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Ces oubliés de la lutte pour l’Indépendance I Elle s’appelait Abida Ali Chebane...

Ces oubliés de la lutte pour l’Indépendance I Elle s’appelait Abida Ali Chebane...

Société | -   Faïza Soulé Youssouf

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Abida Ali Chebane est la première Comorienne à s’être portée candidate aux élections législatives pour le compte du Parti Socialiste Comorien. C’était en 1972. La jeune femme a eu comme adversaires, Ali Bazi Sélim et Ali Moumini. Abida a payé lourdement le prix de son audace.

 

C’est un nom qui claque encore plus de 20 ans après sa disparition prématurée. Abida Ali Chebane est une pionnière, malheureusement tombée dans l’oubli. C’est cette injustice que les Mawadja, Mashudjayi wa Djana tentent de réparer. Aussi au cours du colloque qui s’est tenu à Mitsamihuli le 29 juin, il y a eu une intervention de l’historien Moussa Saïd, sur cette femme, militante, progressiste, qui osa défier l’ordre colonial et l’ordre tout court, précurseure comme tant d’autres de la lutte pour l’indépendance. Abida Ali Chebane est née un 03 août 1952 à Ntsudjini, capitale de l’Itsandra.Abida alors haute comme 3 pommes, voit des garçons prendre tous les jours le chemin de l’école. « Pourquoi eux et pas moi ?», demande-t-elle à son père. Son père l’inscrit. Et voilà la petite Abida Ali Chebane qui se rend tous les jours à l’école primaire de Mizidjou de Ntsudjini. Elle poursuivra sa scolarité à la mission catholique de Moroni, quelques années plus tard. La jeune femme deviendra sage-femme, encadrée notamment par Hadjira, l’épouse d’Ali Bazi.

Tenace

Les sources diffèrent en ce qui concerne l’âge de son entrée en politique. Certaines avancent l’âge de 14 ans d’autres 16 ans. Mais elle est entrée en tout cas très jeune et avait le soutien de ses parents, notamment son père qui compte dans son lignage, un aïeul qui avait participé à l’assassinat du colon Bouvier en 1899 à Moroni. Ce père, lui aurait raconté à plusieurs reprises l’histoire de cet ancêtre. Peut-être a-t-elle puisé dans cet héritage familial pour se lancer en politique. Tout comme celle de Wabedja, mère de Mbae Trambwe au 15eme siècle, qui fut la première Comorienne à régner sur le trône.


Progressiste, elle fait partie des militants de premier plan du Parti Socialiste Comorien, le Pasoco. Elle prend la parole dans des meetings entièrement composés d’hommes et harangue la foule à coups de « mkolo, nalawe », (colon dégage, ndlr). Et comble du comble, lors des élections législatives de 1972, sous l’autonomie interne, Abida se présente à la députation. Il a en face d’elle, Ali Bazi Sélim, soutenu par les verts. Encore aujourd’hui, nous peinons à imaginer le courage qui a dû être le sien pour oser se mesurer à ce dinosaure. « Ali Soilihi Mtsashiwa a dit qu’il votait pour elle, impressionné par sa verve et son audace », rapporte son fils ainé, Youssouf Dhoiffir.


Elle subit une pression énorme pour renoncer aux élections. Son propre mari, Ibrahim Djae, un instituteur lui demande de s’éloigner de la politique et brandit la menace du divorce. Abida Ali Chebane refuse de céder. Son mari se sépare d’elle. « C’étaient des manœuvres des Verts », croit savoir son ainé. A cause de toute cette pression, son père Ali Chebane prit le parti de soutenir sa fille et quitte le parti des Verts. Abida connut également la prison pour ses positions politiques mais elle ne renonce pas.

Entrée dans l’histoire

Son fils poursuit : « Le Pasoco lui trouve un autre mari, également instituteur qui s’appelait Zitoumbi de Ntsaoueni ». De lui, elle reçut un soutien dans tous les domaines.Elle ne se fait pas élire mais entre dans l’histoire. Elle est également victime « d’affectations punitives », loin des siens. Par exemple, elle est affectée à Tsembehou à Ndzouani, peu après les législatives. Loin de la décourager, elle en profite pour créer la première cellule du Pasoco sur place. C’est ainsi qu’elle est affectée à Mitsamihuli, Hahaya, El-Maarouf, etc.Sous le régime des mercenaires, un militaire vient lui dire de ne pas dormir à la maison. « Ma mère et un autre militant du Pasoco, Ali Moussa devaient être tués ou torturés. Maman lui demande de fuir mais il ne l’écoute pas. Ali Moussa se fera extraire les dents avec une tenaille à Kandani mais Abida eut la vie sauve ».


« Durant tout le régime d’Ahmed Abdallah, elle n’obtient aucun avancement. Elle était considérée comme une renégate », se remémore son fils. Elle travaille alors essentiellement dans le privé. Et vient en aide aux parturientes sans le sou.
Sous le président Djohar, dans les années 1990, où il y a eu la première députée et ministre (Sittou Raghadat Mohamed, ndlr), « elle était très sollicitée par les associations de défense des droits des femmes », fait savoir notre interlocuteur.
Elle aurait pu obtenir la reconnaissance de Mohamed Taki Abdoulkarim, élu à la tête du pays en 1997 et qui avait obtenu le ralliement du Pasoco. « Elle devait être promue au commissariat au genre mais Taki meurt prématurément », indique son fils.Cette femme, mère de sept enfants (3 garçons et 4 filles) meurt à Ntsudjini le 3 août 2004 d’une crise cardiaque. «Nos enfants doivent être meilleurs que nous», clamait-elle. Puisse-t-elle être entendue.

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