A l’horizon, du port de Moroni, aucune trace de porte-conteneurs. Pourtant les étagères des supermarchés restent désespérément vides. Les congélateurs semblent éventrés et ont piètre allure. Eux aussi attendent d’être remplis. Cela fait des semaines que le comorien habitant surtout à Ngazidja peine à se nourrir. La viande et le poulet carnés sont portés disparus, avec des appels d’air sporadiques qui durent le temps d’une cargaison. La caissière de ce supermarché du nord de la capitale ne sait pas jusqu’à quand cette situation va durer. «Je ne vends plus grand-chose, voyez par vous-même, je n’ai ni ailes ni cuisse et je n’ai pas non plus de viande», dit-elle, en me montrant du doigt les étalages et congélateurs vides de son commerce. Ici, il y a bien du poulet entier, à 1000 francs la pièce, mais il est si gris, si émacié, qu’il en est repoussant. Les clients ne s’empressent pas non plus de franchir le pas de la porte. A midi de ce jeudi, à part deux ou trois employés, le supermarché était inoccupé.
A la sortie, nous rencontrons une dame, Sitti Mohamed, retraitée. «Dans une boutique, non loin de Volovolo, j’ai trouvé des ailes de poulet mais le prix du kilogramme, 1500 Kmf, était rédhibitoire», a-t-elle relaté, un brin exaspérée. Maintenant, elle regrette de ne pas en avoir pris, consciente qu’il était fort possible qu’elle ne puisse plus s’en procurer. Une augmentation de 50% car en temps normal, les Mabawa coûtant 1000 Kmf le kilogramme. Mercredi, Riama, une jeune femme, a pu en trouver dans les dédales de la médina de Badjanani à 1 300 le kilogramme après avoir passé quelques coups de fil.
Du poisson «sénégalais»
Sur le trottoir d’en face, un autre commerce et à part de la viande hachée et des saucisses, il n’y a rien. «Je ne sais pas quand est-ce que nous recevrons nos produits carnés, nous en avons eus il y a une dizaine de jours mais ils ont vite fait de s’écouler», a assuré un employé. Il y a bien du filet mais à plus de 9000 Kmf les 1000 grammes, c’est un produit de luxe qui ne concerne que très minoritairement les Comoriens. D’ailleurs, ses principaux acheteurs sont les restaurateurs.
Alors un petit trafic se met en place pour pallier au vide. «Des kwasas quittent Ndzuani qui connait moins la crise avec des cartons de cuisses et de viande pour les écouler ici dans une parfaite insécurité sanitaire et au mépris de la chaine du froid», a assuré un opérateur économique sous le sceau de l’anonymat. L’Institut national de recherche et l’agriculture, la pêche et l’environnement (Inrape) devrait d’ailleurs se pencher sur ces produits qui ne répondent pas aux normes. «Ces cargaisons» sont vendues dans les faubourgs de la capitale, principalement à Caltex et Volovolo, selon une source autorisée.
Le seul espoir réside dans l’arrivée de conteneurs frigorifiques au port de Moroni pour soulager la population. «Le navire Cma-Cgm, principal transporteur de conteneurs Reefers (réfrigérés) est attendu dans 3 semaines, un mois, entre-temps, peut-être, qu’il y aura un bateau de Spanfreight mais il ne faut pas s’attendre à beaucoup de conteneurs ; peut-être 4 ou 5 par là en attendant celui de Cma-Cgm», croit savoir un connaisseur du milieu.
Et comme si cela ne suffisait pas le poisson se fait rare sur les étals des principaux marchés de la capitale. La bonite, poisson populaire se vend entre 2000 et 2500 francs voire plus, le thon rouge est à 3 000 quant aux espèces les plus prisées, elles sont entre 3 500 et 4 500 francs. «Les gens achètent parce qu’ils n’ont pas le choix, ils savent que le prix du poisson est comme celui de la tomate, il fluctue en fonction des saisons», a fait valoir Soilahoudine Ahmed Saïd, un vendeur de poissons, rencontré sur la chaussée bordant le vieux marché. Et de ponctuer sa phrase d’un ton définitif : «ces prix, c’est la mer qui les impose, moi je prends le risque de la prendre, cette mer agitée et houleuse, et forcément le coût en est impacté».
Probable délivrance au 30 juin
A l’entrée du marché lui-même, une dame est assise. Moinaécha Hamadi, originaire de Hantsambu est elle aussi une vendeuse de poisson. Celui qu’elle cherche à écouler est tout sauf du poisson frais. «Je vends du poisson, on me dit qu’il vient du Sénégal généralement, il n’est pas très prisé des Comoriens mais comme le poisson frais est rare, ils me le prennent à raison de 1 250 Kmf», a-t-elle argué. Les Comoriens, peuple insulaire, se résoudront-ils à finir par normaliser la consommation de poisson en provenance de l’Océan atlantique alors que nous avons nos pieds dans les eaux de l’Océan indien ?
Pourtant alors que les étalages sont vides, il y a des conteneurs avec des produits périssables au port de Mtsamdu ya Ndzuani, à quelques encablures de Moroni. Le navire appartenant à la société Asc assurant le transfert des marchandises entre les deux ports devrait reprendre d’ici le 30 juin si tout se passe bien. De quoi soulager un peu la population, jusqu’à la prochaine crise.
A moins que l’Etat ne prenne les taureaux par les cornes et fasse en sorte qu’il soit moins dépendant d’armateurs étrangers qu’il ne contrôle finalement pas. Surtout que pointe à nos portes, une autre crise, relative cette fois, aux conteneurs eux-mêmes, actuellement en pénurie dans le monde entier. Contacté jeudi soir, le ministre de l’Economie, Houmed M’saidie devait nous donner des éléments de réponse au bout d’une heure. Au bout du temps imparti, nous avons vainement tenté de le joindre.