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Le premier journal des Comores

De 1912 à 1946 : De la colonisationaux aspirations de statut autonome

De 1912 à 1946 : De la colonisationaux aspirations de statut autonome

Société | -   A.S. Kemba

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Par la loi du 25 juillet 1912, la France officialise la colonisation des quatre îles de l’archipel : Mayotte, Anjouan, Mohéli et Grande-Comores. La décision de rattacher les îles à Madagascar, suite aux décrets de 1908 et de 1914, fera l’objet de nombreuses contestations à Paris de la part de la première élite politique comorienne avec, à sa tête, Saïd Mohamed Cheikh qui obtiendra gain de cause. Le pays disposera d’un statut propre entériné par la loi du 29 mai 1946 sur «l’autonomie administrative et financière» de l’archipel.

 

La fin des sultanats, l’abdication du dernier sultan de la Grande-Comore, Saïd Ali Ben Said Omar en septembre 1908, l’inefficacité du système de protectorat, jugé inadapté aux réalités locales, les visées dominatrices de l’Hexagone et, surtout, les potentielles ressources ont poussé la France, via ses administrateurs, à revoir son plan dans l’archipel en optant pour la colonisation des îles. Celle-ci a été entérinée par la loi du 25 juillet 1912 publiée dans le Bulletin officiel des colonies (BOC).
La dépossession à outrance des terres comoriennes au profit des colons et la baisse des activités économiques à Mayotte au profit d’Anjouan, suite à l’implantation de la Société coloniale de Bambao (SCB), ont, sans doute, nourri les appétits de domination et de monopole des terres par les administrateurs déployés dans les îles. Ces derniers finissent par esquisser un modèle de colonisation inspiré des autres archipels comme la Polynésie française.


L’historien Damir Ben Ali soutient, ainsi, que «le rôle économique de Mayotte s’amoindrissait très rapidement en faveur d’Anjouan» obligeant les colons à passer à une autre étape de leur plan de domination de l’archipel après avoir mesuré les avantages économiques que procure Anjouan. «Cette île devenait, progressivement, le centre de l’activité de production et du commerce de l’archipel», a souligné l’anthropologue dans son carnet intitulé «Evolution du statut politique et administratif de l’archipel de 1814 à 1871».


Petit à petit, l’archipel allait être soumis à un même ordre politique, administratif et économique. L’impôt de capitation ou lateti sera créé et imposé à tous les Comoriens. «Les bureaux et logements des chefs des cantons et des cadis étaient installés dans les anciens locaux de fonction (Dahwayezi) des anciens sultans. La justice indigène était rendue par les cadis. Les chefs de village assumaient des fonctions de police et assistaient le chef de canton dans l’établissement de l’état civil et la collecte de l’impôt de capitation», précise Damir Ben Ali.Les anciennes chefferies seront transformées en «cantons» pour assurer un ordre cohérent de la future architecture administrative des îles Comores. «Aucune organisation municipale n’est établie. Les circonscriptions inférieures conservèrent les structures, les normes et le mode de fonctionnement du système de gouvernance traditionnel de Ngazidja qui avait disparu à Maore et Ndzuani depuis le milieu du XIXe siècle», ajoute Damir Ben Ali.

Bouleversement majeur

Le pouvoir s’imposera à mesure que le statut de la colonisation se renforce et se consolide. La population commencera à saluer le drapeau français et même à demander une «autorisation de voyager» sous peine de sanctions. «Le pouvoir du Blanc avec ses structures étrangères, ses fonctionnaires étrangers, son ordre, ses normes, sa morale paternaliste, s’imposait à tous comme une plaque sur la société qu’il broie, et tous courbaient la tête devant lui», rappelle Damir Ben Ali qui ajoute : «L’ordre économique et policier instauré s’accompagnait d’un bouleversement majeur, l’introduction du travail salarié et de la fonction publique».
Les Comores seront ensuite rattachées de Madagascar suite au premier décret pris le 9 avril 1908 et un deuxième décret pris le 23 février 1914 qui intègre les Comores «dans une organisation administrative et faisait de Madagascar une colonie unitaire», peut-on lire dans le Bulletin officiel des colonies (BOC).

 

«Les îles de Mayotte, d’Anjouan, de Mohéli et de la Grande Comore constituent des circonscriptions administratives de Madagascar. Sont en conséquence supprimés les emplois de gouverneur de Mayotte et dépendances, de trésorier payeur de Mayotte, de résident dans les îles d’Anjouan, de Mohéli et de la Grande-Comore, ainsi que le conseil d’administration et le conseil du contentieux administratif de Mayotte et dépendances», indique l’article 1er de cette loi, citée par notre interlocuteur.

