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Bouchrane Aoussidine : «Pourquoi ne pourrons-nous pas exploiter nous-mêmes notre espace maritime ?»

Bouchrane Aoussidine : «Pourquoi ne pourrons-nous pas exploiter nous-mêmes notre espace maritime ?»

Société | -   Sardou Moussa

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Le syndicat des pêcheurs de l’ile de Ndzuani est l’une des organisations corporatives les plus actives du moment. Et à  sa tête, Bouchrane Aoussdine, un jeune qui n’a pas froid aux yeux. Son principal souci : la sécurité en mer des pêcheurs. Sa hantise : le détournement d’objectif des projets de pêches. Et à cœur, ce projet de création d’une société privée de pêche, incarnée par un  jeune entrepreneur de l’ile. Entretien.

 


Quelles sont les difficultés auxquelles est confronté le pêcheur comorien en général ?


Le premier souci du pêcheur comorien, c’est sa sécurité en mer. S’en suit également un problème d’hygiène. L’on vend nos poissons dans des endroits ne répondant pas aux normes hygiéniques. L’on aimerait bien changer cela, mais l’on se trouve très vite confronté à un problème d’équipement.  

 


Qu’est-ce que le syndicat a apporté à ses pêcheurs depuis son existence ?


Le syndicat est né il y a douze ou treize ans. Ses anciens dirigeants étaient préoccupés par le commerce : ils empruntaient de l’argent dans les institutions de micro finance pour acheter du matériel de pêche et le revendre aux pêcheurs. Moi, à mon arrivée, j’ai axé mes priorités sur la sécurité des pêcheurs.

La grande fierté que je partage avec nos partenaires, surtout notre commissariat de tutelle, c’est  d’avoir déjà pu identifier les nombreux projets de pêches qui étaient longtemps restés inconnus des pêcheurs de l’ile. Nous avons été félicités par la Fédération des pêcheurs de l’Océan indien comme étant le syndicat de pêche le plus actif, et elle nous a même demandé de formuler des microprojets, qu’elle appuiera.

 


Quels sont vos projets à court et à long terme ?


La prévention des risques en mer, tout d’abord. Sensibiliser les pêcheurs sur la nécessité de s’équiper au minimum pour leur sécurité, en apportant de l’eau, des appareils de communication et de localisation, etc.

L’on va également structurer les coopératives des pêcheurs ; les mettre aux normes et leur doter de sièges. Il y a encore un projet de transformation de poissons, en mettant en place des séchoirs dans les différentes régions de l’ile.  

 


Le Syndicat des pêcheurs de Ndzuani est-il une structure indépendante ou bien dépend-t-elle d’une structure fédérale ?  


Il existe un syndicat des pêcheurs aussi bien à Ngazidja qu’à Mwali. Le syndicat national n’avait qu’un président et un coordonnateur, et en ce moment-même où l’on parle il ne reste que le président. Dernièrement je suis allé le voir à Moroni pour parler de l’élection d’un nouveau bureau. 

J’y ai découvert l’existence d’un fonds, donné par un projet, et qui devait soutenir les syndicats régionaux, mais il a été  utilisé, et pas à notre profit. Les syndicats régionaux de Ndzuani, Ngazidja et Mwali ont donc convenu d’organiser prochainement l’élection du nouveau bureau fédéral, car ne reconnaissant pas la légitimité de celui qui est là.   

   


Le projet SwioFish 1, lancé en décembre 2015, vise à améliorer la gestion des pêcheries et lutter contre les changements irréversibles de l’écosystème. Il serait financé à hauteur de 5 milliards de francs. Comment percevez-vous son évolution ici à Ndzuani ?


SwioFish est une continuation du projet CoReCSuD (Cogestion des Ressources Côtières pour une Subsistance Durable). Ce dernier a construit des poissonneries équipées de bacs isothermes, dans quelques localités. SwioFish est un projet de gouvernance de pêche. Autrement dit, les pêcheurs doivent à la fin pouvoir s’autogérer.

Nous sommes en parfaite collaboration avec le coordinateur insulaire de ce projet et le commissariat en charge de la production, mais les responsables de la coordination nationale ne comprennent toujours pas cette démarche. Ils viennent faire aujourd’hui ce qu’ils ont déjà fait hier et malgré tout,  l’on ne voit pas toujours les retombées du projet. L’on a aussi du mal à  distinguer la voie qui nous mènera  à cet objectif de la gouvernance de la pêche par les pêcheurs eux-mêmes.

