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Dr Aboubakari Boina I «Nous avons pu poser les jalons du processus du développement du Cnpa»

Dr Aboubakari Boina I «Nous avons pu poser les jalons du processus du développement du Cnpa»

Société | -   A.S. Kemba

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À son arrivée, le nouveau président du Conseil national de la presse et de l’audiovisuel (Cnpa) a dû concilier ses fonctions avec l’université, tout en s’adaptant rapidement et en définissant des axes stratégiques pour renforcer le secteur médiatique comorien. L’entretien…

 

Quel est votre premier constat à votre arrivée et les défis immédiats à relever ?


Désolé de vous dire que lorsque j’ai pris mes nouvelles fonctions de président du Cnpa, j’avais à partager mon temps professionnel entre l’Université des Comores et la présidence de ce dernier jusqu’à novembre 2023, car les conseillers ne bénéficiaient pas de salaires. Je devais m’adapter à la réalité ambiante tout en pensant à un changement rapide des conditions de travail et dérouler les axes stratégiques d’actions en accord avec l’ensemble des conseillers.

Avec mes collègues, nous nous sommes mis d’accord sur les axes stratégiques suivants : la consolidation et le renforcement du Cnpa, la contribution sur le renforcement de la presse et de l’audiovisuel, le développement des outils de vulgarisation du code de l’information et de la communication, la promotion de la culture comorienne et des valeurs de citoyenneté et enfin la vitalisation du pluralisme et de l’équité en période électorale.

Quelles sont les actions que vous avez entreprises en l’espace de douze mois ?


Difficile de vous donner un résumé succinct spontanément. Toutefois, nous avons pu poser les jalons du processus du développement du Cnpa, notamment l’établissement d’une collaboration étroite avec le ministère en charge de l’Information, l’élaboration et l’adoption par l’Assemblée nationale d’un nouveau budget, l’élaboration et la publication des grandes lignes des axes stratégiques et du plan d’action, la publication et la diffusion du nouveau code de l’information,

l’élaboration d’un nouveau cahier de charges des médias pour qu’ils se conforment avec le code de l’information, la participation active du Cnpa au sein du comité de pilotage du cadre de concertation, le développement du partenariat bi et multilatéral, notamment avec l’ambassade de France, le régulateur marocain et le Programme des Nations unies pour le développement, la participation à des rencontres au niveau continental : Maroc, Egypte, Madagascar, Cameroun et Côte d’Ivoire.

Y-a-t-il d’autres activités engagées ?


La tenue de deux conférences de presse relatives aux élections et au partenariat avec la Haute autorité de communication audiovisuelle (Haca) du Maroc, l’inauguration et le lancement du monitoring qui nous permet de suivre, d’enregistrer et d’analyser d’une manière continue dix radios et deux télévisions, l’accréditation de 199 journalistes dont 15 journalistes étrangers pour les élections de présidentiels et des gouverneurs de janvier 2024,

l’organisation de plusieurs formations au bénéfice des médias et des journalistes dans le cadre de l’organisation des élections, la prise de contact avec des ambassadeurs comme celui de la République populaire de Chine, du Qatar et de l’Arabie Saoudite pour explorer un développement du partenariat avec les régulateurs de leurs pays respectifs, et bien sur la signature par le ministre de l’Intérieur en charge de l’information des deux arrêtés relatifs à la carte de presse. Je ne décline pas toutes les activités en cours pour éviter d’être encore plus long.

Justement puisque vous évoquez la carte de presse, quelles sont les conditions requises pour obtenir celle-ci ?


Nous avons revisité le cadre règlementaire. Il faut savoir que la carte de presse permettra au détenteur de se reconnaitre comme tel et se faire connaitre. La commission nationale de la carte a été mise en place. Un règlement intérieur a été adopté. Le cadre juridique sera amélioré. Une feuille de route sera prochainement soumise aux membres. Un travail de sensibilisation a été engagé.

Le demandeur est tenu de fournir un certificat de l’employeur attestant la qualité de journaliste et le poste occupé, les trois dernières fiches de salaire du demandeur, les trois copies des productions du demandeur des trois derniers mois précédant le dépôt de dossier, les copies légalisées des diplômes professionnels ou universitaires et/ou des attestations de formations spécialisées ou de stage,

un formulaire de demande à retirer auprès de la commission nationale de la carte professionnelle, la copie valide de la carte nationale d’identité ou du passeport, le dernier bulletin N° 3 du casier judiciaire de moins de trois (03) mois, un titre de séjour et un certificat de résidence pour les journalistes étrangers exerçant aux Comores, deux photos d’identité récente et des frais des dossiers de 15.000 francs non remboursables.

L’écosystème journalistique est sérieusement pollué dans notre pays. Quels sont aujourd’hui les grands leviers à activer pour assainir le paysage médiatique comorien ?


