. Il nous faudrait, pour cela, des infirmiers et des aides-soignants”.
La demande a été faite, que ce soit auprès de la Direction de l’hôpital El-maarouf ou du gouvernement, mais elle est restée lettre morte.
Le service a été transféré à Mde, après le lancement du chantier de l’hôpital El-maarouf. Les consultations ont lieu deux fois par semaine, soit le mardi et le vendredi.
Les gens viennent consulter pour plusieurs sortes de pathologies. Les plus fréquentes sont la schizophrénie, les troubles dépressifs, les troubles de l’anxiété et l’épilepsie, explique le Dr Mistoihi.
Le cabinet du psychiatre a recensé, de janvier 2015 à octobre 2017, sur 659 patients, 225 cas de schizophrénie, 96 cas de troubles dépressifs, 93 cas d’épilepsie et 72 cas de troubles anxieux.
Le praticien constate une augmentation, ces dernières années, des cas de tentatives de suicide. Une conférence autour de la dépression, organisée en avril 2017 par le ministère de la Santé, a fait état de 11 tentatives de suicide en 2016. À peu près 5% de la population comorienne souffrirait de dépression.
Augmentation des tentatives de suicide
Un taux qui ne peut qu’augmenter, vu l’absence dans le pays de spécialistes dans le domaine. Le Dr Mistoihi se dit “consterné” que des familles tiennent des malades enfermés sachant que
les traitements ont fait leurs preuves. Des patients ont pu retrouver une certaine stabilité et entreprendre des activités allant avec leur état de santé.
Certains sont entravés aux pieds par un carcan en bois ou enchaînés à un pieu, de sorte qu’ils ne peuvent se déplacer. D’autres sont maintenus dans le noir, dans des salles vétustes, privés des mesures d’hygiène élémentaires. Seule solution pour qu’ils ne fassent pas de “dégâts”.
Le docteur reconnait, cependant, la difficulté pour les familles d’assurer la prise en charge de leurs malades, la schizophrénie étant une maladie chronique nécessitant un suivi permanent. Les médicaments coûtent chers, jusqu’à 5.000 francs, voire plus.
La facture, à la longue, devient salée. Les familles, en désespoir de cause, ont souvent recours à des fundis pour exorciser leurs malades. Le Dr Mistoihi laisse entendre que “cela fait partie de la prise en charge”. “Nous devons encourager tout ce qui peut aider le malade. La prière joue entre autres sur leur psychologie. Elle est de nature à les rassurer”, dit-il.
Il est plus que nécessaire de mettre en place une infrastructure de prise en charge, capable de fournir des médicaments à des prix abordables. Le projet du nouvel hôpital El-maarouf inclut un Service de santé mental. Une dizaine de lits y sont prévus.
Le Dr Mistoihi appelle le gouvernement à prendre les devants, en envoyant des médecins, des infirmiers, des paramédicaux, des assistants sociales et des psychologues recevoir une formation, afin que ces derniers puissent participer à la prise en charge.