Quel est le rôle joué par la radio sous le régime du Mongozi Ali Soilihi?
La radio a joué un rôle important dans la vulgarisation de la politique du président. Il y avait une variété d’émissions au service de la révolution. La vision se fondait sur trois piliers essentiels : la libération de la tutelle coloniale, la révolution démocratique et la révolution socio-économique.
Donc, la radio s’efforçait, grâce aux émissions, de sensibiliser le citoyen sur chaque pilier.
Par exemple, les émissions sur la libération de la tutelle coloniale avaient été largement appréciées par beaucoup de Comoriens y compris ses opposants. Beaucoup d’hommes politiques, à l’époque, ne faisaient pas confiance à Ali Soilihi en raison des liens tissés avec des proches du colon. Mais ces opposants allaient découvrir, agréablement surpris, qu’Ali Soilihi était beaucoup attaché à la rupture totale avec l’ancienne puissance colonisatrice et vont adhérer à sa nouvelle vision. Il a donc réussi à faire partager son premier pilier avec tout le monde.
Et les autres piliers?
En ce qui concerne, la révolution démocratique et la révolution socio-économique, Ali Soilihi a réussi, grâce toujours à la radio, à convaincre d’abord la jeunesse. C’était d’ailleurs l’une de ses grandes cibles pour faire partager ses idées.Les jeunes ont commencé à adhérer car ils voyaient des choses concrètes. Par exemple, les prix des denrées de premières nécessités étaient très bas, il y avait du travail. Les Moudrya étaient construits dans toutes les régions. Tout le monde pouvait s’approvisionner en denrées alimentaires.En fait, Ali Soilihi avait d’abord amélioré les conditions de vie de la population ce qui a fait que son message passait facilement.
On n’avait même pas besoin d’aller chez soi pour écouter la radio car à chaque quartier, tout le monde était branché. Il y avait une certaine obsession de l’information et, donc, de la radio, chez les Comoriens. Toujours sur la révolution socio-économique, Il y avait des bureaux dans les villages qui servaient de points d’approvisionnement de produits alimentaires.Lorsqu’il avait fait appel à des enseignants belges, canadiens et sénégalais, il n’y avait rien en termes d’infrastructures. Il a d’abord ouvert une classe de 6è et avait l’intention d’ouvrir une salle de classe de 5è l’année suivante avant d’ouvrir les lycées.
Parlons des personnes qui avaient entouré le Mongozi au niveau de la radio?
Il y avait plusieurs personnes qui travaillaient à la radio à l’époque. Moi-même, j’y étais, j’animais des émissions sur la libération de la tutelle coloniale. En tant qu’historien, j’animais des émissions sur l’histoire de la musique et la danse traditionnelles. J’avais trois émissions. Il y avait d’autres groupes de gens qui animaient des magazines bien thématisés sur l’agriculture, la pêche, l’égalité citoyenne et bien d’autres choses.
Mais, il faut dire qu’à l’époque, certains propagandistes n’étaient pas suffisamment outillés techniquement et professionnellement pour être à la hauteur du discours d’Ali Soilihi. Les gens comprenaient bien que le pays était entré dans une nouvelle phase de transformation culturelle. Mais ces jeunes sans formation et non expérimentés n’avaient pas les capacités intellectuelles pour mieux expliquer la révolution sous d’autres formes.
Par ailleurs, Ali Soilihi était plutôt doué. Il avait pris son temps pour apprendre et comprendre le pays dès son jeune âge. Ceux qui avaient entouré le président n’avaient pas le niveau pour comprendre la révolution, je veux parler de l’armée, du Commando Moissi, des comités, etc. Le président Ali Soilihi avait une longueur d’avance, il n’avait pas vraiment trouvé les bonnes personnes pour faire passer les bons messages à la radio.
Malgré tout, ce qui a été fait est resté aujourd’hui gravé dans la mémoire de toutes et tous. Ali Soilihi a été à la tête du pays pendant seulement deux ans mais sa mémoire est gravée jusqu’à ce jour. C’est la radio qui a permis à Ali Soilihi de préparer les esprits. Il y a des présidents qui ont gouverné le pays pendant des années alors qu’il ne bénéficie pas de l’aura dont bénéficie Ali Soilihi jusqu’à ce jour.
Un dernier mot en cette 43è commémoration de la mort du président Ali Soilihi?
Je crois qu’on n’a pas cherché à perpétuer la vision d’Ali Soilihi. Ce qui est dommage. Je veux surtout parler du plan de développement. On sait que le Mongozi avait une vision pour le pays. On a enterré le Plan de développement alors qu’il aurait pu très bien servir l’administration. Aujourd’hui, on fait du copier-coller. On ne peut pas faire du développement aux Comores avec des méthodes incompatibles avec nos traditions et nos réalités socio-culturelles. Le pays n’a jamais pris conscience de cela.
Le pays a des spécificités propres. Je prends l’exemple des communes, on veut, aux Comores, créer la commune à la française. Et on oublie qu’au Comores, les villages, ce sont des cités-Etats avec les complexités sociologiques que l’on vit. Le Comorien a des spécificités, il revient toujours à la source quel que soit le temps passé à l’étranger avec des cultures et de mode de vie différents des siens. Je crois qu’Ali Soilihi a réussi à imposer une vision, dégager une méthode même si certains n’avaient pas le niveau pour comprendre sa révolution culturelle.
A.S.Kemba