Mitsamihuli gardera longtemps en son sein, la mémoire de celle qui incarna, courage, sens des affaires, opiniâtreté. Celle dont l’évocation du nom arrachait immanquablement un sourire de fierté aux natifs du chef-lieu du nord et au-delà. Mitsamihuli était sans conteste la ville de Said Mohamed Cheikh. Comme elle fut sans doute celle de "Maman Cheffe". C’est aussi pour cela qu’une foule nombreuse a afflué à Mitsamihuli au lendemain de sa mort pour rendre un ultime hommage à Sakina Hamidou, fondatrice des Établissements Nassib, décédée le 31 mars à l’âge de 81 ans.
L’audace et le sens des affaires
Son sens des affaires, il est reconnu par tous. En "ma qualité de présidente de l’Opaco et de femme d’affaires, je voudrais lui rendre un vibrant hommage pour l’héritage qu’elle a laissé à notre génération", reconnait Sitti Djaouharia Chihabiddine, patronne de la Nouvelle Opaco. Comme souvent, il faut un exemple. Pour beaucoup de femmes, elle le fut. "Elle a tout simplement insufflé l’audace à beaucoup d’entre nous", poursuit notre interlocutrice.
La fondatrice de la société Vaniacom affirme garder d’elle "le souvenir d’une grande femme d’affaires, une des comoriennes pionnières dans le commerce international. Je reste admirative de cette femme qui a construit son empire elle-même, brique après brique, et qui a su inscrire son nom dans le marbre. Ce n’était pas chose aisée dans les Comores d’hier, et d’aujourd’hui d’ailleurs, d’avoir des femmes de tête, prendre les devants de la scène économique ! Mais elle l’a fait avec beaucoup d’agilité".
Un témoignage qui trouve également écho chez Chafiat Achiraffi, voisine de la défunte, "cette femme, cette maman, cette chef d'entreprises, on en n’a pas eu beaucoup comme elle. Elles ne sont pas nombreuses celles qui sont debout à 1h du matin pour surveiller son pain, le pain Nassib. Aux yeux de Chafiat Achiraffi, "Maman Cheffe, c’est cette femme chef d'entreprises qui a créé de multiples emplois. Elle a permis à beaucoup d'enfants d'aller à l'école et à l'université. Elle également a permis à la plupart d’entre nous d'entreprendre, de faire des petits commerces. Elle s'est donnée sans compter. Elle a su aimer les autres plus que nous le pensions. Nous n'avons pas assez de larmes pour la pleurer".
Rouzouna Houssoidjahi (M’ma Abdallah Bleck), est la "première" à avoir commencé à revendre le pain Nassib au début de l’ouverture de la boulangerie en 1986, à Mitsamihuli. Voilà ce qu’elle garde de la fondatrice de l’entreprise Nassib : "Sakina Hamidou nous a ouvert des portes en nous offrant la possibilité de revendre son pain. Mes enfants ont pu mener leurs études grâce à ce travail. J’ai acheté un terrain et j’y construis une maison grâce à cet emploi. Elle était bienveillante à mon égard. Même avant sa mort, j’ai toujours eu un mot pour elle après chaque prière. Ce n’est pas maintenant qu’elle est décédée que ça va s’arrêter".
Une fratrie de six enfants
Pour parler de Sakina Hamidou, c’est un de "ses fils préférés", Ahmed Abdallah Salim, ancien directeur général de la Société comorienne des hydrocarbures et ex-conseiller du chef de l’État, Azali Assoumani. Pour notre source, Maman Cheffe, c’était "une force de caractère, un amour inébranlable pour les autres".
Sakina Hamidou, mère de huit enfants, voit le jour en 1945 à Mitsamihuli. Elle est l’ainée d’une fratrie de six enfants. Son père, Adou Moilim, était navigateur qui officiait en Afrique de l’Est. Il lui transmet le goût du voyage. Il l’emmènera à Zanzibar pour y faire sa scolarité. C’est là qu’elle apprit le swahili et quelques bribes d’Anglais. Elle n’y restera pas longtemps. Nous sommes dans les années 50. Elle n’y resta pas longtemps car sa mère et sa sœur lui manquaient. A Zanzibar, elle n’aura pas appris que des langues, "c’est de ce déplacement qu’est née sa passion pour la broderie, la couture dans son ensemble, mais également la tradition anglo-saxonne des arts de la table", déclare Ahmed Abdallah Salim.
