Vous venez de signer un protocole d’accord mettant ainsi fin à la grève illimitée. Au début de la grève il y a eu une commission, mais ses recommandations n’ont pas été retenues, croyez-vous donc que les autorités respecteront ce protocole d’accord surtout que ce n’est pas la première fois que vous suspendez une grève sans rien obtenir.
D’abord, je ne vois pas de quelles recommandations vous parlez. Les enseignants étaient en grève pour réclamer que la nouvelle grille indiciaire de 2008 leur soit appliquée, c’est le cas dans d’autres corps comme celui des inspecteurs pédagogiques. Dans le Protocole d’accord que vous citez, cette revendication y est. Vous savez, ce qui dérange les enseignants, ce ne sont pas les clauses du Protocole en soi, mais les délais. Novembre peut sembler loin pour boucler les travaux au vu de la précarité dans laquelle cette inflation que personne ne semble pouvoir contrôler a plongé les gens.
Nous nous devons d’avoir confiance en la parole du chef de l’Etat dont vous savez qu’il a invité les dirigeants syndicaux des trois îles à Beit-Salam pour leur dire qu’il se portait personnellement garant du Protocole d’accord. Nous ne nous autoriserons pas à douter de la parole du chef de l’Etat. Nous nous devons également de croire en la bonne foi des ministres signataires dudit protocole. Nous préférons miser sur la confiance et non la méfiance. Notre priorité du moment c’est le suivi de ce Protocole d’accord.
S’agissant de la nouvelle grille, quelle serait l’incidence et qu’est-ce qui selon vous empêche les autorités de vous aligner avec les autres corps qui en bénéficient déjà ?
En 2008, l’incidence était estimée à 240 millions par mois. La Commission qui a planché sur le sujet de la mi-mars à la mi-avril aurait fait état de 342 millions d’incidence financière. On nous dit que 175 millions sont déjà disponibles suite au récent nettoyage du fichier Fop du secteur éducatif. Le porte-parole du gouvernement a confirmé plus d’une fois la légitimité de notre revendication et c’est du bon sens car la cherté de la vie a atteint un niveau tel qu’il faut être tombé sur la tête pour croire que les salaires doivent rester intacts. Et sachez que le gouvernement n’a pas rejeté notre revendication, si vous vous reférez au Protocole d’accord et aux déclarations des autorités. On nous a demandé d’attendre la réunion des conditions pour satisfaire notre revendication. C’est cela qui est important pour nous. Dans le Protocole, il y a la nouvelle grille mais le gouvernement n’exclut pas l’éventualité que ce soit des avancements ou une révision à la hausse de la valeur indiciaire, qui est à 1600 depuis plusieurs décennies alors que la Loi portant statut général des fonctionnaires prévoit explicitement que cette valeur doit changer tous les 5 ans. Notre revendication, cela n’a échappé à personne, c’est la nouvelle grille, mais nous ne rejetterons pas d’autres options si elles nous satisfont. Nous sommes très ouverts, à condition que les options qu’on peut envisager pour nous soient recevables et qu’elles permettent d’améliorer sensiblement notre pouvoir d’achat. Ce qui nous sera servi sera soumis à l’appréciation de nos membres.
L’école publique est dans un piteux état, or le syndicat ne s’est jamais prononcé sur le sujet. Il ne se manifeste que pour défendre de meilleures conditions salariales. Comment expliquez-vous cela ?
Il est vrai que la revendication salariale a toujours dominé l’essentiel de nos luttes. Mais comment pouvait-il en être autrement quand on sait que la régularité des salaires n’est un acquis que depuis relativement très peu. Et là-dessus, on ne saluera jamais assez les efforts consentis pour nous sortir de ce calvaire. Mais, voyez-vous, le combat syndical pour l’amélioration du pouvoir d’achat ne s’arrêtera jamais car les situations ne sont jamais immobiles. N’en déplaise à ceux qui font semblant de ne pas comprendre, mais nous continuerons à mener des batailles pour l’amélioration de nos conditions de vie. Et contrairement à ce que vous dites, les revendications à caractère pédagogique font partie de nos préoccupations et nous ne manquons jamais de les faire connaître à nos interlocuteurs, dans les cadres formels, mais aussi dans des cadres informels. Sachez par exemple que nous n’avons de cesse d’exhorter nos ministres respectifs de l’Éducation nationale à mettre de l’ordre dans les écoles privées car, les malheurs de l’école publique comorienne sont en partie le fait de la multiplication sauvage de ces écoles.
Pouvez-vous expliquer en profondeur votre pensée ?
