Le palais de justice de Moroni traverse une crise profonde entre avocats et magistrats, que comptez-vous faire pour y mettre fin ?
Une crise c’est trop dire. Il y a un heurt entre Me Idrisse et le procureur de la République. Selon le rapport que j'ai eu, tout est parti lors d’une audience. Le procureur a interpelé Me Idrisse suite aux recommandations du cadi et l’avocat s’est retiré de la salle d’audience et a fait des déclarations à la presse qui n'ont pas plu aux magistrats. Ces derniers ont réagi. Et mon rôle, en tant que ministre de la Justice, Garde des sceaux, est de concilier les deux parties. J'ai donc convié le bâtonnier. Et suite à cette rencontre, j'ai tenu une réunion avec le Conseil de l'Ordre et les chefs des juridictions. Les avocats ont saisi le tribunal administratif pour faire annuler cette décision. Nous attendons la décision du juge. En revanche, les magistrats ont émis une plainte et quelles que soit les démarches des uns et des autres, en ma qualité de ministre, je me dois d’être conciliant, amener les deux parties à s'entendre et veiller au respect mutuel.
Pour trouver une solution, le conseil de l’Ordre des avocats avance l’idée de mettre en place une plateforme d’échanges entre les deux corps, quelle réponse apportez-vous à cette demande?
Depuis que je suis à la tête de ce ministère, mon ambition de promouvoir une bonne entente entre magistrats et auxiliaires de justice. Nous avons un outil qui s’appelle appareil judiciaire composé de magistrats, d’avocats, de greffiers, d’huissiers de justice, de notaires, d’officiers de police judiciaire et aussi des justiciables qui sont au cœur de cet appareil. En tant que ministre de la Justice, je dois veiller à l’application stricte de la loi, à l'indépendance de la Justice et surtout que le justiciable ne soit pas lésé par la décision rendue quelle qu'elle soit. Cela est le fondement d’un Etat de droit, d’une justice fiable qui respecte les citoyens et qui est aussi équitable.
Parmi les maux de ce pays, la justice revient souvent en premier. N’est-il pas temps d’organiser les états généraux de la justice afin de recueillir des propositions de solutions ou recommandations pour redorer l’image de cette institution?
Nous avons le même élément de langage. Un espace de dialogue entre magistrats, avocats et les autres auxiliaires de justice. Maintenant, vous suggérez des états généraux de la justice. Le plan Comores émergent, le plan de développement intérimaire et, prochainement, le séminaire gouvernemental entrent dans ce cadre. Je suis convaincu que tous les outils juridiques sont mis en place.
Je cite la récente révision du code pénal avec la criminalisation du viol et les agressions sexuelles. Ces nouveautés nécessitent l'organisation des assises, des états généraux ou une conférence sur l'appareil judiciaire. Ces derniers temps, le climat judiciaire s'est bien amélioré. Et cela, à partir des audiences tenues auprès de la Cour de sûreté qui ont lieu à Ndzuani, de la session 2022 de la Cour d'assises qui a eu lieu à Moroni et à Ndzuani et à Mwali bientôt.
Dans cet élan, nous sommes convaincus que les états généraux de la justice apporteront quelque chose de bien et ils vont permettre de clarifier le climat des affaires, la situation juridico-politique du pays et aussi de mettre en exergue des textes, tels que le code des impôts, des investissements pour attirer davantage les investisseurs car les hommes d’affaire se sentiront protégés et auront aussi la garantie que leurs investissements seront sécurisés.
Comment comptez-vous vous y prendre pour mettre en place cette plateforme ?
Tout est en bonne voie car, avec le renforcement des capacités de ces corps, que ce soit les magistrats, les avocats, les notaires ou les huissiers de justice, ils accompagnent cette réforme. Je compte, dans les jours à venir, comme cela a été sollicité par les avocats, organiser un séminaire qui regroupera tous les acteurs concernés pour que le dialogue soit instauré. Ainsi, le magistrat ne va pas se méfier de l’avocat et inversement D’autant plus que les uns comme les autres concourent au même objectif. Le dialogue doit passer avant tout pour éviter toute mésentente.
En parlant d’audiences devant la Cour d'assises, il se trouve qu’à la Maison d’arrêt de Moroni, se trouvent dix personnes condamnées à mort, à Ndzuani, il y en a deux dont une en cavale. L’exécution de cette sentence n'est jamais envisagée. Pourquoi cette décision n'est pas exécutée?
Le fait qu’une décision de justice soit rendue est déjà une partie de son exécution. Il y a des prisonniers qui ont plus de dix ans dedans. Même plus de 20 ans depuis qu'ils sont condamnés à mort. Si le code pénal parle de condamné à mort, cela veut dire qu'ils sont déjà condamnés, leur exécution est là car ces gens ne sont pas libres de leurs mouvements. Ils sont emprisonnés, ils ne voient ni le soleil, ni la lune. Ils ne sont pas des prisonniers comme les autres, ils se trouvent dans le couloir de la mort.
En notre qualité de pouvoir public, la décision ne nous incombe pas. Ce n'est pas à nous de décider à quel moment la décision de justice doit intervenir. Il faut différencier les choses. Le rôle du ministère est l’application de la politique judiciaire, de veiller à l'application de la loi, chercher les voies et moyens financiers, humains et logistiques pour que l’appareil judiciaire fonctionne convenablement. Quant à l'application des décisions de justice, C’est un pouvoir indépendant.
Le conseil supérieur de la magistrature est mis en place par une loi depuis longtemps, (7-8ans), un secrétaire général est nommé depuis 6 ans et le chef de l’Etat a procédé à leur installation depuis 2 ans. Mais depuis rien ne se fait, aucun dossier n’a été examiné. Pourquoi ce blocage ?
