Il me semble que le bâtiment qui abritait la «Chambre des députés» n’a pas la stature qui, de par son histoire, doit être la sienne. Comme tout le monde sait, c’est dans ce bâtiment qu’a été déclarée, le dimanche 6 juillet 1975, l’indépendance de notre pays, notre liberté, celle que nous célébrons tous les ans, quarante-sept ans depuis que nous sommes libres, même si la France perpétue toujours, en violation du droit international et contrairement aux usages dans les rapports entre les Nations et les peuples, la colonisation sur l’île de Mayotte. En près de cinquante ans, la plus part de celles et ceux qui ont voté ou combattu, à l’époque, pour notre liberté ne sont plus de ce monde.
Aujourd’hui, la jeune génération, à quelques exceptions près, ne connait pas grand-chose sur ces figures emblématiques de notre indépendance et sur leur combat du fait qu’il nous manque, à toutes et tous, une «conscience culturelle et historique». Dans ces conditions, la consécration de ce haut lieu de notre mémoire pourrait incarner le combat qu’ils ont mené pour honorer notre pays et notre peuple.En effet qui, aujourd’hui, se sent investi de la mission de préserver notre histoire? Qui se sent réellement concerné par la mission de perpétuer et honorer nos héros? Nous vivons avec le présent et nous n’avons pas conscience de la nécessité de sauvegarder, comme il se doit, notre histoire et avec elle, les femmes et les hommes qui ont écrit cette histoire.
Appel à une prise de conscience
Selon l’anthropologue, Abdérémane Wadjih, le pays et la population doivent retrouver cette «conscience culturelle et historique». «La solution ne devrait pas consister en des opérations ponctuelles de «bouche-trou». Ce qu’il faut, c’est une politique globale. Cependant, l’Etat peut débourser des millions, mais tant que chaque Comorien n’aura pas compris que nous devons conserver notre histoire, cela ne servirait à rien», estime-t-il.
Mais, d’un autre côté, comment acquérir cette «conscience culturelle et historique» si le programme scolaire continue de parler, la plus part du temps, des grandes figures étrangères et, à peine, des nôtres? Il ne s’agit pas de se replier sur nous et de se fermer au monde, mais de donner également à notre histoire, à nos héros la place qui leur revient de droit pour leur rendre l’hommage qu’il mérite et pour que les générations futures et les Comoriens dans leur ensemble s’en inspirent et perpétuent leurs actions salvatrices pour notre pays.
Il y a quelques jours, le reste de la dépouille de Patrice Emery Lumumba, une dent, est retourné en République démocratique du Congo, soixante et un ans après son assassinat. Un deuil national a été décrété pour la circonstance. On peut citer d’autres pays tels l’Allemagne et la Walhalla, l’Angleterre et l’abbaye de Westminster ou encore la Russie et la nécropole du mur du Kremlin.A défaut d’innover, nous pourrions nous s’inspirer de ce qui se passe ailleurs pour honorer la mémoire de toutes celles et ceux qui ont lutté pour notre liberté et qui, parois, l’ont payé de leur vie.
Apprentissage et mémoire
Pourquoi alors, n’élèverions-nous pas l’Ancienne chambre des députés, construite en 1959, en lieu de mémoire, en musée de l’indépendance, celui des patriotes, toute époque confondue. On y rendrait visibles l’action, l’engagement, les parcours et les images de toutes ces figures emblématiques.L’idée est que ce haut lieu de notre combat pour la liberté soit un lieu «d’apprentissage et de mémoire». Qu’il soit un musée de l’histoire du pays ou à défaut de son histoire récente. Afin que le souvenir de ces femmes et ces hommes se perpétue dans la mémoire collective, que leur rôle dans notre histoire commune leur survive, que leurs sacrifices, leurs douleurs voire leurs morts ne soient pas vains et pour qu’ils vivent en chacun de nous.
Il faudra, pour cela, que chacun y mette du sien, ce qui n’est pas impossible. L’enthousiasme que pourrait susciter un tel projet au sein de la population ne fait aucun doute. En effet, une exposition sur le thème de la marche vers l’indépendance qui avait été organisée sur ces lieux avait accueillie plus de… deux mille cinq cent visiteurs qui ont surtout eu l’occasion, la joie et l’insigne honneur de mettre le pied dans ce haut lieu de la mémoire collective.Dans ces conditions, la nécessité de dédier ce lieu de notre histoire à notre mémoire doit être urgence nationale. Cette responsabilité incombe en premier lieu à celles et ceux qui ont la charge de gérer, au plus haut niveau de l’Etat et des pouvoirs publics, les affaires du pays. Mais c’est, également, notre devoir à toutes et à tous.
*Journaliste à Al-watwan