Elle se répand comme une trainée de poudre sur Internet, elle est reprise dans la presse internationale avec quelques haussements de sourcils quand on constate que l’Arabie Saoudite (où les femmes viennent tout juste d’acquérir le droit de conduire) y devance la Tunisie (où la polygamie est interdite).
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Dans la Comosphère, on se gargarise. Que l’étude et sa méthodologie fondée sur la perception soient rapidement dénoncées comme fantaisistes importent peu, le mal est fait : les partisans du statu quo sur ces questions tiennent enfin leur preuve. Une preuve « scientifique » d’un mythe qu’on ne cesse de nous rabâcher : les femmes comoriennes sont privilégiées. Et quel mythe ! Un mythe que les principales intéressées, bardées de diplômes ou travailleuses aux champs, vous répéteront à l’envi du fond du lacourouni pendant que ces messieurs prennent le café confortablement installés au bandani.
Ce mythe repose sur les droits dont nous jouissons supposément. Notre société est en effet matrilinéaire (filiation par la mère) et matrilocale (résidence appartenant à la femme) mais pas matriarcale (pouvoir social aux femmes). Voyons comment ces fameux droits de la comorienne se traduisent dans le réel, une fois les chaises du mashuhuli, l’or du mtao et les billets crissant sur la belle robe soigneusement comptés et rangés.
La maison serait notre droit inaliénable? Vrai.
Quoique.
Ce droit s’applique de manière variable selon votre statut social, marital et votre place dans la fratrie. Si vous êtes une moina anda, bien née et mariée, votre foyer est votre droit. Attention toutefois à ne pas le prendre pour un droit individuel ! Cette maison construite par votre famille (normalement) ou par vos soins (de plus en plus souvent) appartient… à tous ! Vous y accommoderez votre frère jusqu’à ce qu’il prenne épouse, et son épouse si celle-ci n’a pas de maison, vos neveux… ou tout membre de la famille en quête d’un toit. Ça, c’est donc pour les plus chanceuses d’entre nous.
Parlons maintenant des femmes qui arrivent quatrième ou cinquième d’une fratrie de cinq ou plus. Votre famille n’a sûrement pas les moyens de construire cinq ou six maisons neuves, ni autant d’étages au-dessus de la maison du moina anda. Qu’à cela ne tienne : vous hériterez de terrains. Débrouillez pour construire et la maison sera vôtre.
Quoique...
Là encore, lisez les petits caractères au bas de ce contrat social pour en connaître les limites. Ce terrain est votre propriété, de droit, mais un bien familial, de fait. Il sera souvent géré par votre oncle maternel, votre frère ou votre mari. Exploitation agricole, commerces, immobiliers… même si le terrain vous appartient, tout ce qu’il rapporte est à eux. Puis il sera vendu ou hypothéqué pour permettre à la famille de faire face à une mauvaise passe, financer une expatriation ou payer le mariage d’un congénère (souvent l’oncle ou le frère en question). De même que le sera votre or si vous parvenez malgré ces écueils à construire et à vous marier.
Résumons : ce qui appartient aux hommes, leur appartient. Ce qui appartient aux femmes, appartient à tous. Comment fonctionne une société qui donne des droits aux femmes sans que celles-ci puissent en bénéficier exclusivement ? Par régence. Être reine, sans régner. Présidente sans exercice. Loi sans promulgation. Impuissantes. Ces droits sont un leurre qui maintient les Comoriennes sous tutelle. Accusées tel Ibunasua, de kinaya de droits que nous humons seulement. Comme si l’odeur d’un maele remplissait autant le ventre que ceux qui s’en goinfrent par nkode tout l’été. Venez me reparler de mes privilèges quand, installée au bangwe, j’aurais vraiment voix au chapitre. Allez vous vanter de nos privilèges quand nous occuperons les lieux de pouvoir au même titre que les hommes, à commencer par notre propre salon.
Biheri