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Craintes de «guerre civile» et «Wuambushu» à Mayotte I Une tragédie nommée «exception française»

Craintes de «guerre civile» et «Wuambushu» à Mayotte I Une tragédie nommée «exception française»

Société | -   Hassane Moindjié

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Sur l’île comorienne, comme nulle part ailleurs, rien n’indique que les violences, le mal vivre et, moins encore, les disparitions en mer soient le fait de «clandestins», ce terme inventé – dans le cas de Mayotte – par l’administration française pour désigner les Comoriens des autres îles y résidant. La question de ce territoire comorien de droit constitue un témoignage supplémentaire de l’incapacité de l’Etat français d’entrer, comme tout le monde, dans un monde débarrassé de colonialisme. La situation qui y prévaut en est, indubitablement, une conséquence directe. Sa singularité vient de ce que, dans sa posture de puissance d’un autre temps, l’Etat français peut compter sur la connivence d’une partie des médias de son pays et du silence, si ce n’est de la complicité, de larges franges de sa classe politique.

 

La méprise des colonisateurs européens avait été d’avoir cru que la géostratégie – comprise comme étant la lutte pour s’arroger le plus d’«intérêts» possibles au détriment des autres – pouvait arriver à bout de tout chez les peuples qu’ils occupaient : aussi bien de la Culture, de l’amour pour sa patrie que de l’aspiration à exister en tant que peuple.


L’erreur fatale de l’Etat français, c’est de n’avoir pas su intégrer, au moment des indépendances, contrairement à l’Angleterre, à l’Allemagne, au Portugal, à l’Italie ou encore à l’Espagne, que les temps avaient changé, qu’il y a eu un temps pour ça et qu’un autre est venu pour autre chose1. C’est d’avoir continué, pour parvenir à ses fins,de recourir à une infantilisation des peuples inédite dans l’histoire moderne sur la base d’une emprise implacable sur leurs principaux attributs de souveraineté que sont la monnaie, la Culture, la sécurité et la diplomatie.


C’est de n’avoir pas été capable de choisir la voie de la concurrence légale dans sa politique de protection de ce qu’il considère être ses intérêts, mais, systématiquement, celle de l’exploitation néocolonialiste. Une conception de la protection des intérêts à rebours de l’histoire qui lui vaut le retour de bâton auquel il doit, désormais, faire face dans ses anciennes et actuelles colonies d’Afrique noire et du Pacifique sud.

Géopolitique surannée

Malheureusement, aujourd’hui encore, rien n’indique que la géopolitique française ait intégré la nécessité d’opter pour une diplomatie plus en phase avec la modernité qui est en train de caractériser, inéluctablement, les relations entre les pays dans la nécessaire protection des intérêts.
A cet égard, la réaction du plus haut représentant de l’Etat français, face au regain de violence sur le territoire comorien de Mayotte, est significative.

A entendre E. Macron, en effet, l’attitude à adopter n’est pas une prise en compte des nouvelles réalités de la géopolitique mondiale, mais une «réponse sécuritaire», «un travail beaucoup plus vigoureux», «plus de moyens militaires en mer»2,3, conjugués avec plus de connivence avec les pouvoirs renégats en place. Soit les mêmes recettes d’il y a plus de soixante-dix ans. Si certains pouvaient encore en douter, le flop absolu de la sortie «solennelle» du 17 février dernier sensée redéfinir un «nouveau partenariat» avec l’Afrique, aura vite fait de les replonger dans cette évidence.Dans cette absolue exception française qui considère que sa puissance ne peut venir que de l’asservissement de l’autre, on est, par ailleurs, sidéré de voir la manière dont les médias et la classe politique de ce pays (à quelques exceptions4) traitent cette question.

Naufrage collectif

Tous semblent s’être convenus, comme en ordre de marche depuis l’Elysée, de réduire ces troubles en simples «règlements de compte entre bandes rivales» et de «sans-papiers».Sans la moindre nuance, ils abreuvent leur opinion du discours de force d’occupation de leurs autorités étatiques de «département français»5 et de «migrants illégaux» à propos d’un territoire qui, du point de vue du droit, de sa culture, de sa géographie, de son histoire et de sa population, n’a rien de français.


Dans la plupart des médias, les clichés les plus simplistes tels que «confettis perdu dans l’Océan indien», «collé» à l’archipel des Comores, ou encore habitants d’un des pays les plus pauvres du monde qui «risquent leur vie pour atteindre, ce qui reste à leurs yeux un Eldorado», «rejet de l’indépendance» y vont et viennent allégrement.