Peut-être que le conseil n’a jamais reçu un dossier pour examen. Vous parlez d’un secrétaire général et de l’installation. Rappelez-vous que le chef de l’Etat est le président de ce conseil et le ministre de la justice est le vice-président. Ce n’est pas à nous d’aller chercher les magistrats qui ont fauté pour les juger, c’est aux citoyens de le faire. Jusqu’à preuve du contraire aucun dossier ne nous est parvenu. En ma connaissance, rien ne nous a été signalé.
Et pourtant, selon mes sources, des dénonciations de manquements imputés à des magistrats ont été faites auprès du secrétaire général, mais rien n’a été fait ?
Essayer de me trouver cette plainte et vous allez voir ce que nous allons faire.
La prison de Moroni détient de nombreux mineurs qui sont détenus dans les quartiers des adultes. N’est-il pas temps d’envisager un quartier des mineurs ?
Très sincèrement, cette question préoccupe le chef de l’Etat et moi-même. Malgré les délits que ces mineurs ont commis, la plupart d’entre eux sont des lycéens ou même des collégiens. Pour être honnête, le bâtiment qui abrite la prison de Moroni date de l’époque coloniale, il n’a jamais été réfectionné. Et sa capacité d’accueil est de 80 individus. A la date d’aujourd’hui, nous sommes au-delà de cette capacité. Pour répondre à votre question, le gouvernement a un projet pour réfectionner la prison de Moroni. Nous projetons la formation de ces jeunes au point de prévoir la poursuite de leurs études via les nouvelles technologies. Laisser un mineur ou un jeune de 25 ans en prison sans aucun encadrement n’est pas une meilleure solution car, à sa sortie, il aura beaucoup de chance d’y retourner. Les laisser avec les adultes n’est pas bon non plus. Avec la Commission des droits de l’homme, nous sommes en train de réfléchir sur ce que nous pouvons faire de mieux.
En attendant la construction d’une nouvelle prison, pourquoi ne pas faire comme en 2018 quand le ministère de la Justice a su rapidement créer une prison annexe pour incarcérer l’ancien président Sambi ?
Nous y réfléchissons. Vous être sans savoir qu’à Mdé, il y a des détenus. Cela constitue une option envisageable. Repêcher certains détenus pour leur accorder ce privilège car être détenu chez soi est un privilège. Le cas de Mamadou, en tant qu’ancien vice-président, ou l’ancien gouverneur. Ils sont prisonniers, mais chez eux.
Pour lutter contre la vie chère provoquée par la hausse des prix des produits pétroliers, l’augmentation des salaires des agents de l’État aurait été une des mesures suggérées. Qu’est ce que le gouvernement est en train de faire pour obtenir cette augmentation et aussi maîtriser la masse salariale ?
Jusqu’à ce jour, nous n’avons pas pu maîtriser ni la gestion des ressources humaines des agents de l’Etat, ni la masse salariale. Depuis 2019 et suite aux Assises nationales qui ont recommandé la modification de l’architecture institutionnelle, tous les textes doivent être reformés, y compris le statut du fonctionnaire comorien. A l’heure actuelle, ce texte est en examen devant la commission des lois. Je crois qu’il passera en plénière cette semaine. Au sujet de la masse salariale, le chef de l’Etat veut être certain que les deux milliards ou plus vont être versés à des vrais fonctionnaires qui travaillent. Depuis 2019 jusqu’à maintenant, l’Etat n’a pas recruté de nouveaux agents, le fichier de la Fonction publique est unique. Cependant, la masse salariale ne diminue pas. Suite aux rencontres que j’ai eues avec les gouverneurs de Ngazidja et Ndzuani, nous avons constaté que les outils utilisés ne sont pas à jour. Nous avons engagé un cabinet malgache pour faire ce travail, nous attendons la restitution et une commission d’enquête est chargée de revoir les dossiers de chaque agent afin de définir qui a droit à un avancement ou pas. Il y a trois mois nous avons engagé une opération de paiement par chèque. J’ai mis en place une commission technique interne qui travaille sur les comptes de l’Etat, à la source pour voir où va l’argent. Cette commission apporte de résultats. Et jeudi dernier, j’ai convié tous les informaticiens qui ont initié le Gise. Nous leur avons confié un travail technique, ils ont remis les conclusions de leur travail dont parmi elles le remodelage de l’ancien Gise ou se doter d’une nouvelle plateforme. Toutes ces réformes ont pour but de maîtriser la masse salariale et la gestion des ressources humaines mais aussi valoriser le capital humain. Avec la vie chère, nous ne pouvons pas parler d’une hausse des salaires avant la fin de ce travail.
Cela fait quatre ans que l’ancien président est en détention provisoire, à quand son jugement ?
Tout d’abord, je tiens à rectifier une chose : essayons de ne pas personnifier ce dossier. La procédure engagée dans l’affaire de détournement des fonds de la citoyenneté économique n’est pas à l’initiative du gouvernement. Pour rappel, il y a eu une enquête parlementaire qui a été faite. Après cette enquête, Me Said Larifou a rédigé une plainte qui a été signée par plusieurs Comoriens. Et c’est cette démarche citoyenne qui a poussé le parquet à ouvrir une enquête judiciaire après celle menée par les députés.
C’est à partir de là que l’ancien président a été inculpé. Au sujet de la tenue du procès, nous y travaillons, le pouvoir public est en train de crever l’abcès pour qu’enfin justice soit rendue. En ma qualité de ministre de la Justice, je ne suis pas en mesure de connaitre le contenu du dossier, ni avancer une date de l’audience. Nous avons un appareil judiciaire indépendant, laissons la justice faire son travail. Cependant, il est de mon devoir de mettre tout en œuvre afin que ce procès ait lieu très rapidement. C’est une affaire classique comme les autres.