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Chronique Bee- Mensuelle : Et si nous nous révoltions contre le système ?

Chronique Bee- Mensuelle : Et si nous nous révoltions contre le système ?

Société | -   Contributeur

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Une question revient souvent dans les débats sur les femmes : “si leur sort est si peu enviable, pourquoi ne se révoltent-elles pas?” Plus facile à dire qu’à faire. Tour d’horizon non-exhaustif des raisons qui expliquent l’apathie des femmes face aux inégalités.

 

Commençons par la plus évidente. Cela n’aura pas échappé à la plupart des lecteurs : nous sommes extrêmement pauvres. La très grande majorité des Comoriennes mobilisent leurs ressources physiques et intellectuelles pour assurer leurs conditions matérielles d’existence. En simple, quand on ne sait pas comment nourrir sa famille au quotidien, la révolution des femmes arrive très bas dans la liste des choses à faire.



Un, Ma survie d’abord

De même que la révolution française a été menée par les bourgeois et la révolte d’esclaves par ceux qui avaient échappé à leur sort, pour que les femmes organisent les moyens d’une lutte pour leurs droits, elles doivent d’abord assurer leur survie.


Mais que se passe-t-il quand une partie d’entre nous atteint cet objectif ? Qu’en est-il des Comoriennes constituant la (petite) classe moyenne du pays? Quand on a la chance de vivre avec un revenu (plus ou moins) régulier? Quand on est en mesure de payer pour l’éducation de ses enfants et de mettre un toit au dessus de nos têtes, pourquoi là ne pas se révolter ?

Les femmes à ce niveau vivent un équilibre social précaire et auraient beaucoup à perdre en se lançant dans un conflit ouvert dans la communauté. La famille et le village restent la pierre angulaire de leur statut, Une fois identifiée comme fauteuse de troubles, elle passe de membre respecté de la société à paria. Il y a trop d’enjeux, trop à perdre pour ces femmes. Elles préfèrent faire profil bas et ne demandent qu’une chose en retour : qu’on leur fiche la paix.



Deux, La paix à tout prix

Certaines d’entre nous – il y en a dans chaque village - défient les normes sociales. On ne s’habille pas “comme il faut”, nous pratiquons des activités dévolues aux hommes, nous ne mettrons les pieds à la cuisine sous aucun prétexte, nous ne sommes pas pieuses ou dévotes. Nous sommes les wadjewiri. Celles qui se voient. Nous n’avons pas le bon goût de baisser les yeux quand nous croisons un regard ou de faire semblant d’être gênées quand notre leso se défait. La société nous attend au tournant. Si vous ne jouez pas selon les règles, on se fera un plaisir de les retourner contre vous le moment venu.

On ne vous invitera plus aux mashuhuli (“quelqu’un l’a-t-elle déjà vu cuisiner?”). On vous traitera avec mépris dans les manifestations publiques car on supposera que si vous ne respectez pas les règles, c’est que vous ne les connaissez pas (“shapvala ola mbushi”). Les femmes qui sont passées par là, finissent tôt ou tard par rentrer dans le rang. Elles deviennent les gardiennes les plus zélées de l’ordre social. Connaissant le coût de cette liberté, elles préfèrent que leurs filles n’y goûtent pas et qu’elles soient “bien comme il faut”.

Trois, Pour l’exemple

Enfin, notons qu’être une femme ne signifie pas être pro-femme. Les comoriennes souffrent énormément de misogynie intériorisée. Nous ne nous allions pas les unes avec les autres mais les unes contre les autres. Si nous ne sommes pas libres, nous haïssons avec passion celles qui le sont. Petites, on nous apprend à ne pas être visibles, à obéir, à ne pas se faire remarquer. Notre parole ne vaut rien. Adultes, nous détestons celles qui se montrent, qui ne restent pas à leur place, nous ne nous faisons pas confiance. Nous ne nous aimons pas. Si beaucoup ne se battent pas pour ne plus être en bas de l’échelle, c’est que pour elles, là est notre place.

Quatre, Tsi bure.

Biheri

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