Des acteurs de la justice ont salué, hier, l’opérationnalisation du Conseil supérieur de la magistrature mis en place en août 2020. Lundi 21 juin, le chef de l’Etat, Azali Assoumani, a présidé la première réunion ordinaire à Beit Salam, la première en 46 ans d’indépendance. Le premier statut a été élaboré et adopté en 2005. La loi portant création du Conseil supérieur de la magistrature a été adoptée en décembre 2015 sous le N°015-013/Au.
«C’est la première fois dans l’histoire de la magistrature qu’un président convoque le Conseil et ordonne son entrée en fonction», a rappelé le ministre de la Justice, Mohamed Housseine Djamalilaili, magistrat de carriere. «La première réunion du lundi a été consacrée à l’examen et à l’adoption du premier règlement intérieur. Maintenant, le Conseil peut se mettre au travail», a-t-il ajouté.
Magistrats, avocats, notaires et huissiers de justice qualifient «un acte symbolique» en référence à l’initiative prise pour rendre opérationnel cet organe dont le rôle et de discipliner le travail de ceux qui rendent la justice et les sanctionner en cas de violation flagrante de la loi. Les professionnels du droit se félicitent de la volonté politique de parachever le système judiciaire comorien et surtout de soumettre tout le monde à la loi. L’entrée en fonction du Conseil supérieur de la magistrature met ainsi fin à la théorie de l’injusticiabilité des juges.
Les magistrats étaient, jusqu’ici, les derniers citoyens qui ne pouvaient pas être entendus et poursuivis en cas de fautes professionnelles dans l’exercice de leurs fonctions. «Il n’y avait aucune possibilité de poursuivre un magistrat en cas de violation des règles déontologiques», explique le procureur général, Soilihi Mohamed Djaé qui précise que la mise en place de cette structure boucle le processus de parachèvement des institutions au sein de la justice.
Révolutionner les mœurs judiciaires
Pour lui, l’entrée en fonction de cet organe permet surtout de faire respecter la notion sacrée de «justice pour tous» sans distinction de catégories et de statuts. «Même le président de la République est soumis aux lois, tout le monde est soumis à la loi, il ne restait que les magistrats. Le conseil va maintenant statuer en cas de faute commise par un juge», clarifie Soilihi Mahamoud, le secrétaire général du Conseil. Les acteurs immédiats de la nouvelle structure parlent d’une étape importante vers le renforcement du travail de balisage de la vie judiciaire.
Dans l’imaginaire collectif, ceux qui rendaient les décisions de justice échappaient à toute poursuite lorsque celles-ci soient mal rendues ou fassent l’objet de griefs de la part des parties au procès ou d’un citoyen ordinaire.
«Avec le conseil, le pays vient de franchir un grand pas. Il faut que tout le monde soit redressé dans le cadre de la loi, pour moi, le conseil c’est une très bonne chose», reconnait, avec fierté, le bâtonnier de l’Ordre des avocats, Me Mohamed Abdouloihabi.
Un sentiment partagé par le porte-parole de la chambre nationale des notaires des Comores. «Aujourd’hui, le juge ne peut pas faire ce que bon lui semble en ayant en tête qu’aucune procédure ne pourrait être intentée à son encontre. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas car le magistrat sait qu’il peut à tout moment être traduit devant un conseil de discipline. Pour moi, c’est un grand pas décisif», nous dit Me Ascandar Ibouroi. Me Mohamed Abdouloihabi, qui a passé une bonne partie de sa carrière à dire la loi, estime que la mise en place du Conseil est une étape, la pertinence de ses décisions en sera une autre.
A l’entendre, les acteurs impliqués devraient, tout comme, les avocats, faire preuve d’un sens élevé de l’éthique professionnelle.
«Pour moi, c’est une avancée, mais il faut savoir que ce sont des magistrats qui vont juger un magistrat, tout comme ce sont des avocats qui jugent un avocat. Je crois qu’aujourd’hui, le plus important est de faire en sorte que nous tous fassions preuve de responsabilité. Il y a une volonté politique clairement affichée, il faut saisir cette occasion pour aller positivement de l’avant», a souligné le bâtonnier. Et, selon nos sources, cette volonté de révolutionner les mœurs judicaires résume les règles d’engagement des 27 membres du Conseil supérieur de la magistrature. (Lire encadré).
Un effet dissuasif
Le chef de l’Etat, après avoir ouvert les travaux, a exprimé, avec persistance, son souhait de voir le pays garantir suffisamment la sécurité juridique à tous, les investisseurs étrangers en particulier. «Vous n’avez pas droit à l’erreur, vous devez prendre toutes les mesures pour assurer la sécurité des citoyens et protéger les capitaux des investisseurs étrangers. L’émergence du pays ne peut pas se faire sans la sécurité juridique pour tous et l’intégrité de la justice», a dit Azali Assoumani, cité par un membre présent à cette première réunion.
L’allusion faite est claire. «Le fait qu’un citoyen puisse saisir le Conseil en cas de fautes ou d’erreurs, c’est déjà pousser ceux qui rendent les décisions de justice à redoubler encore de vigilance», estime le procureur général, Soilihi Mohamed Djaé. Reste maintenant à rendre vivante la volonté politique et à mettre tout le monde dans le même état d’esprit, comme l’attendent voir certains acteurs du système. «Le conseil, c’est une initiative salutaire, maintenant, il se posera l’application effective des mesures», relativise Me Abdou El-Hamid, huissier de justice.
Le secrétaire général Soilihi Mahamoud tente de schématiser la volonté irréversible de sanctionner les magistrats en cas d’anomalies dûment constatées. «Si le règlement intérieur est adopté, cela veut dire que désormais, les magistrats sont justiciables. Il n’y a rien à douter encore», répond-il, ajoutant que le Conseil marque «le début de la fin des désordres».
Le Conseil aura «un effet dissuasif» et est perçu comme «un indicateur majeur» de l’Etat de droit dans un pays. «Déjà, le fait que maintenant tout le monde sans exception soit soumis aux lois sans distinction de statut, cela montre que le pays marque des points. Un Etat de droit, c’est un Etat où tout le monde est soumis au droit. Aujourd’hui, on voit les magistrats qui pourraient être poursuivis et traduits en conseil, on ne peut que se féliciter», admet le porte-parole des notaires, Me Ascandar Ibouroi. «Toute initiative qui lutte contre l’impunité et les traitements de faveurs participe toujours à la consolidation de l’Etat de droit dans un pays», nuance le chef du barreau de Moroni, Me Mohamed Abdouloihabi.
AS Kemba