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BANQUE POSTALE/EX-SNPSF I Des clients excédés par les mesures de la nouvelle direction générale

BANQUE POSTALE/EX-SNPSF I Des clients excédés par les mesures de la nouvelle direction générale

Société | -   A.S. Kemba

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Une lenteur manifeste dans le traitement des dossiers de demande des prêts est dénoncée par des clients. Ces derniers ont été habitués à des pratiques aujourd’hui gelées par la nouvelle direction générale qui dit vouloir assainir la boite avant d’engager des réformes prometteuses au profit de la clientèle. Reportage.

 

Mohamed Ali Ibrahim n’en finit pas de gueuler, tout debout, depuis le couloir où se relaient des clients assis sur un long banc noir placé à l’entrée de l’espace commercial. Ce cadre du ministère des Finances fait des allers-retours à la Banque postale (Ex Snpsf) depuis trois semaines à la recherche de la moindre information sur le sort réservé à son dossier déjà instruit par un agent du service des crédits.

Un tour de vis mal accueilli

Ce père de deux enfants, âgé de 41 ans, a fait une demande d’une avance sur salaire d’un montant de 200.000 francs «pour honorer des engagements familiaux», selon ses mots. «Depuis le 28 juin, je bouffe mon temps ici sans obtenir ce que je veux, certains font même de nombreux mois», dit-il, l’air désolé. « Avant, on obtenait une réponse le quatrième jour. Cette fois, il faut quatre mois, c’est inadmissible », ajoute-t-il sous un ton désespéré. «Qu’allais-je dire à ma femme, pourquoi on nous traite de la sorte », enchaîne Mohamed Ali Ibrahim.


Comme lui, de nombreux clients de la banque de l’Etat se plaignent, tous les jours, de la tour de vis introduite par la nouvelle directrice générale dans le circuit d’examen et de validation des dossiers des clients demandeurs de prêts, de découverts ou d’avances sur salaire. Les agents de la boite reçoivent bien les demandes de crédits à un rythme régulier. L’on apprend, sur place auprès d’un cadre de la société qui a requis l’anonymat, que la cadence des demandes reste presque la même mais les réponses tardent à venir à l’oreille des clients. Crédits, découverts, dépassement, avances sur salaire, il faut s’armer de patience. Certains vident leur colère au milieu des engueulades en quittant les lieux alors que d’autres finissent par abandonner comme c’est le cas de Hachimia Ibrahim.

Un seul produit homologué

Cette instructrice, rencontrée dans le même couloir presque vide, a fini par perdre espoir et veut récupérer à contrecœur son dossier déposé depuis le mois de mai. «Je suis venue juste solliciter une annulation de ma demande, j’en ai assez de perdre mon temps ici. Deux mois, deux mois, et aucune réponse, mieux vaut abandonner », a-t-elle tranché avant de tourner ses longs talons rouges pour se diriger vers les escaliers qui mènent à la sortie du bâtiment. Les douze personnes comptées sur le banc attendaient leur tour, les yeux fixés sur la porte baie vitrée fermée à double tour par un agent de sécurité.


A ce jour, selon les informations recueillies sur place, les clients de la Banque postale n’ont droit qu’à un seul produit homologué, pour l’instant, par la nouvelle direction, à savoir les prêts de «trois ans, deux ans ou d’un an». Et, même avec ce produit, ce ne sont pas tous les clients qui tirent leur chance car le dossier, même traité, fait des jours sur les parapheurs de la directrice générale avec «une chance minime de validation». Les demandes de dépassement, les avances sur salaires et les découverts sont renvoyés aux calendes grecques. Les arrangements de bouche à bouche et les combines à la comorienne pour rééchelonner des découverts arrivés à échéance sont strictement interdits. Une situation qui décroît la fréquentation des lieux, jadis animés par une cohue quasi quotidienne.

