Au Kenya, l’élection présidentielle entachée d’irrégularités a été annulée par la Cour suprême. Il n’en fallait pas plus pour créer l’événement. Pour cause, dans le climat traditionnel de non-droit dans lequel a toujours baigné le continent, c’est une poche de résistance qui semble s’être, ainsi, constituée autour du juge constitutionnel kenyan. Quelle audace ! Cela en est presque inquiétant de s’en féliciter. Le juge n’a fait que dire le droit. Oui, mais voilà, dans le contexte africain, c’est assez rare pour en faire une chronique. Surtout, eu égard à la situation comorienne récente.
La chose est bien connue : le juge constitutionnel, c’est traditionnellement le juge des élections. D’ailleurs, dire qu’il est le juge du contentieux électoral, c’est ne prendre en compte qu’une partie seulement de ses attributions. En effet, en dehors de tout litige, le juge constitutionnel intervient aussi en temps qu’arbitre ou, parfois même, comme simple observateur. Sa mission c’est de s’assurer de la légalité du processus électoral. Et ce n’est pas une mince affaire.
Toujours est-il que la haute juridiction kenyane a rendu un arrêt parfaitement en phase avec les exigences en la matière. Elle a commencé par évaluer les conditions dans lesquelles se sont déroulées les opérations électorales au regard de la législation applicable. Elle en a relevé beaucoup d’irrégularités entourant le scrutin.
Après, une appréciation qui lui reste souveraine, elle a jugé que les défauts et contraventions constatés étaient d’une gravité telle qu’ils ont affecté la sincérité du scrutin. Par conséquent, la Cour suprême a annulé l’élection et ordonné la réorganisation de celle-ci dans un délai maximum de soixante jours.
Il faut toujours garder à l’esprit que ce qui justifie l’annulation d’une élection ce ne sont pas les irrégularités. Entre les erreurs de décomptes et les manquements administratifs, il y aura toujours matière à déplorer, erreurs, omissions et autres approximations. Juridiquement, cela ne saurait suffire à remettre en cause tout le processus. Le juge électoral se contentera de corriger.
Pour fonder une remise en cause de l’élection, il faut que les irrégularités aient été si importantes que la sincérité du scrutin s’en trouve, effectivement, entachée. C’est ce qu’on appelle, en droit, la théorie de l’influence déterminante.
Les irrégularités ne conduiront à l’annulation d’une élection que pour autant qu’elles aient eu une influence déterminante dans le résultat final. L’inconvénient de cette théorie, qui est aujourd’hui la norme chez la quasi-totalité des juges électoraux, c’est qu’elle ne prend en compte les irrégularités que dans une perspective comptable. La sincérité devrait aussi s’entendre dans une acception qualitative.
C’est ce qui a péché dans les appréciations de la Cour constitutionnelle eu égard aux dernières élections présidentielles. Elle a, plus ou moins, appliqué la théorie de l’influence déterminante. Après avoir corrigé le décompte des voix, elle a jugé que les irrégularités relevées n’ont eu aucune influence déterminante sur le processus électoral. Ce qui semble être un peu trop conciliant.
Admettons que d’un point de vue arithmétique, il n’y ait pas eu d’influence. Mais furent-elles minimes, les irrégularités ont semé un doute tel, que la sincérité du scrutin en était devenue incertaine. Entre les chiffres, parfois, défiant toute logique, et l’ampleur du mouvement politico-citoyen de contestation, la Cour constitutionnelle aurait pu innover en rajoutant à la théorie de l’influence déterminante, outre l’aspect comptable, un aspect, dirions-nous,d’intégrité.
La Cour aurait pu considérer que les irrégularités constatées avaient instauré un climat général de suspicions. Que celui-ci ne garantissait plus, au-delà de tout doute raisonnable, la sincérité de l’opération électorale dans son entièreté. Seulement, il eut fallu, sans doute, un peu d’audace.
Souvent, il nous est reproché notre tolérance à l’égard de la Cour constitutionnelle. Pour notre part, nous l’assumons. Encore une fois, c’est à l’institution que va notre indulgence et non à ceux qui la composent. La juridiction est jeune. L’urgence est de défendre son autorité plutôt que la saper. D’ailleurs, d’audace, elle en a déjà fait preuve. Le temps passant, le juge constitutionnel comorien se raffermira dans ses missions. Il comprendra qu’il a un devoir d’ingratitude à l’égard de ceux qui le nomment. Que dire le droit doit être son unique préoccupation.
Mohamed Rafsandjani
Constitutionnaliste Doctorant en droit public
Chargé d’enseignement à l’Université de Toulon