Aujourd’hui, c’est la mémoire de celles qui ont contribué à l’avancement des Comores, mais qui ne sont plus là pour en parler, que je souhaite invoquer. Mes connaissances en histoire comorienne sont rudimentaires mais cela ne m’a réellement interpellée que lorsque j’ai lutté pour trouver des noms de comoriennes entrées dans l’histoire. Les esprits chagrins pourraient répondre “et si aucune comorienne n’avait fait quoi que ce soit pour le mériter ?”.
Mais même les critiques de très mauvaise foi ne peuvent nier que la probabilité qu’un pays ait pu progresser sans aucune contribution féminine, est nulle. Nous savons qu’il y avait des femmes dans les rangs des indépendantistes, qu’elles ont fait partie de la résistance anticoloniale.
Nous savons que des femmes ont inventé une quantité de remèdes, d’outils, d’expressions, que des femmes ont été pionnières dans bien des domaines: première à conduire, première à voter, première à diriger, première ministre, première à exercer la médecine, première à devenir milliardaire.
L’indépendance reconnaît plusieurs pères mais n’aurait pas été enfantée par l’entremise de femmes ? Qu’est-il advenu de nos bâtisseuses, nos inventrices, nos militantes, nos historiennes orales, nos guérisseuses ? L’histoire ne retiendra pas leurs noms. Est-ce un hasard ? Je ne crois pas. Est-ce une fatalité ? Certainement pas.
Les historiens comoriens entreprennent sous nos yeux le long travail d’écriture de notre histoire, dans chaque événement, à chaque tournant, qu’ils s’interrogent: où étaient les femmes ? Que faisaient les femmes ? Cet événement aurait-il pu se produire sans elles ? Car nous sommes là, bien que largement ignorées, nous sommes bel et bien actrices du développement aux côtés des hommes.
Mais ce n’est pas seulement aux historiens de faire réapparaître les figures historiques féminines dans nos mémoires. Nous avons tous un rôle à jouer. Que l’on s’interroge tous: “quelles femmes se sont illustrées dans ma famille ?”.
Des noms, des personnalités émergeront. Et dans chaque village et chaque région, on pourrait s’enorgueillir d’avoir été le berceau qui a donné naissance à de telles figures. Ces noms émergeraient du passé, sortiraient de l’anonyme tombe où nous les avons reléguées, pour passer à la postérité.
Je commence. Je voudrais rendre hommage aux femmes qui ont marqué l’histoire familiale. Ma mère, Ralia Aboudou Dafiné, avait créé son mouvement politique et s’était présentée aux législatives à 30 ans.
Ma grand-mère maternelle, Salima Mmadi Ibouroi, qui a appris à lire, écrire et compter en autodidacte, n’ayant pas eu le droit d’aller à l’école. Ma coco fut longtemps la gardienne de but attitrée de l’équipe de son quartier pendant sa jeunesse à Madagascar.
Avoir été privée d’éducation et mariée à 15 ans, ne l’ont pas empêché de créer des commerces florissants une fois adulte, de militer pour le parti Vert, d’être l’une des premières comoriennes à conduire une voiture, puis une Vespa, puis un taxi, tout en continuant à assouvir sa passion pour le football.
Mon arrière grande tante maternelle, Paouni Hadamou surnommée “De Gaulle” car elle fut la seule civile a être parvenue à faire la traversée entre les Comores et Madagascar à bord d’un navire militaire qui transportait également le Général.
Mon arrière-arrière grand mère, Moina Fatima Mbae, fut la première femme fundi à ouvrir un palashio à Ikoni. Ceci n’est qu’un aperçu infime des accomplissements formidables des femmes à ma petite échelle, sur une seule branche et un seul village.
Combien de mes cocos à Ntsaweni, Fumbuni, Majunga ou Zanzibar se sont-elles illustrées à leur époque en défiant les normes et ouvrant la voie pour nous ? Combien des vôtres ? Les connaissez-vous ? Partagez leur mémoire avec nous, aidez-nous à remplir le vide immense laissé dans notre histoire par leur absence.
Biheri