logo Al-Watwan

Le premier journal des Comores

Audiences spéciales sur les agressions sexuelles I Des attentes et des interrogations sur le sort des prévenus

Audiences spéciales sur les agressions sexuelles I Des attentes et des interrogations sur le sort des prévenus

Société | -   Faïza Soulé Youssouf

image article une
Ce lundi 10 août, des audiences spéciales sur les agressions sexuelles se tiendront au tribunal de Moroni. Les attentes mais aussi les craintes sont multiples même si l’initiative a été majoritairement saluée. Si certains espèrent que les procédures ne seront pas bâclées et les droits de la défense respectés, d’autres se demandent si les peines seront bien respectées et préconisent la nomination d’un juge de l’application des peines ou encore qu’il faut enfin réglementer le milieu éducatif et sportif avec la mise en place d’un fichier des prédateurs sexuels et intégrer l’obligation de fournir un casier judiciaire.

 

Me Idrisse Saadi, avocat au barreau de Moroni
«Je salue l’initiative, laquelle doit être structurée pour le respect des droits des parties. Car, il ne faut pas que nous tombions dans le piège et penser que la justice va enfin prendre ses responsabilités. Nous ne le dirons jamais assez, les auteurs présumés ont des droits, lesquels jusqu’à leur jugement, bénéficient de la présomption d’innocence. Comment peut-on traiter plus de 10 ou 20 dossiers en une seule journée, surtout avec des prévenus qui risquent des peines lourdes ? Le temps imparti n’est pas approprié et donc le risque est grand que la procédure soit bâclée. J’espère néanmoins de tout cœur que les droits de la défense seront respectés.


Il faut par ailleurs que nous nous mettions d’accord. En effet, il y a souvent confusion entre l’agression sexuelle, l’atteinte sexuelle et le viol. Pour tous les prévenus, dès lors que la pénétration est constatée sur un mineur ou un adulte, cela constitue un viol. Et dans ce cas-là, l’affaire ne doit pas être jugée par un tribunal correctionnel mais devant une cour d’assises. Mon attente donc réside sur ce point : à l’audience, si le constat est avéré qu’il y a bien eu pénétration (la différence entre l’agression sexuelle et le viol réside dans la pénétration, qu’elle soit anale ou vaginale), il faudrait alors que le dossier soit de nouveau renvoyé chez le procureur, pour qu’il l’envoie devant la chambre d’accusation pour finir à la Cour d’assises. Pour le reste, c’est une bonne chose que ces gens soient enfin jugés mais tout en gardant en tête qu’ils ont des droits. L’opinion publique ne doit pas faire pression sur les professionnels du droit, dans le sens où des jugements pourront être rendus sans respecter les droits des prévenus».

 

Me Ali Abdallah Ahamed, avocat au barreau de Moroni et vice-président de l’association petit z’anges des Comores
«Le gouvernement comorien a décidé d’organiser des audiences spéciales agressions sexuelles les lundis 10 et 17 de ce mois. Lundi, il va y avoir des audiences mais d’après les informations que j’ai, plusieurs prévenus ne feront pas le déplacement. Ils ont fui la prison ou ont été libérés sous caution ou par je ne sais quel autre moyen.
Raison pour laquelle je pense fortement qu’il nous manque une personne physique importante au tribunal qui est le juge d’application des peines. Je m’explique : une fois que la personne a été entendue et condamnée, la responsabilité de ce qui suit revient au juge d’application des peines. Il a pour charge de vérifier l’évolution de l’accusé en milieu carcéral. C’est à lui que revient l’aggravation, la diminution ou le maintien de la peine en fonction du comportement du prisonnier. Il nous faut garder en tête qu’il y a plusieurs possibilités pour faire sortir un prisonnier illégalement puisqu’il n’y a pas de juge d’application des peines qui est chargé justement de contrôler l’évolution de la procédure, comme celle de la condamnation. La nomination d’un tel juge dépend seulement de la volonté du chef de l’Etat, qui est le premier magistrat du pays.
Par ailleurs, sur un autre volet, je tiens à rappeler qu’il y a deux lois : la loi Mourad sur les agressions sexuelles et la loi Fatah sur les femmes battues. Ces textes sont largement suffisants pour éradiquer ce fléau qu’est le viol, ou à tout le moins pour le réduire. Maintenant, l’on nous parle de réformes, de révision des textes, ce qui, pour moi, sont des mesures politiques. Le gouvernement veut peut-être marquer son sceau sur les problèmes mais il y a déjà suffisamment de lois.

 

Lire aussi : Agressions sexuelles I Des audiences prévues à partir de la semaine prochaine

 

Nafissa Abdérémane, Association Dénonce-koutsiwawetche
«Pour les audiences spéciales de ce 10 et du 17 août prochain, nos principales craintes demeurent le favoritisme, la non application de la loi, la responsabilité et complicité des familles et communes et enfin, la traçabilité des condamnés à l’issue de leur condamnation. Pour le reste, nous sommes dans la logique du respect de la loi existante ; qu’elle soit donc appliquée, devant une cour d’assise. Nous pensons par ailleurs qu’il est urgent que la loi soit révisée avec une application rétroactive pour tenir compte des différents statuts des prédateurs (récidivistes, inceste, responsables éducatifs ...). Nous considérons en outre qu’il va falloir réglementer le milieu éducatif et sportif avec la mise en place d’un fichier des prédateurs sexuels et intégrer l’obligation de fournir un casier judiciaire. Enfin, il est tout aussi urgent de penser à un cadre légal pour les mineurs, ces derniers ne peuvent pas être jugés comme des adultes ni partager le même centre pénitentiaire ».

Il est interdit de copier ou de reproduire partiellement ou totalement, cet article sans l’autorisation d’Al-watwan.

Commentaires