Si l’on en croit les anciens, le village était d’abord sur la côte, au bord d’un sentier qui menait à Pomoni, région de grande exploitation agricole au temps des colons français. “Ces derniers faisaient travailler durement et les habitants et les brutalisaient qui se sont repliés en hauteur, à Hantsole”, raconte le notable, Kassim Kamal. “Mais même là-bas, poursuit-il, ils n’échappaient pas totalement à la persécution aussi bien des colons que des miliciens. Ceux-là même qui avaient renversé et tué le sultan Mawana. Alors ils ont déserté le hameau. Certains se sont réfugiés à Vuani, d’autres à Mwamwa. Le reste, à la tête desquels se trouvait le dénommé “ba” Nadhiri Msa, ont fondé Mjimandra”.
Un “lieu de repos” autrefois. Aujourd’hui, on a beaucoup de mal à admettre qu’il s’y faisait toujours bon vivre.
Le village, s’il est électrifié et possède de l’eau en abondance, est toutefois dépourvu d’infrastructures essentielles. A part une école primaire ouverte au milieu des années 2000, il n’y a rien d’autre : ni collège, ni poste de santé, ni route goudronnée. La piste a été cimentée sur fonds propres de la communauté.
Désœuvrements, élans brisés
Cette localité de près de cinq mille âmes est plutôt isolée car situé, en altitude, à plus d’un kilomètre de la route principale reliant Mutsamudu et la région de l’ouest. Dans ces conditions, l’épanouissement est difficile.
“Ici nous n’avons aucun fils ni dans le gouvernement ni à un tout autre à poste de responsabilité publique, à part un policier. Pas plus de leader politique connu. Les instituteurs exercent pour la plupart sans contrats. Le chômage des diplômés est élevé. Le garçon qui vous a conduit jusqu’ici, c’est mon deuxième enfant. Après le bac, il a étudié l’anglais au Yémen pendant trois ans, passé huit ans en Arabie saoudite. Il est revenu diplômé, mais depuis il est ici, à la maison. Ces cas sont légions”, s’est longuement plaint Kamal Kassim, le notable.
Comme beaucoup de localités sur l’île, les transformations sociales ont sans doute eu leurs impacts sur cette situation faite d’élans brisés.
Autrefois village agricole avec ses banane, son manioc et autre gingembre en abondance, le secteur y sera abandonné au profit du petit commerce et des études, parfois poussées, mais suivies d’une longue période d’oisiveté, faute d’emplois. L’agriculture a décliné. Désormais, ce sont les petits commerçants des rues qui dominent, et ils travaillent à Mutsamudu. Une partie de la jeunesse a atterrit à Mayotte et à Ngazidja pour des activités similaires”, précise le notable.
Atouts, talents, etc.
Il ne faut, toutefois pas, croire que le village des Kutru et des Ba Nadhiri Msa (les deux principales lignées) manque d’atouts. Sa population, jeune, compte des éléments ambitieux, à l’instar de Zinedine Anli, un sportif qui rêve de gravir des sommets. “Nous avons trois équipes de football, dont une de troisième division. Les autres sont des sortes de pépinières de joueurs. D’ici deux à trois ans, nous en tireront des joueurs accomplis. Quelques joueurs du village se sont distingués ailleurs à l’instar de Koutsi ou encore Maradona et Cheikh”. On y souffre, cependant, du manque de stade et d’encadreurs qualifiés”, décrit-il.
Trois clubs de football malgré le manque de terrain de jeu, une kyrielle d’associations culturelles qui s’adonnent aux danses traditionnelles, surtout le kandza et le wadaha. “Il y a le groupe des femmes avec leur tari, les hommes avec leur kandza et le mshogoro.
Depuis 2015, des groupes qui jouent le twarabu lors des mariages ont vu le jour. Le kandza a fini par ravir la vedette au mshogoro”, se remémore, un brin nostalgique, Mohamed Abou, un militant associatif jadis très actif. Autre personnage intéressant, Mohamed Abou, revendique être à l’origine des principales initiatives de développement du village, mais “pas toujours compris”. Après deux échecs au baccalauréat, il a choisi d’encadrer les élèves et d’initier des actions en faveur du développement. Extension de l’école primaire et de la place publique, adduction d’eau financée par l’Afd ou encore restructuration des associations du village. “J’ai été dans tout ça. Mais suite au mauvais accueil que les habitants ont reservé au projet d’eau que j’ai mené, j’ai abandonné les autres projets, notamment la construction d’un poste de santé, ou l’aménagement d’une aire de maraichage. Malheureusement, aucun de tout ces projets n’a avancé depuis”, affirme-t-il.
Soudés
A l’origine de la discorde entre une partie des villageois et Mohamed Abou, des accusations “d’appropriation, par un projet privé, de citernes appartenant à la communauté”.Un problème qui s’est également posé dans d’autres endroits de l’île où des projets similaires ont été menés.
Mais d’autres conflits, Mjimandra en connaît, notamment confessionnels. Le village abrite deux clans religieux : un, minoritaire, constitué des anciens ulémas qualifiés de “conformistes”, et un second, majoritaire, qui s’en remet aux “nouveaux diplômés sortant des universités islamiques du Proche et Moyen orient”.
Mais à Mjimandra, on sait canaliser, assure Mohamed Abou, ces dissensions “de manière à ce qu’elles ne mettent pas en péril” leur cohésion.
Il est vrai que Mjimandra a su, par le passé, se relever de nombreuses “calamités”, comme les deux grands incendies qui l’ont ravagé au milieu du siècle dernier, puis au début du régime du président Ahmed Abdallah Abdérémane, en marge d’une opération de récupération forcée de terres privées qui avient été données à la communauté par son prédécesseur, feu le mongozi révolutionnaire, Ali wa Soilihi Mtsashiwa.