Une atmosphère peu animée à la Snpsf

L’ambiance d’antan qui animait la Snpsf n’existe pas. Les longues queues ont disparu à la nouvelle banque postale et laissent place à de faux sourires entre clients et agents. Un sentiment de frustration et de colère se lit sur les visages des demandeurs des prêts qui, dans leur grande majorité, voient un grignotage des montants sollicités ou un rejet pur et simple de leurs dossiers. En descendant pour se diriger vers les guichets, nous rencontrons un retraité en béquille, fatigué, qui marche difficilement. Il veut toucher sa paie du mois de juin. «On m’a dit de revenir lundi car le responsable est en formation à la Banque centrale, je n’ai jamais entendu pareille histoire d’un client qu’on envoie balader parce que le responsable du service n’est pas là », lâche-t-il, excédé. L’atmosphère est peu animée à la Snpsf. Les guichetiers font de longues minutes avant de recevoir des rares clients, comme c’est le cas ce samedi 13 juillet. Les agents de sécurité, qui régulaient jadis le flux des gens, brillent par leur absence dans les coins et recoins de la maison.


En poursuivant nos recherches pour se faire une idée de cette confiance en berne des clients, nous rencontrons Ibrahim Hamadi alias «Dangereux», costume noir bien filé et chemise blanche avec ses cols grands ouverts. Il se présente comme étant «le chargé des missions» de la société. Pour lui, la colère que ressentent certains clients est compréhensible dans la mesure où les gens avaient cette habitude d’avoir tout ce qu’ils voulaient au péril de la société. «Il y avait trop de pagaille, nous voulons mettre de l’ordre, la Snpsf n’est pas une mutuelle, c’est une banque en construction, il faut que les gens comprennent que nous sommes en période de transition, la nouvelle directrice générale se donne le temps d’observer, de reformer, d’assainir pour pouvoir démarrer efficacement le travail sur de nouvelles bases», assure-t-il.


A plusieurs reprises, la nouvelle patronne, Hayate Hamadi Soulé, a défendu une ligne claire après sa prise des fonctions : mettre fin au laisser-aller, renforcer les mesures prudentielles et préparer de nouveaux produits adaptés à la clientèle. L’idée est, selon elle, d’accorder un prêt à un client en fonction de ses capacités de remboursement en l’aidant à vivre dignement et proportionnellement à ses moyens. «Je ne veux pas qu’on me juge sur mes actions mais sur mes résultats », avait-elle déclaré lors d’un entretien avec Al-watwan, peu après sa nomination. Une posture classique d’une dirigeante d’une banque mais qui est loin de convaincre des clients excédés par la lenteur que prend le traitement de leurs dossiers. «J’aime bien le président Azali, j’ai voté pour lui mais la nouvelle trajectoire que prend la Snpsf risque de précipiter sa mort certaine, on veut mettre des mesures inadaptées à nos réalités, toute mesure doit prendre en compte de la sociologie du pays au lieu de faire du copier-coller comme si nous sommes en France, on risque de tuer cette entreprise », dit Mohamed Ali Ibrahim. «La Snpsf se relèvera, il y aura bien de nouveaux produits, tout se passera bien d’ici six mois car c’est le temps nécessaire pour assainir afin de mieux servir nos clients », lui répond Ibrahim Hamadi alias « Dangereux ».

Tuer ou redresser la boite

La Société nationale des postes et services financiers (Snpsf), scindée en deux entités distinctes, depuis un an, joue sa survie dans un contexte marqué par la concurrence et la diversification des produits attractifs dans les banques solidement installées.Les nouvelles autorités sont confrontées à une dure réalité qui conditionnera l’existence même de la société, comme l’atteste un cadre d’une banque. «La position actuelle de la nouvelle direction est délicate car, soit elle va tuer carrément la société en poussant les gens à fuir et à voir ailleurs, soit elle aboutira à un avenir radieux au profit des clients qui résisteront, encore», explique ce grand connaisseur du milieu bancaire comorien.

On ignore la part de marché de la Snpsf en termes de dépôts, du nombre de clients et de crédits accordés. Alors que les institutions financières décentralisées (Ifd), constituées essentiellement des réseaux Meck et Sanduk, détiennent près de 45% des parts de marché, il est difficile de déterminer celle de la nouvelle banque postale et ce d’autant plus que d’autres établissements bancaires comme la Bdc, Afg (ancienne Bic), Bfc et surtout Exim Bank se taillent les plus grandes parts du marché bancaire national. Autant dire que les nouvelles mesures en cours à la banque postale, décriées par les clients mais jugées nécessaires par la nouvelle direction, restent décisives pour la chute ou la survie de l’unique banque de l’Etat.

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