Une cérémonie religieuse à la mémoire de l’ancien président Saïd Mohamed Djohar a été organisée hier mardi 30 juillet à Mde ya Bambao. Il s’agit de la 19eme commémoration de la mort de l’ancien raïs, décédé dans la nuit du 23 février 2005 à son domicile de Mitsamihuli. La sobre séance d’invocations a été pilotée par l’association Al-Beit Rasulilah, selon l’ancien ministre des Affaires étrangères, Saïd Mohamed Sagaf. «Nous sommes réunis pour la 19eme commémoration de sa mort», a-t-il souligné sans commentaires.
Un grand commis de l’Etat
Les familles des défunts présidents s’organisent pour faire vivre et perpétuer la mémoire des grandes personnalités et hommes politiques du pays en l’absence de veillées commémoratives officielles propres à chacun d’eux. L’Etat a toutefois fait le choix d’honorer tous les anciens chefs d’Etat à la veille de chaque fête nationale de l’indépendance à l’occasion d’une prière collective organisée régulièrement en leur mémoire dans l’une des mosquées de la capitale.
Décédé à l’âge de 87 ans, Saïd Mohamed Djohar surnommé « Papadjo » faisait partie de la première génération de l’élite politique comorienne, comme Saïd Mohamed Cheikh, depuis l’autonomie interne jusqu’en septembre 1995. Il est membre fondateur du parti « Udzima ». Né en août 1918 à Majunga à Madagascar, il était enseignant de formation, instituteur dans de nombreuses écoles des îles, directeur de l’enseignement, plusieurs fois ministre, président de la Cour suprême, assurant l’intérim du président après l’assassinat, en novembre 1989, d’Ahmed Abdallah Abderemane. Il sera élu président de la République fédérale islamique des Comores (Rfic) à l’issue des premières élections multipartites organisées en mars 1990. Considéré comme le «Père de la Démocratie» aux Comores, l’ancien chef de l’Etat a été le principal reflet des Comores nouvelles en devenant le symbole du multipartisme et du pluralisme des médias aux Comores.
Rébellion, scandales et péripéties politiques
Le règne de «Papadjo» sera toutefois marqué par une série de faits, d’évènements, de scandales et de nombreuses péripéties politiques organisées souvent à son insu, selon de nombreux récits confirmés par de nombreux collaborateurs. L’on citera notamment l’affaire «Inter Trade», très documentée, du nom de cette corruption à grande échelle, mêlant affairisme et blanchiment d’argent au sujet d’un bateau de matériels agricoles, entre autres, et supposés destinés faussement à l’Etat comorien. Elle avait impliqué de gros dignitaires du régime de l’époque. Certains qui occupaient des postes stratégiques, travaillaient en intelligence avec de réseaux mafieux extérieurs, avaient reconnu les faits à demi-mot.
Outre la rébellion de 1992 ayant mis à nu des complicités d’hommes politiques comoriens, l’on notera aussi « l’affaire Ashley », du nom d’un certain Lord Ashley Rowland, à l’origine de la liquidation de l’unique compagnie aérienne du pays, Air Comores. « Tout se faisait à l’insu du président, ça je peux vous confirmer, le président avait une volonté de redresser bien le pays mais se heurtait à des obstacles érigés par certains. Il y avait une mafia qui avait entouré le président », a fait savoir hier un juriste qui travaillait à la présidence à l’époque, installé depuis 20 ans en France.
Tout seul contre les forces occultes
Le pouvoir de « Papadjo » sera aussi marqué par un fait inédit, gravé dans la mémoire de nombreuses générations. Il s’agit du fameux Plan d’ajustement structurel (Pas) caractérisé par des départs massifs à la retraite anticipée et d’énormes coupes budgétaires dans presque tous les services et institutions publics, entrainant de facto un abandon complet des programmes d’investissements dans de nombreux secteurs stratégiques comme l’agriculture et la pêche. Après le diktat des institutions de Brettons Wood, le Fmi et la Banque mondiale, l’on assistera aussi à une privatisation systématique des sociétés et entreprises publiques. Mais celles-ci vont finalement disparaître méthodiquement et mécaniquement. Socovia, Sopac, Comores- Import, Imprimerie nationale, Air Comores, Nasico, entre autres.
Pacifique, pieux et croyant bien connu, Saïd Mohamed Djohar se fiait aux gens avant d’être trahi par ceux-là même censés le protéger contre les assauts des réseaux de déstabilisation du pays. Le monde vivait une époque agitée, marquée notamment par la fin de la Guerre Froide, la chute du Mur de Berlin, la libéralisation généralisée de l’économie après le triomphe du Capitalisme et le discours de La Baule de François Mitterrand. Le président Saïd Mohamed Djohar s’est battu pour poser les bases d’un vrai développement mais les forces occultes qui rodaient malhonnêtement autour l’empêchaient d’agir efficacement, selon certains collaborateurs immédiats. «Des blocages partout, on lui mentait régulièrement avec des fausses notes de renseignements», ajoute notre interlocuteur
Tenace et implacide face à Bob Denard
La période (1990-1995), malgré la série noire des scandales, a été toutefois marquée par des réformes structurelles importantes avec l’adoption des grandes lois-cadre du pays. Education, sécurité sociale, environnement, agriculture, pêche, Fonction publique, sécurité intérieure, Code de la nationalité, Immigration/Emigration. Mais leur mise en œuvre sera compliquée par l’instabilité ayant emmaillé son règne. Le président Saïd Mohamed Djohar fera aussi face à la première rébellion en 1992, financée par ses adversaires politiques. Malgré cet épisode, il continuera son chemin avant le coup d’Etat qui le renverse le 28 septembre 1995.
Un groupe de mercenaires français débarque aux Comores et séquestre le chef de l’Etat qui restera toujours tenace et implacide face à Bob Denard au Palais de Mrodju.Le mercenaire sera même étonné du comportement du raïs, selon le récit de cette longue nuit de déportation, livré par «Papadjo» lui-même dans une longue interview accordée en 2005 au journal Kashkazi. Transféré à l’île Bourbon, «Djohar» rentre au pays après la fin de l’opération «AZALEE» menée par un détachement de l’armée française, basée à l’Ile de la Réunion, et qui a permis de mettre fin aux outrances de Bob Denard aux Comores depuis 1978.Le président Saïd Mohamed Djohar se retire définitivement de la vie politique après cet épisode douloureux de l’histoire politique du pays et vivait, reclus, à Mitsamihuli avant de rendre l’âme dix ans après.
La séance religieuse d’hier à Mde ya Bambao où il repose en paix, a permis aux participants de «se remémorer des qualités humaines» de l’ancien président. A la lecture de nombreux documents consacrés à «Papadjo», on peut dire que l’ancien président était en avance dans les idées, souvent incompris, mais toujours «engagé dans une dynamique de changement après son élection», selon ses proches, mais, en même temps, les mains liées, il s’est heurté, aux dures réalités de l’histoire et surtout à la maturité limitée d’un pays qui venait à peine de fêter ses quinze années d’indépendance.