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Audiences spéciales sur les agressions sexuelles | « L’impossible criminalisation des viols »

Audiences spéciales sur les agressions sexuelles | « L’impossible criminalisation des viols »

Société | -   Faïza Soulé Youssouf

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Les lundi et mardi derniers, ont eu lieu des audiences spéciales sur les agressions sexuelles. Des avocats n’ont eu de cesse de saluer "l’impartialité et la rigueur de la présidente du tribunal". En revanche, certains déplorent amèrement "l’impossible criminalisation des viols" par les juges. Un viol est jugé comme un délit dont la peine maximale est de 7 ans. Elle serait d’au moins 15 ans, s’il était jugé comme le crime qu’il est, selon la loi. La liberté provisoire accordée aux auteurs présumés d’agressions sexuelles est elle aussi, pointée du doigt.

 

Les 10 et 11 août ont eu lieu des audiences spéciales sur les agressions sexuelles au tribunal correctionnel de Moroni. 27 dossiers ont été retenus. Les faits incriminés étaient graves, tant il a été question de viols sur des mineur(e)s et autres abus à caractères sexuels.

 

Deux avocats de la partie civile ont salué la hauteur de vue de la présidente du tribunal lors de ces deux jours d’audience. "La présidente du tribunal était impartiale, du côté du parquet, les débats étaient à la hauteur des enjeux ; nous n’avons noté aucun incident, les audiences se sont bien déroulées", a commenté Me Moudjahidi Abdoulbastoi.  "Nous n’avons ressenti aucune espèce d’hostilité de la part de la défense", a-t-il ajouté.

 

Ce constat est partagé par son confrère, Me Ali Abdallah Ahamed. "Je suis satisfait du déroulement des procès, je félicite la juge qui a présidé avec sérieux et rigueur les audiences". Me Ali Abdallah Ahamed, qui est aussi le vice-président de l’association Petit Z’anges des Comores, a par ailleurs exprimé son satisfecit quant aux peines requises par le procureur. "Le ministère public a requis la peine maximale sur pratiquement 90% des prévenus, ce qui est un chiffre impressionnant par rapport aux précédents procès qui ont eu lieu".  Et d’en citer un exemple, éloquent selon lui. "Une personne qui a été reconnue coupable d’abus sexuels sur une victime sourde-muette de 17 ans. Le coupable se vantait d’avoir le bras long, qu’il n’allait pas connaitre les affres de la prison. Il lui a été décerné un mandat de dépôt à l’audience et il encourt une peine d’emprisonnement de 7 ans ferme".  Et de fait, 7 ans c’est la peine maximale en matière correctionnelle.

 

Pour autant, pour Najda Said Abdallah, le bilan de ces deux jours d’audience est "amer". La présidente de l’association Mwana Tsi Wa Mdzima (association de défense des victimes) ne comprend toujours pas pourquoi "malgré les efforts déployés pour organiser ces jugements, la loi n’est pas toujours pas appliquée". Ce qu’il faut comprendre c’est que selon notre interlocutrice, le parquet continue à juger des criminels comme étant de simples petits auteurs de délits alors que la loi est claire : "elle définit clairement le viol comme étant tout acte de pénétration sexuelle commis entre autres sous la contrainte. Elle prévoit en son article 318 du code pénal que tout viol ou tentative de viol est puni de 15 de détention criminelle, voire plus", a rappelé Najda Said Abdallah.

 

"Un viol est un crime"

 

En fait, ce que Najda fustige n’est rien d’autre que "l’impossible criminalisation des viols". L’expression est de Me Abdoulbastoi Moudjahidi. L’avocat qui partage le même point de vue que la militante a fait part de son amertume. "Nous avons eu des cas de viols avérés, des prévenus qui ont reconnu avoir violé des mineurs, parfois des bébés, contre toute attente et le juge d’instruction et le parquet ont décidé de correctionnaliser l’affaire, donc de la minimiser", a-t-il tempêté. C’est d’autant plus violent "que le prévenu, qui a reconnu un viol sur une fillette de 4 ans, dès l’enquête préliminaire mais aussi devant le juge d’instruction, devait comparaitre librement à l’audience du 10 août parce qu’ayant bénéficié d’une liberté provisoire". Evidemment, le prévenu ne s’est pas présenté à l’audience. Il ne purgera même pas la peine maximale requise en matière correctionnelle alors que "selon la loi, il devait comparaitre devant la cour d’assises et encourir une peine de 15 ans au moins.

 

Le premier jour des audiences spéciales était consacré aux prévenus qui devaient comparaitre librement parce qu’ayant bénéficié de liberté provisoire ou de contrôle judiciaire. "Dans la majorité des cas, les prévenus n’ont pas répondu à la convocation", a constaté Me Moudjahidi. Ils ont sans conteste pris la clé des champs. Pour lui, "accorder une liberté provisoire à des personnes poursuivies pour viol se fait au détriment des victimes". Pourtant, "la loi accorde la primauté de la parole de la victime sur celle de l’auteur présumé".

 

L’homme de droit reconnait que "la liberté provisoire est encadrée par la loi et qu’elle relève de l’intime conviction du juge".  Cependant, et il insiste, "pourquoi les juges n’ont jamais invoqué cette liberté-là en matière criminelle ?". En effet, selon la loi, viols et meurtres appartiennent à la même catégorie de crimes. Et il ne leur viendrait jamais à l’idée d’accorder une liberté provisoire à un prévenu accusé de meurtre. Surtout que les auteurs présumés de viols obtiennent la liberté en attendant leur jugement et n’ont en revanche aucune restriction concernant leurs déplacements. Résultat : "ils peuvent continuer à côtoyer les victimes puisque les juges ne leur interdisent même pas l’accès aux localités dans lesquelles elles vivent". Assurément, une double peine pour les victimes.

 

Fsy

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