Au sujet par exemple de l’immatriculation de nos vedettes et de la délivrance des cartes  professionnelles aux pêcheurs, la Banque mondiale nous avait dit qu’une unité de service serait ouverte ici à Anjouan à cet effet. Mais l’on a vu dernièrement le directeur de la pêche débarquer brusquement pour mener une sensibilisation auprès des pêcheurs à ce sujet, à l’insu du syndicat et du commissariat. Ce n’est pas comme cela que nous avions compris le projet.

 


Comment le syndicat des pêcheurs perçoit-il les accords de pêche conclus entre le gouvernement comorien et l’Union européenne ?


Nous avons un code de la pêche. Il n’y a rien de mauvais dedans, mais ce qu’il reste, c’est sa mise en application. Ce code définit bien ce genre d’accord. Le problème qui se pose dans le cadre de ces accords en l’occurrence, c’est que nous n’avons pas les moyens de surveiller en mer ces partenaires. Pêchent-ils ce qui est autorisé par les accords, dans les zones autorisées… ?

Nous, pêcheurs, avons remarqué le contraire !  Le code les autorise à pêcher à partir de 50 à 60 kilomètres, mais ils descendent jusqu’à 20 kilomètres ! L’on note aussi que certains bateaux sont équipés d’armes à feu, et ils n’hésitent pas à tirer des coups de sommation quand nos pêcheurs s’en approchent. Nous avons déjà signalé tout cela à nos autorités.

 


L’objectif premier de tout syndicat, c’est bien entendu la défense des intérêts de ses adhérents. Il y a quelques jours à Ongoni, un pêcheur, et de surcroit responsable de votre syndicat, s’est fait voler son moteur hors-bord. Un soldat qui errait la nuit dans la zone a été mis en cause par les villageois dans cette affaire, qui a abouti à une violente intervention de l’armée.  L’on apprendra plus tard que le moteur en question a été retrouvé à Wani ? Qui l’avait volé et a-t-il été restitué à son propriétaire ?


C’est déjà triste qu’un pêcheur se fasse cambrioler car nos pêcheurs empruntent de l’argent dans les Meck et Sanduk pour  investir dans leur métier. Les villageois ont commis l’erreur de séquestrer la moto du soldat, après avoir identifié ce dernier. Je rappelle qu’ils n’avaient rien trouvé sur lui, mais ils l’ont intercepté la nuit, au moment même où le vol a été commis, et donc ils se sont dit que l’enquête devait commencer par lui.

Au lieu de convoquer ceux qui avaient pris sa moto, les militaires ont fait une descente dans le village et ont commis des exactions. Mais le plus désolant encore, c’est lorsque le moteur a été retrouvé à Wani.

L’armée a d’abord refusé qu’il soit remis au propriétaire, exigeant d’abord le paiement de la moto de son soldat. Or elle ne nous dévoile pas le voleur du moteur, auquel doit incomber la responsabilité de tout ce qu’il s’est passé. Finalement j’ai appris que notre ami a récupéré son moteur, mais l’armée attend toujours que la moto de son soldat soit payée.

 


Le mot de la fin… ?


Tout ce que nous venons de dire ici est faisable, mais il nous faut le soutien total du gouvernement, au niveau fédéral comme insulaire. Je tiens d’autre part à vous informer qu’un enfant de cette ile, du nom de Baharou, originaire de Moya, est venu avec un projet de création d’une société de pêche  industrielle, dont le siège sera ici à Ndzuani. Je demande donc à tous les pêcheurs de le soutenir, car lui-même n’est pas du domaine.

Il a deux bateaux de pêche de 22 mètres chacun, et une unité de communication. Il mettra en place des dispositifs de concentration des poissons au large et dans les côtes. Il s’est dit prêt à soutenir des formations sur les techniques de pêche et la sécurité en mer. Pourquoi, avec de tels projets, ne pourrons-nous pas à long terme faire cesser ces accords avec l’Union européenne, pour exploiter nous-mêmes notre espace maritime ?

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