Ici, pas un mot sur le fait que les prétendues «consultations» qui auraient abouti au «rejet de l’indépendance» ont été conçues, organisées et validées par la seule administration d’occupation, et aucune allusion n’est faite sur le caractère illégal de la présence de leur pays sur ce territoire.
Ici, alors que depuis plus d’un an, on érige en parole d’Evangile une résolution onusienne condamnant l’«annexion» de l’Ukraine par la Russie, on est totalement amnésique quand il s’agit de la vingtaine de résolutions de cette même Onu qui, depuis quarante-six ans, condamne «énergiquement» la France pour son «occupation de l’île comorienne de Mayotte», et déclare «nulle et non avenue» toute consultation menée dans ce «territoire comorien de Mayotte» par la France6. Sans doute, là aussi, une «exception française» dans le monde des médias des pays démocratiques du monde occidental.


Une chose est sure : sur ce territoire et depuis quatre décennies, les choses ne s’arrangent guère. Malheureusement, bien au contraire. Par ailleurs, si l’instrumentalisation des difficultés de la population, les haines orchestrées par les uns et/ou tolérées par les autres, les changements de statuts, les tentatives de révisionnisme juridique en droit international, une géopolitique d’un autre temps et une géostratégie brutale faite de bombements de torse «Balladuriens», «Sarkozyiens» ou «Darmanins», – souvent à forts relents de politique intérieure française – pouvaient constituer une issue, il y’a longtemps qu’on l’aurait su.

Intelligence, audace

La dégradation des conditions de vie des habitants, l’atmosphère de «guerre civile» permanente et, plus encore, la longue méfiance dans les rapports entre l’Etat français et le peuple comorien, et la grave violation du droit international en cours dans cette région du sud-ouest de l’Océan indien, sont les conséquences des choix politiques surannés et d’une stratégie brutale de l’arrogance de grande puissance. On n’en viendra à bout que sur la base d’autres choix politiques plus modernes, plus intelligents, plus respectueux des pays et des peuples, plus en conformité avec le droit et la marche de l’histoire, dans l’intérêt de tous.Encore faudrait-il que l’on ait l’intelligence suffisante et l’audace politique nécessaire d’y recourir.

Notes

 

1 Lire à ce propos, également la «Tribune» du Général de corps d’armée, Bruno Clément-Bollée, au Monde Afrique, le 2 janvier 2023 ou encore, le magazine Challenges du 2 février 2023.
2 Rapportés par le média parisien, Le Monde
3 Selon des médias (dont Le Canard Enchainé), le gouvernement français s’apprête, ce mois d’avril, à envoyer en territoire occupé de Mayotte – dans le cadre d’une opération du ministre français de l’Intérieur, Ronald Darmanin, et dénommée «Wuambushu» – plus d’un millier de militaires et de forces de l’ordre, des bulldozers et des moyens maritimes inédits pour, en deux mois, détruire les habitats des Comoriens des autres îles comoriennes, les pourchasser et les déporter de force vers ces autres îles du territoire comorien. Lire, également, l’Anticapitaliste du samedi 1 avril 2023» : «A Mayotte, Darmanin rafle et déporte en masse».

4 Dans une publication du 31 décembre 2022, Ouest-France relatait, notamment, «d’évidents intérêts géostratégiques» qui auraient poussé la France à «ne pas se plier au vote de la majorité comorienne et (à) organiser un second référendum en 1976 en dépit du droit international»*. Instauration du tristement célèbre «Visa Balladur» «(…) qui créé des barrières artificielles entre Mayotte et ses îles sœurs, avec des «cousins» (…) brutalement devenus des «clandestins».
*Lire, également, à ce propos, Charlie hebdo du 1er février 2023, page 9 : «Les couteuses cicatrices de la colonisation».

5 En 1995 et en 2009, un ancien ministre de l’Intérieur et un ancien président français – alors en précampagne pour la présidentielle – ont, respectivement, imposé un visa entre Mayotte et les autres îles et organisé un «référendum de départementalisation» sur ce territoire que leur pays occupe. En rompant brutalement des liens naturels et historiques ils ont obligé à recourir aux kwasa-kwasa avec leurs lots de morts. En 2012 on a estimé les morts et disparitions en mer entre 7.000 et 12.000. Désormais, plus personne ne pense à tenir la comptabilité macabre.
Par ailleurs, selon le magazine français, Le Canard enchaîné du 22 février dernier, l’opération dite «Wuambushu» projetée ce mois d’avril prochain dans cette île entrerait dans les calculs de son initiateur, l’actuel ministre français de l’Intérieur, qui lorgnerait sur le poste de Premier ministre de son pays.

6 39è séance plénière 21 octobre 1976, entre autres

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