Dès la fin des années 1950, un vent nouveau souffle sur le monde. Sur l’Afrique. Un vent qui portait le doux nom d’ “Indépendance”. De doux, il n’y avait que le nom. Le reste était franchement tumultueux. Aussi, dès 1963, Abdou Bakari Boina, leader incontesté et incontestable du Mouvement de libération nationale des Comores (Molinaco) a arpenté l’Afrique et le monde pour faire entendre la question comorienne et donc sa libération.
Le combat a commencé à l’Organisation de l’unité africaine, Oua (aujourd’hui : Union africaine) et s’est poursuivi à l’Onu. Un combat qui, à ce niveau, ne sera pas achevé tant que nous n’aurons pas recouvert notre intégrité territoriale.
Aussi, dès 1963 Abdou Bakari Boina avec le Mouvement de Libération des Comores, le Molinaco, dont il finira par devenir le leader incontesté, sillonne le monde, rencontre des ambassadeurs, des ministres, se bat auprès de l’Organisation de l’unité africaine afin que celle-ci nous accompagne dans notre combat dans l’accession à la souveraineté, au travers justement du “Comité de libération” dont le siège est établi en République unie de Tanzanie. Créé en 1963, cet organe était incontournable pour son aide militaire, financière ou logistique aux mouvements de libération des pays africains.
“Les francophones votaient contre nous !”
Mais la France ne fut jamais très loin. Elle exerçait son influence à l’Oua, au travers des pays francophones, ses anciennes colonies. Si bien qu’Abdou Bakari Boina déplorera : “les pays francophones étaient plus durs que la France elle-même”. Le jeune leader ne se découragera pas pour autant. Loin de là. Tous les ans, il pétitionnera lors des réunions ordinaires de l’Oua et lors du sommet. Deux fois dans l’année sans relâche. Le Mouvement avait besoin de l’aide du Comité de libération. Mais,
hélas, quand il fallait prendre une décision, les pays francophones votaient systématiquement contre nous.
La main de la France était encore longue même chez ceux qui avaient déjà acquis l’indépendance. Abdou Bakari Boina se souvient, particulièrement, du représentant du Sénégal au Comité de Libération. La mémoire de l’octogénaire vacille un peu, il n’est pas sûr de l’année mais penche plus pour 1965. Donc, ce jour-là, le représentant du pays de Senghor, a demandé à ce que la délégation comorienne soit chassée. Il dira, selon notre interlocuteur : “que les Comoriens soient chassés, elles se trouvent sous la loi cadre Defferre” (Citation de mémoire).
La réponse du leader du Molinaco est sans appel et provoquera le courroux de son vis-à-vis : “si la loi cadre était suffisante, pourquoi le Sénégal a-t-il accédé à son indépendance”, avait-il lancé.
Le Sénégalais contrarié par la répartie du Comorien et arguera : “vous n’avez pas à parler de la sorte au représentant d’un Etat souverain”. Il réitèrera sa demande de voir “chasser” les Comoriens.
Le combat d’Abdou Bakari Boina pour...
Le président de séance, fort heureusement, qui était le ministre des Affaires étrangères du Nigeria de l’époque, un anglophone donc, s’y opposa. De 1963 à 1968, à tous les sommets, le rapport du Comité de libération, en ce qui concerne le passage relatif au cas comorien “était systématiquement rejeté, ce qui fait que la question n’a jamais été débattue au sommet”.
L’année 1968 amorce un cap qui sera décisif pour le pays. Il y a d’abord la grève des élèves du lycéens de Moroni et la guerre du Biafra. Ces deux événements vont positivement impacter le combat du Mouvement de libération nationale des Comores. La grève a eu un certain écho à l’international. Et la guerre du Biafra, survenue un an plus tôt au Nigeria, entrainera, comme nous le verrons plus loin, un large soutien des pays anglophones.
Viser loin !
En effet, le 30 mai 1967, le gouverneur Odumegwu Ojukwu proclame la “République indépendante du Biafra”. La France, dans ce combat fratricide soutient les… sécessionnistes. Avec le Nigeria, nous avions, donc, un ennemi commun, la France.
Le soutien de l’ancienne puissance coloniale aux séparatistes biafrais aura une heureuse incidence sur la question comorienne au sein de l’Oua. Le président du Nigeria, de l’époque, Gowon, décidera de nous soutenir, et entrainera dans son sillage nombre de pays anglophones. Cette année là, la question comorienne atterrira au niveau du Conseil de l’Oua et y sera débattue.