Dépendance administrative jusqu’en 1945

Mais, en raison de la spécificité des îles, la France se rendra compte que les Comores «habitées par des populations musulmanes ayant un statut personnel, des mœurs et des coutumes que ne connaît pas la Grande île», méritent une autre approche de gouvernance et finira par se convaincre elle-même de la «nécessité de reconnaître à l’archipel une vie propre, par l’institution d’un chef d’administration ayant les pouvoirs de statuer sans délai sur les besoins d’un milieu très spécial».
C’est ainsi qu’un décret en date du 27 janvier 1927 «créa un poste d’Administrateur supérieur (Adsup)» avec la possibilité d’exercer «des pouvoirs administratifs et financiers d’après la délégation qui lui est consentie par le Gouverneur général de Madagascar». A l’époque, l’administrateur des Comores – toujours placé sous l’autorité du gouverneur général de Madagascar – «était assisté d’un Conseil consultatif composé de trois fonctionnaires : le juge de paix, le receveur des douanes et le médecin, un inspecteur de l’Assistance médicale et trois notables nommés par le gouverneur général».
Les Comores, faute de cadres, subiront cette dépendance administrative jusqu’en 1945, date à laquelle Saïd Mohamed Cheikh sera «élu député de la troisième circonscription de Madagascar».

Droit de vie et de mort

Ce premier médecin comorien de l’histoire siègera au Palais Bourbon et sera porteur d’un projet de loi sur la réforme agraire aux Comores face aux incessantes révoltes des paysans qui assistaient, impuissants, à la spoliation de leurs terres.
Les sociétés d’exploitations, avec Léon Humblot à la manœuvre, se sont accaparées «de la plus grande partie des sols, l’augmentation de la population commence à poser des problèmes à l’accès aux terres agricoles. De plus, les cultures spéculatives d’exportation étant privilégiées, l’archipel ne produit pas de quoi nourrir la population», fait constater Oumar Aboubakari dans «Histoire des îles Comores» publié aux Editions Djahazi.
La Société coloniale Bambao (SCB) et sa filiale implantée à Ngazidja, la Société anonyme de la Grande-Comores (SAGC) avaient droit de vie et de mort sur les propriétaires fonciers durant toute la période coloniale après un monopole quasi complet des terres. «Les sociétés possèdent les trois quarts des terres cultivables et se spécialisent successivement dans la production de la canne à sucre, de la citronnelle, de la vanille, du sisal, puis la prééminence est donnée aux plantes à parfum et au coprah dans les années 1960 et au girofle à partir de 1970», raconte Marie-Françoise Rombi, chargée de recherche au Centre national de recherche scientifique (C.N.R.S-France), sous-directrice du Laboratoire de langues et civilisations à tradition orales, qui devait ajouter : «tout cela se fait au détriment de la culture des denrées de consommation locale».

Actions de protestation

Dans les régions de Dimani, et surtout de Mbude à la Grande-comore, en 1915, et de Nyumakele à Anjouan à la même période, des mouvements de protestation contre l’impôt de capitation (la teti) et la dépossession des terres par les colons mèneront à des répressions et à des incessantes interventions militaires. Et la plus retentissante est celle qui s’est soldée par la mort du résistant, Masimu, sur le champ et, plus tard, de ses compagnons, Mtsala et Hamadi Patiara.«Dès son entrée à l’Assemblée en novembre, il (Saïd Mohamed Cheikh, ndlr) déposa sur le bureau une proposition de résolution et une proposition de loi», rappelle Damir Ben Ali qui précise que le texte invitait le gouvernement «à résoudre le problème agraire aux Comores et à assurer à l’avenir, à ces îles un véritable progrès social et culturel», en demandant ainsi la nationalisation «des domaines de sociétés coloniales pour restituer les terres aux paysans».


Un premier combat de Saïd Mohamed Cheikh qui allait ouvrir la voie à d’autres, notamment, l’adoption, le 29 mai 1946, de la loi sur l’autonomie de gestion administrative et financière qui offre un nouveau statut autonome à l’archipel. «À partir de janvier 1947, l’archipel devint Territoire français d’outre-mer. L’autonomie douanière fut effective à compter du 1er janvier 1952 et depuis cette date, les mouvements du commerce et de la navigation à l’importation et à l’exportation étaient enregistrés séparément, donnant ainsi le reflet des échanges entre le Territoire et l’extérieur», explique l’historien Damir Ben Ali. Entrée en vigueur le 1er janvier 1947, cette loi va créer «le premier organe délibérant des Comores dénommé Conseil général», scellant, ainsi, les premiers pas vers le régime de l’«Autonomie interne».

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