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Chronique Bee mensuelle : D’être femme et d’en mourir

Chronique Bee mensuelle : D’être femme et d’en mourir

Société | -

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Chaque année, le 25 novembre, la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes est l’occasion de rappeler la réalité des violences de genre. Naître femme est une condition qui peut vous être fatale. Tous les jours, des femmes meurent pour nulle autre raison que celle d’être femme.

 

Faisons le point sur ce que l’on appelle communément le féminicide. À l’origine, le terme “féminicide” conceptualisé par Diana Russell en 1976 est défini comme le meurtre d’une femme à cause de sa condition de femme. Des infanticides de bébés filles, à la violence conjugale, ce terme permet de révéler la dimension sexiste de ces actes qui sont souvent relayés dans les médias et traités par la justice comme de simples fait-divers ou spécificités culturelles.

“Crime passionnel”, “drame conjugal”, “crimes d’honneur” autant de dénominations couramment utilisées pour faire référence au féminicide qui occultent pourtant sa dimension sexiste. Le risque étant qu’en individualisant ses occurrences ou en les traitant comme propres à certaines cultures, on se persuade qu’on ne peut pas les prévenir ou qu’elles n’existent que dans un “ailleurs” lointain : le passé ou ces pays arriérés de peuples méchants.

Au quotidien, être une femme est mortel. C’est vivre sans jamais savoir si refuser les avances d’un homme ne va pas vous conduire à l’hôpital (pour les pays chanceux qui en ont un) ou directement à la morgue (dans les pays où ces deux lieux ne se confondent pas). La plupart du temps, le lien affectif entre le bourreau et sa victime joue même comme circonstance atténuante. Comme dans le cas du viol, la responsabilité de la victime est implicitement posée. “Il l’aimait tellement qu’il l’a tuée”.

Regardez donc autour de vous, là, maintenant. Y a-t-il une femme à vos cotés ? Si oui, il y a une chance sur trois pour qu’elle ait subi ou qu’elle subisse une violence de la part d’un homme. Oui, même votre petite fille qui joue à quelques mètres, encore insouciante, le temps de son innocence est compté. Son corps est déjà une proie potentielle pour un éventail de prédateurs. Sachez que ce prédateur est, dans la plupart des cas, un frère, un ami, un oncle. Votre fille a une chance sur trois de se faire agresser par un homme, un homme que vous connaissez déjà.

D’ailleurs, aux Comores, nous parlons plus facilement de cette violence lorsqu’elle touche les enfants. Les cas les plus médiatisés concernent essentiellement des enfants ou de très jeunes filles. L’UNFPA a relevé 506 cas de comoriennes victimes de violences ces 5 dernières années, mais cet enjeu peine à mobiliser autant que la pédophilie. En théorie, des discours rappellent chaque année religieusement les quelques chiffres de la violence sexiste dans l’espace public comorien.

En pratique, nous savons que les moyens limités ne permettent pas d’établir une cartographie précise du phénomène ni de mettre en place les solutions concrètes pour l’endiguer. Les conférences, les marches et les pièces de théâtre ne suffiront pas. L’école, le shioni, le shindoni, les ministères et le bureau du Cadi doivent devenir des lieux de défense du droit des femmes à exister dans l’espace publique en toute liberté et en toute sécurité.

Dans de nombreux débats sur le droit des femmes (une notion qui ne devrait même pas être débattue en 2017), l’idée selon laquelle les femmes devraient en faire plus pour se protéger revient très souvent. Dans un monde où les femmes peuvent payer de leur vie le simple fait d’exister, la responsabilité de l’élimination de la violence ne devrait pas reposer entièrement sur nous. C’est aux hommes de changer. C’est aux hommes que revient la lourde tâche de tenir leurs congénères pour responsables.

Cessons d’enfermer nos filles pour éviter qu’elles ne subissent cette violence et commençons à surveiller nos garçons et à les éduquer pour qu’ils n’en commettent pas. Alors que pour défendre ces sujets, nous devons nous battre pour nous faire une place dans les lieux de pouvoir, que ceux qui y sont déjà agissent. Arrêtons de dédramatiser, relativiser ou normaliser la violence sexiste qu’elle soit physique, psychologique ou sociale. Arrêtons d’alimenter la machine à détruire des femmes. Messieurs : changez.

Biheri

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