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Chronique Bee mensuelle: le féminisme en questions

Chronique Bee mensuelle: le féminisme en questions

Société | -   Contributeur

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"Les comoriennes mettent en place leurs propres stratégies de survie dans une société qui ne leur permet pas de faire ce qu‘elles veulent quand elles le veulent. Ce n’est pas toujours un féminisme militant qui se décline en slogans et structures officiels, mais plutôt un féminisme du quotidien".

Qu’est-ce que le féminisme ?

Je dirais qu’il n’existe pas “un” féminisme de la même façon qu’il est impropre de parler de “la” femme comme un tout monolithique. Il y a “des” femmes et “des” féminismes et ils ont tous pour vocation de défendre le droit des femmes dans toute leur diversité. Féminisme africain, Womanism, Black Feminism, Afro-féminisme, Féminisme musulman… etc. Le dénominateur commun à ces féminismes, c’est le constat de l’inégalité des droits et de traitement entre hommes et femmes. De ce constat, les vécus, stratégies et objectifs ensuite diffèrent voire parfois divergent.

N’est-ce pas une idéologie imposée par l’occident ?

On ne peut pas nier la dimension coloniale d’un mouvement qui a été nommé et théorisé en Occident. Mais je pense que le féminisme existe depuis aussi longtemps que les femmes ellesmêmes. Nos récits et notre histoire sont pleins de ces figures féminines qui ont défié l’ordre établi ou refusé de se conformer au rôle-type que la société leur a assigné. Elles n’étaient peut être pas destinées à régner, faire un travail manuel ou intellectuel, à voyager, entreprendre, être influentes mais elles l’ont fait. Aujourd’hui, on les décrirait comme des féministes !


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Existe-t-il un féminisme comorien ?

Bien sûr! Les comoriennes mettent en place leurs propres stratégies de survie dans une société qui ne leur permet pas de faire ce qu‘elles veulent quand elles le veulent. Ce n’est pas toujours un féminisme militant qui se décline en slogans et structures officiels, mais plutôt un féminisme du quotidien. Nos mères n’ont pas toutes eu accès à l’école par exemple. Décider de donner une éducation –et vu le coût, c’est un vrai engagement – à tous ses enfants, garçons et filles, et leur donner les mêmes opportunités dans la vie ? Faire le choix de quitter son conjoint, subvenir aux besoins de la famille malgré le qu’en-dira-t-on ? Ce sont des actes féministes. Le féminisme comorien ne dit pas son nom et souhaite préserver les apparences. Il fait avancer sa cause, sans tambour.

Quels droits pourraient revendiquer les comoriennes qu’elles n’ont pas déjà ?

Le sujet est vaste ! Soulignons d’abord que nous ne sommes pas logées à la même enseigne. Certaines comoriennes, de par leur statut social, bénéficient de droits, d’infrastructures et de libertés inaccessibles à la citoyenne lambda. Sexualité, éducation, violences, IVG… il est urgent que nous qui avons les moyens matériels de se faire soigner, de choisir ou quitter nos partenaires conjugaux, de circuler dans l’espace public dans la sécurité d’une voiture personnelle ou d’avoir des diplômes, nous battions pour étendre ces capacités à l’ensemble des comoriennes.

Il y a aussi tout un code civil à dépoussiérer! Notre législation est basée sur deux influences coloniales: le droit français et celui hérité des arabes.

Ces deux influences sont issues de sociétés patriarcales et se superposent à un droit coutumier comorien matrilinéaire. Nous avons énormément de travail à faire afin de trouver un équilibre.

Un message à adresser aux lecteurs ?

Merci de votre soutien ! Les mentalités évoluent et vous en êtes la preuve. Pour faire avancer la cause des femmes, commencer par observer la réalité des femmes de votre vie. Dans quelles conditions votre mère vous a élevé, quels défis votre femme doit-elle relever, donnez-vous les mêmes opportunités à vos filles qu’à vos fils? Vous croyez en l’égal traitement entre hommes et femmes, mais comment cette conviction se traduit-elle au quotidien ?

Aux lectrices ?

Je souhaite que toute l’énergie, la force et l’ingéniosité que vous injectez dans ce monde pour le faire tourner vous le soit rendu décuplé. Vous tenez à bout de bras le poids de cette société. C’est notre propension à plier comme un roseau, cette flexibilité face aux épreuves, notre habilité, notre capacité à se faufiler, s’infiltrer comme l’eau d’un ruisseau trace le lit d’un fleuve, qui assure que ce pays ne s’effondre pas sous le poids des inégalités. De la même façon que nous nous battons pour les autres, nous devons nous battre aussi pour nous. Et cette lutte n’est pas contre les hommes, c’est une quête de pouvoir et de liberté.

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