Ce ne fut pourtant pas facile. Le Malgache,Philibert Tsiranana, aura tenté de peser de tout son poids allant jusqu’à menacer de quitter la salle si la question comorienne était traitée. Parce que la partie comorienne visait loin. Elle voyait déjà les Nations unies, plus précisément le “Comité spécial des Vingt Quatre”. Celui-ci fut créé en 1961 et était chargé d’étudier la situation en ce qui concerne l’application de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et peuples coloniaux.
“Tsiranana fut vaincu parce que de nombreux pays ont voté en faveur des Comores, grâce, comme je le disais, au Nigeria qui a su drainer plusieurs pays qui nous ont été favorables”.
Quand Abdou Bakari Boina se fâche…
Une année plus tard, en 1969, Abdou Bakari Boina allait être confronté à une situation fâcheuse, cette fois au Sénégal pays qui était, par ailleurs, membre du Comité de libération. Le Sénégal était considéré comme faisant partie du pré-carré français. Une réunion du Comité de libération était, donc, prévue à Dakar. Au menu du programme, le président de l’époque devait recevoir les leaders des mouvements de libération des pays africains.
“Nous nous sommes apprêtés à y aller, mais contre toute attente, on nous fit comprendre que les délégués des Comores et de Djibouti n’allaient pas être reçus”, se remémore notre interlocuteur. Surprise, étonnement, colère. Notre leader ne comprenait pas. Cette décision était fort contestable. Rapidement, il décide d’agir. Sans tergiversation aucune.
La question de la libération
Le jeune leader décide de contester cette décision. Avec fermeté, il fait parvenir un message au ministre des Affaires étrangères de l’époque, Amadou Karim Gaye.
Je l’ai averti que je prenais acte de la décision sénégalaise en prenant soin de préciser que je tiendrai une conférence de presse dans le premier pays africain dans lequel j’atterrirai pour dénoncer cet acte.
L’argument fit mouche et ne le laissa pas indifférent. “Il m’a reçu à son bureau le lendemain avec tout son staff et nous avons discuté pendant près de deux heures de temps”.
Au cours de l’entretien, le patron de la diplomatie sénégalaise à l’époque lui a fait cette proposition : “n’organisez pas de conférence de presse et je vous promets l’aide du Sénégal, me dira-t-il. Evidemment, j’ai demandé toutes les garanties possibles et imaginables. Toujours est-il que l’attitude du pays de la Terranga a changé. Il n’a pas fait de déclaration de soutien à notre endroit mais il ne votait plus contre nous”.
Si bien que quand Abdou Bakari Boina a commencé à se rendre aux Nations unies, en 1970, les Sénégalais présents là-bas, faisaient partie de ceux qui lui apportaient leur aide, plus particulièrement, le représentant du Sénégal à l’Onu, Mamadou Fall.
A l’Onu, ce ne fut guère plus facile. En 1969, le délégué de la Tanzanie auprès de la 4ème commission a posé la question de l’inscription lors du sommet, mais Madagascar s’y est, encore une fois, opposé.
“La Grande Ile a demandé que lesecrétaire général de l’Oua, Diallo Telli, livre des informations supplémentaires, ce qui était juste un moyen de bloquer la question”, se rappelle Abdou Bakari Boina. La position malgache changera avec l’avènement du militaire Gabriel Ramanantsoa à la tête du pays en 1972. Et l’inscription de la question comorienne sera, enfin, inscrite à l’ordre du jour des Nations unies.
Nous ne pouvions pétitionner devant le Comité des 24 tant que les Comores ne figuraient pas sur la liste des pays à décoloniser.
En 1973, le Molinaco fut, enfin, invité à la 4è Commission des Nations unies laquelle traite de la décolonisation, entre autres. “Nous avons pétitionné devant elle”. La pétition était composée de la présentation géographique des Comores, de son histoire et de l’aide que devraient nous apporter les Nations unies pour acquérir notre indépendance. Abdou Bakari Boina reprend : “nous avons attiré leur attention quant aux manœuvres françaises”.
Il faut, à ce propos, rappeler qu’en 1972, le premier ministre français, Pierre Mesmer, était venu aux Comores en brandissant la menace du référendum île par île si le pays persévérait dans l’idée de recouvrer sa souveraineté.
Nous avons saisi cette opportunité pour parler du danger qui couvait. Le jour où nous avons pétitionné d’ailleurs, le délégué français a quitté la salle.
A partir de cette année, la 4è Commission débattait de la question comorienne. Entre 1970 et 1975, le fervent défenseur de l’indépendance se rendait aux Nations unies durant l’Assemblée générale. En 1975, le 06 juillet, Ahmed Abdallah Abdérémane proclamait unilatéralement l’indépendance des Comores à la Chambre des députés.