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Disparition d’Aboubacar Saïd Salim I Une occasion de s’interroger sur l’engagement de l’État envers la culture

Disparition d’Aboubacar Saïd Salim I Une occasion de s’interroger sur l’engagement de l’État envers la culture

Société | -   Abdallah Mzembaba

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Le décès de l’écrivain et militant Aboubacar Saïd Salim, le 2 septembre dernier, a suscité une vive polémique. L’absence d’hommage officiel de la part de l’État a été largement critiquée par la population et les artistes.

 

Le gouvernement comorien est accusé de ne pas avoir rendu hommage à un monument de la littérature nationale, un de ses précurseurs. Le ministre de la Culture, Djaffar Salim, malade, assure ne pas pouvoir nous recevoir avant cette semaine qui débute aujourd’hui. La directrice de la culture, Wahida Tadjidine, a assuré qu’un hommage aura lieu, mais qu’il devait encore être organisé et débattu sur le format à adopter. Pour elle, Aboubacar Saïd Salim «mérite cet hommage».


Cette explication n’a pas de quoi calmer les critiques. Le rappeur et producteur Cheikh Mc a dénoncé une «volonté manifeste d’effacer toute trace des hommes et des femmes du monde de la culture». Pour lui «c’est un mépris insultant pour la mémoire d’un homme qui a tant fait pour son pays», et il est «d’autant plus regrettable de voir qu’il y a des gens qui n’ont jamais rien foutu de leur vie et qui ont plus de valeur dans ce pays qu’Aboubacar Saïd Salim».

Une «culture marginalisée»

Sur les réseaux sociaux, plusieurs personnes ont montré leur mécontentement face au silence des autorités. C’est le cas du linguiste Abdou Djohar. « J’ai honte lorsque le président s’est absenté aux funérailles de notre estimé Aboubacar Saïd Salim. Oui, ce grand homme, monument de la littérature comorienne qui a dédié sa vie au rayonnement de notre culture, n’a pas bénéficié de funérailles nationales. Honte», a-t-il écrit. L’absence d’un hommage officiel est perçue par certains comme un «symbole de la marginalisation de la culture dans notre société».


Mohamed Toihiri, le premier écrivain du pays, estime que la question de la responsabilité de l’État dans le manque d’hommage à Aboubacar Saïd Salim est dénuée de sens. « Il eût fallu que l’État se sente une certaine responsabilité vis-à-vis de son peuple dans son ensemble avant de s’intéresser à une certaine catégorie intellectuelle», affirme-t-il.Pour lui, «on nomme un ministre, en général de l’Éducation et lui attribue par la suite, la Recherche, les Arts et...la Culture. Il y a d’abord cette tautologie d’ «Arts» et de «Culture». Mais en fait «l’art et la culture» s’arrêtent à la nomination et à la dénomination», poursuit-il avant de dénoncer le manque de budget pour la recherche, lui qui a passé dix-neuf ans à enseigner à l’Université des Comores.

Insérer les œuvres dans le programme scolaire

Mohamed Toihiri regrette ainsi le silence des autorités. «C’est à partir de ce silence de tombe, je dirai même un silence de caveau du gouvernement comorien, au rappel devant son Seigneur d’Aboubacar Saïd Salim que je me suis rendu sincèrement compte de l’incurie de ceux qui nous gouvernent», déclare-t-il. Selon Kamal’Eddine Saindou, ancien journaliste, «la culture est souvent réduite à sa dimension folklorique, c’est-à-dire aux danses et cérémonies traditionnelles. Les arts modernes, tels que le théâtre, la chanson, la peinture, la littérature ou le cinéma, sont souvent considérés comme des phénomènes étrangers». A l’en croire, «la culture est un combat qui doit être mené par les artistes eux-mêmes, avec le soutien des citoyens et des médias», estime-t-il.


Et selon lui, ce n’est pas du rôle du «pouvoir politique de distribuer des lauriers aux artistes». Il est en effet persuadé que ceci «serait d’ailleurs une erreur car ça reviendrait à instrumentaliser la culture et les acteurs culturels». «La meilleure façon de rendre hommage à nos écrivains et à nos artistes, c’est de connaître leurs œuvres, en faisant des objets d’études dans les programmes scolaires, de la même manière que nous avons appris la Fontaine, Zola et Camus», conclut-il.

«Un pays sans culture, un pays sans avenir»

Pour autant, l’absence d’hommage officiel à Aboubacar Saïd Salim n’a pas été bien perçue et a été vue comme un signal inquiétant pour un domaine pourtant important car contribuant à la transmission du patrimoine et à la formation des jeunes. «Heureusement que le peuple a témoigné sa reconnaissance par sa présence», a souligné Daoud Halifa sur un post Facebook, en faisant référence aux centaines de personnes qui ont fait le déplacement à Iconi le dimanche 3 septembre dernier pour les funérailles de l’auteur du Bal des mercenaires.

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