Le débat a été relancé la semaine dernière par l’actuel ministre de l’Intérieur. Au cours d’une conférence de presse qu’il a tenue le samedi 9 août, le premier flic du pays, annonçant le lancement des contrôles d’identité, a qualifié «d’illégales» les activités qu’exercent certains étrangers, faisant du porte-à-porte sans se régulariser. Le ministre a saisi cette occasion pour rappeler «qu’il y a des commerces réservés aux nationaux».
Une déclaration qui n’est pas passée inaperçue. Il faut savoir que, pour l’heure, aucune loi n’interdit des commerces particuliers aux étrangers. En revanche, des voix appellent les autorités à adopter de telles mesures. Parmi ces personnalités, l’ancien ministre de la Justice, Fahmi Saïd Ibrahim. L’avocat a réitéré sa proposition la semaine dernière, après que la présidente tanzanienne, Samia Suluhu, a interdit aux étrangers l’accès à 15 services de petites échelles pour protéger les petites entreprises. Cela faisait suite à une grogne de beaucoup de Tanzaniens qui s’estiment étouffés par les étrangers dans certaines activités.
Aux Comores, on n’en est pas encore là. «S’il y a des métiers pour lesquels il n’y a pas de compétences nationales, cela ne me dérange pas qu’un étranger le fasse. Je parle, pour ma part, de commerçants. Ce sont ceux qui achètent un bien fini et le revendent en rajoutant une plus-value. Pourtant, les Comoriens savent acheter et revendre. Je préfère réserver le commerce aux Comoriens démunis qui viennent des régions les plus reculées pour faire du commerce. Que vont-ils devenir ces petits commerçants comoriens si le commerce est tenu par des étrangers», s’interroge Me Fahmi Said Ibrahim, soutenu par la nouvelle Opaco.
«Notre salut passera par cette restriction. Beaucoup de Comoriens vivent de ces petits commerces et ne sont pas en mesure de faire face à cette concurrence déloyale. Je suis surpris d’entendre des gens parler de xénophobie. Ce n’est pas le sujet. Comment autoriser ce que ces mêmes étrangers nous refusent chez eux ? C’est une aberration», pense Hamidou Mhoma, vice-président de l’organisation patronale Opaco. Le patron de l’entreprise Graphica considère que les étrangers opérant dans l’informel constituent une menace pour l’économie locale.
Manque de structuration
Si la même vision est appuyée par l’Uccia, l’ex-président de cette institution ne la partage pas du tout. « Aux Comores, certes il y a des étrangers qui exercent dans le commerce, mais la plupart paient leurs impôts et taxes douanières, donc participent au financement de l’État. Une infime partie exerce dans l’informel, comme la majorité des commerces tenus par des Comoriens. Ces derniers doivent se conformer à la loi, se formaliser et payer leurs impôts, et non être chassés», plaide Fahmy Thabit, selon qui le problème n’est pas les étrangers. «C’est le manque de structuration et de diversification de notre tissu économique local où un grossiste est en même temps semi-grossiste et détaillant, où tout le monde peut être importateur, où aucun corps de métier n’est structuré, où les secteurs qui pourraient créer des emplois, notamment dans l’agriculture, sont dans l’informel», illustre-t-il.
Pour les partisans de l’exclusion des étrangers du petit commerce, notre pays ne serait pas le premier à adopter une telle mesure. «Si soutenir que le commerce doit être réservé aux Comoriens, c’est du populisme, alors je le suis et je le revendique, comme le sont les Malgaches, les Seychellois, les Mauriciens, les Tanzaniens, les Kényans et la plupart des États du monde. Je ne leur demanderai pas pardon. Je suis ouvert au reste du monde, mais notre pays ne doit pas devenir la poubelle de l’océan indien », défend Fahmi Saïd Ibrahim, ancien ministre des Affaires étrangères.
Ce dernier réitère son invitation aux étrangers à venir aux Comores, mais les exhorte à commencer par investir, car il estime qu’«aucun pays au monde ne délivrerait un visa pour s’installer et commencer directement à faire du commerce». Sur les réseaux sociaux, certains internautes estiment que limiter le commerce aux seuls nationaux revient à confondre protection et isolement. « Beaucoup de voisins, notamment des Malgaches, ont toujours été présents dans nos marchés et vendaient avec nous. Le problème, ces dernières années, c’est qu’ils sont de plus en plus nombreux, faute de contrôle de la part de nos autorités », déplore un vendeur ambulant rencontré à Volo-volo.
Certains étrangers exercent « sans patente, ni numéro d’identification fiscale, ni registre du commerce, et se livrent au porte-à-porte », une pratique jugée « illégale » par de nombreux observateurs du secteur. «Ces derniers n’ont pas les titres et statuts requis pour exercer des activités commerciales, et encore moins pour pratiquer le porte-à-porte. Le ministre de l’Intérieur agit pleinement dans ses prérogatives », affirme le secrétaire général de l’Uccia, Mondoha.