L’école privée ne tend pas seulement à dominer notre système éducatif, elle va finir par se substituer à elle si l’Etat laisse faire. Une Commission à laquelle les syndicats de l’éducation ont pris part a eu à plancher sur la problématique de l’école privée. Des recommandations phares en ont émané. Pourquoi le ministère de l’Education ne les met pas en oeuvre? Allez savoir! Nous avons également recommandé la solution de la carte scolaire. Comment comprendre que nous ayons des écoles privées dans toutes les localités, concurrençant l’école publique et que chaque village veuille son école primaire, son collège et pourquoi pas bientôt chacun son lycée? Ne voyez-vous pas que nos familles s’épuisent financièrement à cause des écolages? Cela n’est pas normal dans un pays où le revenu moyen ne dépasse pas 75000 fc.
Il faut réhabiliter l’école publique, casser le mythe de l’école privée comme unique lieu d’enseignement de qualité. D’ailleurs, les écoles privées où il est dispensé un enseignement de qualité se comptent sur les bouts des doigts. Aussi, il faut former de façon systématique et régulière les enseignants. Formation initiale et continue. Je vais bientôt comptabiliser 23 ans de service et je ne me souviens pas avoir jamais bénéficié de la moindre formation. Je suis sûr que je ne suis pas le seul. Vous savez, la science de l’éducation est une discipline qui évolue vite, des méthodes d’enseignement innovées existent et il convient de les faire acquérir aux enseignants. Nous faisons régulièrement de telles propositions mais elles ne sont pas toujours suivies d’effet. L’amélioration de la qualité des enseignements est aussi importante que l’amélioration de l’environnement scolaire. Les écoles privées de référence que compte le pays misent beaucoup sur la qualité de l’enseignement au niveau primaire. Or, l’école primaire publique est le maillon faible de notre système éducatif, et là j’emploie un euphémisme.
On vous reproche souvent d’avoir énormément d’enseignants en situation de sous-emploi dans le secondaire. Il y en a même qui auraient moins de 6 heures de cours par semaine alors que le minimun c’est 12h pour un maximum de 18h par semaine. Que répondez-vous?
Ce reproche ne me paraît pas approprié. Ce n’est pas nous qui recrutons les enseignants. Ce ne sont pas nous non plus qui les affectons. Situons bien les responsabilités dans cette affaire de sous-emploi car c’est devenu une véritable épée de Damoclès qu’on place sur nos têtes, utilisée à outrance contre nous, parfois sous forme de chantage pour nous faire plier lorsque nous déclenchons un mouvement de grève. On s’entend systématiquement seriner que nos emplois sont menacés à cause de cette situation. C’est un faux problème. Je serais même tenté de dire que c’est une fuite en avant. Pourquoi ? D’abord parce que cette situation est en partie la conséquence de la baisse des effectifs des élèves dans les établissements d’enseignement public. On veut imputer la responsabilité de cette baisse des effectifs à nos grèves. C’est faux. La grève est un droit constitutionnel. La solution à ce problème passera nécessairement par une meilleure considération de l’école publique comorienne dont vous dites avec raison qu’elle est dans un piteux état. Il faut inverser cette tendance, à tout prix.
Quelle serait donc la solution ?
Pour l’école publique, il faut dépenser presque sans compter. L’Etat le doit aux familles car il a un devoir d’éducation des enfants de la Nation. L’Etat le doit aussi à ces nombreuses familles contraintes de se saigner financièrement à blanc pour scolariser leurs enfants dans le privé alors que l’école publique est là. Beaucoup de familles en finiraient avec le goulot d’étranglement financier auquel elles doivent régulièrement faire face, si l’école publique retrouvait sa notoriété d’antant. C’est une question de priorité Etatique et gouvernementale. Pour revenir à cette question du sous-emploi, j’estime que c’est un faux problème parce que des solutions alternatives existent : j’ai évoqué la solution consistant à mettre de l’odre dans les écoles privées et l’adoption de mesures de carte scolaire, ce qui permettrait de redynamiser l’école publique en termes d’effectifs des élèves.
On peut également affecter les enseignants à des tâches parallèles, notamment les encadrements scolaires dont bon nombre de nos élèves du public ont grandement besoin, à cause de la chute des niveaux. Encore une fois, les familles dépensent beaucoup d’argent dans les cours de soutien. Si dans le public, ces cours de soutien devenaient du service public assuré par les enseignants en situation de sous-emploi, on pourrait faire d’une pierre deux coups. Vous savez, ce n’est pas le travail qui manque dans nos établissements. Et puis, même lorsque la situation sera rétablie, il faudra penser à adopter la formule des classes à effectifs réduits. Les effectifs pléthoriques contrastent avec la nécessité de parvenir à un système éducatif de qualité. Dans les pays où le système éducatif est réputé performant, le ratio est de 10 à 15 élèves par enseignant.