logo Al-Watwan

Le premier journal des Comores

Chronique / Imaginer ensemble la naissance d’un féminisme comorien

Chronique / Imaginer ensemble la naissance d’un féminisme comorien

Société | -

image article une
Il existe un type d’homme, bienheureux, Masha Allah. Sa femme, ses filles et sa sœur l’entretiennent. Il est choyé, logé, nourri, acclamé par les femmes de son existence et il a jouissance quasi-exclusive de leurs biens. Ce monsieur est comorien. Il sera le premier à s’insurger que je dénonce les injustices subies par les Comoriennes.

 

La critique qui nous est opposée le plus souvent en tant que féministes est que nous ne faisons que répéter une idéologie occidentale. On se bat pour l’accession des femmes au pouvoir ? Ahe, Wona ye mzungu ! On défend le droit à disposer de nos corps ? Ishiya woyi ne shizungu shindji ! Reste ancrée dans la croyance populaire, la conviction que tout discours d’émancipation des femmes est, soit calqué sur un modèle de féminisme exogène, soit parfaitement inutile car la société comorienne est le paradis de la femme sur terre.


Il existe un type d’homme, bienheureux, Masha Allah. Sa femme, ses filles et sa sœur l’entretiennent. Il est choyé, logé, nourri, acclamé par les femmes de son existence et il a jouissance quasi-exclusive de leurs biens. Ce monsieur est comorien. Il sera le premier à s’insurger que je dénonce les injustices subies par les Comoriennes. «Ses» femmes ne sont jamais loin derrière pour me rappeler qu’elles sont parfaitement heureuses comme elles sont et de garder mes histoires de droits des femmes en France.
C’est une critique tout à fait valide. Si les Africaines n’ont pas attendu la création d’un terme comme «féminisme» décrivant le combat des femmes pour leurs droits, on ne peut nier que c’est un concept théorisé loin de nos récifs et qui ne tenait guère compte des femmes noires en général, et des Africaines en particulier. Je comprends que des sœurs ne soient pas à l’aise avec ce terme, je comprends que beaucoup le rejette, faute de mieux.

Et les Comoriennes dans tout ça?

Mais si le féminisme est un concept importé du Nord et mal adapté à notre société, ne devons-nous pas reconnaître que le patriarcat l’est tout autant ? D’où nous viennent nos traditions d’uxorilocalité (résidence conjugale appartenant à l’épouse), de matrilocalité (maison familiale appartenant à la mère ou à sa famille) et de matrilinéarité (filiation par la mère) si ce n’est de notre héritage ethnique et culturel principal issu de la civilisation bantoue? À ces traditions mettant la femme au cœur de la cellule familiale est venue se greffer une idéologie patriarcale à travers les colonisations arabes et occidentales. Finalement, la question se pose, et si le féminisme authentique était comorien ?


D’autres régions de l’Afrique ont interrogé leur rapport au féminisme et redéfini les contours de ce concept pour qu’il épouse la réalité de revendications locales bien éloignées des préoccupations des occidentales fussent-elles blanches ou non. Le continent africain abrite ainsi plusieurs courants féministes, comme le maternalisme de Catherine Acholonu, le Womanism de Chikwenye Okonjo Ogunyemi, le Négro-féminisme de Obioma Nnaemeka, le féminisme de l’escargot de Akachi Ezeigbo ou encore le stiwanisme de Molara Ogundipe-Leslie et le Fémalisme de Chioma Opara.


Nous avons nos spécificités. Notre société est le croisement de tant d’influences différentes que cela rend difficile d’appliquer aveuglément tout mouvement importé d’ailleurs. Notre pratique de l’Islam est composite, notre langue, notre identité aussi. S’il y a des droits humains universels qui ne souffrent d’aucun relativisme culturel, l’ambition féministe d’une comorienne passe par l’affirmation de certaines différences avec nos sœurs du continent ou musulmanes ou de la diaspora. Le grand chantier d’émancipation des Comoriennes passe par la refonte du «mila na ntsi» pour «rendre» à la Comorienne, ce qui lui a longtemps appartenu. Un statut social qui n’avait rien à envier aux hommes, un statut empreint de pouvoir de décision et d’action non plus cantonné aux sphères privées ou familiales. Sortir d’un statut de régence et accéder au pouvoir de la femme complète comme les sultanes. Un statut où les matriarches qui règnent de main de maîtresse sur des clans entiers comme auparavant des royaumes, trouvent un endroit digne pour exercer leurs prérogatives. Un bangwe pour les femmes ! Ce mouvement qui, du cœur de la Famille, nous mettrait au cœur de la Cité, serait les bases premières de ce que l’on pourrait nommer le «mshe-isme».


Biheri

Commentaires