L’écosystème des médias a changé depuis l’invention et l’accès pour tous au smartphone qui est devenu un objet indispensable aux multiples fonctions. Les médias classiques sont en perte de vitesse, tardent à prendre le virage de la transition numérique et n’arrivent pas à capter la jeunesse et la diaspora. Il est capital d’accompagner la jeunesse et de favoriser une utilisation citoyenne et éducative du numérique dans la perspective d’une exploitation intelligente du numérique et non d’un asservissement par l’emprise du faux.

Le problème du numérique est comme une ivresse lointaine et diffuse. Vous le savez très bien, les réseaux sociaux sont devenus un foutoir, une anarchie indescriptible. L’internet doit être régi par le droit et nous travaillons dans cette direction. Les enjeux politiques, économiques, éthiques, juridiques et philosophiques du développement des nouvelles technologies de l’information et de communication de régulation sont considérables.

Il y a cette problématique de la présence du Cnpa dans les îles. Comment comptez-vous y remédier et permettre aux journalistes du pays de sentir l’autorité de l’institution d’où ils se trouvent ?


C’est une préoccupation permanente. D’ailleurs, lors d’un entretien avec le président de la République, Azali Assoumani, il a beaucoup insisté sur l’intérêt d’évoluer sur l’ensemble de l’archipel. Nous devrions réunir au préalable les conditions nécessaires pour l’ouverture des antennes à Ndzuani et à Mwali. Mais sachez toutefois que nous travaillons dans l’étroitesse à Moroni et nous relayons toujours nos activités à Mwali et à Ndzuani.

Le grand problème posé aujourd’hui est la formation des journalistes, le modèle économique de la presse comorienne et surtout un plan de développement des médias comoriens. Avez-vous exploré des pistes de réflexion dans ce sens ?


« Qui embrasse trop mal étreint », comme dit l’adage. Nous avons commencé le renforcement des capacités des journalistes comme souligné plus haut. Nous réfléchissons sur le lancement d’une étude de soutenabilité financière des médias pour parvenir à organiser un atelier de développement endogène et inclusif des médias. C’est difficile à comprendre et à fermer les yeux devant les salaires insignifiants d’un bon nombre des journalistes, sans omettre que certains employés dans le domaine médiatique ne percevraient pas des salaires.

Le nouveau Code a prévu, pour la première fois, un Fonds d’appui aux médias. Où en est-on ?


Je concède qu’aucune initiative n’est prise pour le fonds d’appui aux médias. Il fallait prioriser les actions tout en sachant que les moyens de financement se présentent comme un goulot d’étranglement. Le défi est de taille mais nous n’abandonnons pas cette ambition. Le CNPA doit d’abord disposer des moyens humains, juridiques, matériels et financiers pour assurer efficacement ses missions.

Quelle est votre politique de régulation des réseaux sociaux ?


La profusion des contenus, leur rapidité de diffusion, leur pérennité et la difficulté d’identification de leurs auteurs posent des problèmes à la fois aux instances de régulation et aux autorités responsables de la sécurité de chaque pays. Le cyberespace est un lieu immatériel, intemporel qui ne connait pas de frontière et qui semble impossible à maîtriser. Il est nécessaire d’amender la loi de l’information et de la communication pour tenir compte de l’évolution des nouvelles technologies, l’impact des réseaux sociaux, protéger la liberté d’expression et imposer des obligations de vigilance en matière de désinformation et de discours de haine. L’impunité en ligne doit prendre fin.

Qu’en pensez-vous spécifiquement la régulation du numérique ?


En outre, la régulation numérique reste en dernière analyse une politique éminemment partenariale. Dans ce sens, le Cnpa doit travailler avec les autorités, les médias, les partenaires, les acteurs locaux, et je l’espère prochainement avec la justice et les forces de sécurité. Il est essentiel de réduire à la fois la fracture numérique et la fracture culturelle.

Je compte soumettre aux autorités compétentes une proposition de régulation croisée avec d’autres institutions nationales pour mieux partager les responsabilités et exploiter les outils et les atouts de l’intelligence artificielle, sans tomber dans des pires dystopies. En résumé, il faut réunir des compétences normatives et opérationnelles, encourager les interactions, dérouler des processus de partenariats institutionnels, poser un nouveau regard sur le numérique, élaborer une vision, un plan stratégique et une planification dans le temps.

Le mot de la fin ?


Il est nécessaire de prendre la mesure de la complexité et de la transition numérique. Il faut s’interroger sur les nouvelles formes de gouvernance de la régulation car les enjeux se situent au niveau institutionnel, individuel et collectif. L’urgence c’est donc d’aller plus vite, plus loin ensemble avec tous les acteurs. L’idéal est de dérouler une approche pragmatique, partenariale, non partisane et non clivant.

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