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C’était Fundi Toihir

C’était Fundi Toihir

Société | -

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Nous publions ce texte que nous a fait parvenir hier l’enseignant-chercheur Elhadj Mohamed du Service universitaire de formation permanente (Sufop) de l’Université des Comores. L’ancien directeur général de l’Iut rend un hommage au Mufti Saïd Toihir Ben Saïd Ahmed Maoulana en ce jour commémoratif du «quarantième jour » du décès de cet érudit hors pair.

 

Il est de ces hommes dont la vie s’assimile parfois et facilement à celle du pays. Au fur et à mesure que l’on décrit leur parcours, on se trouve entrain de parler de l’évolution sociale et politique du pays : Said Toihir Ben Said Ahmed Maoulana, communément appelé, Fundi Toihir, qui s’est éteint le huit (8) avril 2020, était de ceux là.
Que Dieu lui accorde sa grâce et son pardon.Dans ce présent article, je n’ai aucune prétention de le situer dans les différents courants religieux, mais tout simplement témoigner, dire la capacité de cet homme à faire la synthèse entre les deux mondes : les structures sociales, traditionnelles, la religion d’une part et la modernité, le progrès : l’orient et l’occident (almachrik wa l’maarib) comme on dit.

Réellement, il était impliqué dans plusieurs domaines biens comoriens : religion, diaspora, Indépendance, révolution, liaison modernité et religion, l’islam et l’évolution du temps, l’islam dans un contexte qu’est le nôtre (…) Il avait un parcours bien comorien.
Il était l’intellectuel (venant d’un monde religieux) qui s’intégrait bien dans le débat politique, et il le montrait fréquemment. Il répétait à qui voulait l’entendre, que le progrès économique et social n’était pas incompatible avec les valeurs de l’Islam, avec sa célèbre phrase «yizo wo wusilamu wu zamba». Il se situait quelque part dans le courant politique de l’Iftah du monde arabe qui consistait à puiser dans sa civilisation classique, les leviers d’ouverture vers le monde occidental. N’est-ce pas là, une approche classique de l’élite africaine de l’entre deux guerres jusqu’à nos jours : comment s’ouvrir tout en restant soi même ?

Cheikh Hamidou Kane a consacré un livre la dessus, «l’aventure ambigüe», L.S. Senghor prônait le retour aux sources tout en étant au rendez-vous du donner et du recevoir, «cet enfant, toujours enfant que 12 ans d’errance…» et Aimé Césaire avait publié «cahier d’un retour au pays natal».
Intellectuel de son Etat, il n’était pas hors de ce débat. Il se retrouvait dans ce débat d’une façon constante
Ce débat agitait le pays, aussi bien dans le periode de ce que l’écrivain ivoirien Ahmadou Kourouma appelait «les soleils des indépendances», que dans l’emballement révolutionnaire, l’effervescence révolutionnaire, qui a suivi tout de suite l’indépendance. Il savait se situer, prendre sa place et apportait sa réflexion, sa contribution à la problématique de l’évolution politique et sociale du temps : N’est ce pas là, le rôle d’un intellectuel que de s’engager dans la rationalité politique et d’en être le garant ?
Pour prouver cela, il n’y a qu’à lire l’histoire de sa vie pour paraphraser Don Diégue du Cid.

Bien évidemment, il était très marqué par ce séjour en Egypte nassérienne. Et oui, il y déposa ses bagages venant de Zanzibar en 1956. Il trouva une Egypte, en pleine transition politique, sociale et économique, caractérisée par plusieurs influences internationales (britanniques, françaises, soviétiques…) et nationales (groupes d’officiers libres, royalistes, frères musulmans…) difficilement réconciliables. Cela est bien décrit dans le film d’OSS 117 «Le Caire, nid d’espions».

Cette problématique était là : comment donner une orientation politique, culturelle à cette nation en transition ? Il trouvera une approche similaire à son retour au pays en 1967. Un homme qui fut ministre de l’Education nationale de cette jeune république égyptienne (le Roi Farouk est déposé par un groupe d’officiers en 1952) va sortir du lot : Toiha Hussein. Fundi Toihiri ne cessait de répéter à qui voulait l’entendre le parcours de cet homme extraordinaire qui a su assimiler les deux cultures et les réconcilier ; moderniser la culture du pays sans se couper de sa civilisation classique et ouvrir les enseignements des universités du pays au monde moderne : Fundi Toihir aspirait aussi (et il y parvint) par une sorte de désir mimétique à la René Girard à un parcours similaire. Il inspira, contribua fortement à la création de l’Université des Comores par le président Azali et resta membre du Conseil scientifique pendant plusieurs années.

Rappelons que cette Université des Comores avait et a plusieurs composantes dont une faculté d’arabe et sciences religieuses, une faculté de sciences et techniques, un institut universitaire de technologie…Eu égard à cela, comment le situer, comment le voir sur l’échiquier politique, social du pays. Un fin observateur de la vie sociale, politique du pays, Sultan Chouzour le situe comme ça dans son livre, «Le pouvoir de l’honneur» : «M. Said Toihir Said Maoulana, grand lettré et observateur attentif et vigilant de toutes les déviations par rapport à la stricte orthodoxie».

Tout est dit ou presque. Il était lettré, veillait à l’application des principes de l’Islam, et parcourant le livre, on se rend compte qu’il comprenait très bien la conscience collective des comoriens.
Le progrès, la lumière des sciences ne lui firent pas étrangères. Il parlait d’Edmond Rostand (Cyrano de Bergerac), d’Auguste Comte, de Durkheim… Il savait se hisser à la hauteur de tout événement national, que ce soit politique, social ou tout autre… Et c’est de cette synthèse-là, que l’ambassadeur Ahamada Hamadi, dans sa chronique hebdomadaire, dans ce journal le qualifiait de la «tolérance», mort de la tolérance. Oui, une étoile s’est éteinte. C’est certain. Et les temps à venir se chargeront de le confirmer.

ELHADJI Mohamed,
Service Universitaire pour la formation permanente, Université
des Comores (Sufop)

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