Instituée par la loi n°23-015/AU du 27 juin 2023, la Commission nationale des droits de l’homme et des libertés (Cndhl) a pour mission principale la promotion et la protection des droits de l’homme sur l’ensemble du territoire national. Mais si pour certains elle remplit pleinement ce rôle, d’autres au contraire l’estime inutile. Pour Me Abdoulbastoi Moudjahidi, avocat au barreau de Moroni, le «mutisme» de la Commission face à certaines atteintes graves aux droits humains est inadmissible. Il considère que ce silence est perçu par la population comme une « complicité passive, ou pire, comme une soumission politique ». Selon lui, « quand une commission ne dérange jamais, elle ne remplit pas sa mission ».
L’avocat pointe notamment les arrestations arbitraires, les restrictions des libertés et les bavures policières, sur lesquelles la Cndhl ne se serait pas suffisamment exprimée. Il estime que « son absence de voix équivaut à une abdication ». Sur la question de son indépendance, Me Moudjahidi se montre tout aussi critique. Il reconnaît que les textes fondateurs de la Cndhl sont conformes aux normes internationales, mais note en même temps que «l’indépendance ne se décrète pas, elle se prouve». Il appelle à une réforme profonde de l’institution : « La solution ? Une clarification urgente : soit la Cndhl assume son rôle de contre-pouvoir, quitte à critiquer l’État, soit elle perdra toute légitimité», pense-t-il.
Autonomie, contraintes
À l’inverse, Me Abdou Elwahab Msa Bacar, juriste, appelle à une lecture plus nuancée du rôle de la Commission. Il rappelle que celle-ci est «une institution publique dont le budget est inscrit dans la loi des finances» et que ses rapports sont systématiquement transmis aux autorités compétentes avant publication. Cela expliquerait, selon lui, la discrétion de la Commission sur certaines affaires sensibles, en particulier celles déjà entre les mains de la justice. Il insiste également sur la portée de son action en matière de promotion des droits humains, en évoquant la formation, les séminaires, les plaidoyers et l’amélioration du cadre législatif.
Pour lui, « la Cndhl est nécessaire à bien des égards » et «n’a aucunement failli à ses missions telles que sont prescrites par la loi du 27 juin 2023». Quant à l’indépendance, Me Msa Bacar affirme que la loi est claire : les membres de la Commission «ne reçoivent d’instruction d’aucune autorité ». Il reconnaît néanmoins que « reste la question des compétences de ses membres», un point sur lequel la loi exige probité, bonne moralité et engagement avéré pour les droits humains.
«Discrète » mais «réelle»
Plus sévère encore, Mouigni Baraka Saïd Soilihi, ancien gouverneur de Ngazidja, remet en cause la légitimité même de l’institution. Il affirme que «cette commission a été reconduite par pression peut-être de certains partenaires », après avoir été dissoute par le président Azali Assoumani «en même temps que la Cour constitutionnelle». Depuis, selon lui, elle fonctionne «sous les directives de Beit-Salam» et n’a, dès lors, «aucune crédibilité aux yeux de l’opinion». Face à ces critiques, Anis Ibrahim Youssouf, conseiller juridique à la Cndhl, défend le travail de l’institution. Il réfute l’idée d’un silence ou d’un désengagement.
«Nous ne pensons pas qu’il y ait silence sur les faits ayant marqué l’évolution des droits humains dans ce pays », dit-il. Il explique que les communiqués de la Commission, bien que peu médiatisés, ont un impact ciblé, notamment sur les organisations concernées. Il insiste également sur la complexité de la mission. «L’attente du citoyen est pressante certes, mais nous […] avons plusieurs manières de porter satisfaction, pas par des propagandes pour plaire au public», soutient-il. À ses yeux, juger la Cndhl sur une affaire unique relève d’un «narcissisme » qui ne sert pas l’intérêt général.