A son retour au pays, elle le quitte à nouveau pour Madagascar, mais cette fois, c’est son oncle, Saïd Mdahoma, qui l’accompagne avec la bénédiction de son propre père. Elle a alors 13-14 ans. "Maman nous disait que c’est son oncle Saïd Mdahoma qui lui a transmis la passion de la cuisine, de la gastronomie", raconte Ahmed Saïd Abdallah. A Antananarivo, elle perfectionne ses connaissances sur la broderie. D’ailleurs, elle sera la première à vulgariser le biriyani, les gâteaux comoriens, entre autres", poursuit l’ancien directeur général de la Sch.
Une longue carrière dans le commerce international
A son retour de la Grande île dans les années 60, elle ouvre une épicerie, la première, à Mitsamihuli puis une autre à Moroni. A l’époque, elle reviendra aussi à une de ses passions : la broderie. Elle vendra des nappes et des mouchoirs brodés notamment. "Mais ce commerce est dans une phase embryonnaire et pour franchir un autre pallier, elle a commencé à faire des transactions avec le vieux Sam. Ce dernier commandait différents produits que Sakina revendait par la suite", raconte Ahmed Abdallah Salim avant d’ajouter que toujours dans sa quête d’agrandir ses activités, la regrettée prendra la décision de se rendre à Zanzibar et à Madagascar notamment pour acheter ses produits. Ce sera le début d’une longue carrière dans le commerce international.
Toujours prête à soutenir sa famille, elle initiera sœurs, cousines et amies au commerce et à la formation culinaire. "Elle n’a jamais été avare dans la transmission de son savoir. D’ailleurs, sa devise, c’était : il faut faire le bonheur des autres, pour pouvoir parfaire le sien". Alternant ses activités entre Mitsamihuli et Moroni, elle décide en 1986 d’ouvrir une boulangerie dans la capitale du nord de Ngazidja. "Je pense que l’idée de la boulangerie lui est venue de sa passion pour les gâteaux et de son passage à Zanzibar".
à la boulangerie s’ajoute une "école culinaire à ciel ouvert où de nombreuses femmes de la région en plus de ses proches, venaient apprendre". A la boulangerie, il "y avait 240 pains distribués gracieusement aux employés à raison d’une baguette par enfant de ces derniers et quand on a voulu modéliser le pétrin, elle s’y est opposée de toutes ses forces pour ne pas priver ses employés qu’elle appelait affectueusement « mes enfants »" se remémore l’ancien patron de la Sch.
Une affection particulière pour les pêcheurs
Il a fallu attendre jusqu’en 1992 pour qu’elle ouvre la première boulangerie à Moroni. "Une partie de la production est délocalisée à la capitale. Elle m’a chargé de convaincre son fils Chamou de démissionner de son poste de directeur général du fret pour s’occuper de l’entreprise parce qu’elle savait qu’elle avait atteint ses limites et que l’entreprise avait besoin de sang neuf". Pour autant, Sakina ne s’est pas retirée des affaires. Elle est restée à Mitsamihuli s’occuper de la pâtisserie qu’elle revendait à la société, devenue celle de son fils Chamou, à Moroni.
Sakina Hamidou ce n’était pas que les affaires et le commerce. C’était aussi le social et la politique "c’était une faiseuse de rois quand elle le voulait et une opposition silencieuse. Elle savait faire preuve d’un engagement sans relâche pour le candidat qu’elle avait choisi. C’était une force tranquille en politique, je l’ai vécu et je sais de quoi je parle", assure Ahmed Abdallah Salim. Du côté social, elle avait une affection particulier pour les pêcheurs et "j’irais jusqu’à dire que l’ouverture de la station-service à Mitsamihuli c’était pour peser dans la distribution du carburant de la Sch dans la région afin d’aider ces derniers qui faisaient souvent face à des pénuries", assure notre interlocuteur.
"A maintes reprises, on lui a demandé d’arrêter de travailler, en vain ", raconte un Ahmed Abdallah Salim au bord des larmes qui nous a reçus au sein de l’établissement Nassib (Volo volo). "Quand elle voulait quelque chose, elle l’obtenait et il se trouve qu’elle adorait travailler". Elle était d’une force proverbiale, laquelle a quelque peu vacillé vers la fin de sa vie. "Elle n’est jamais parvenue à réellement surmonter la perte de ses deux enfants". Mais qui donc l’aurait pu ?