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Fahmi Said Ibrahim I «La libération de l’ancien président sera un facteur de concorde nationale»

Fahmi Said Ibrahim I «La libération de l’ancien président sera un facteur de concorde nationale»

Société | -   Maoulida Mbaé

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Dans cette interview exclusive, l’avocat et ancien candidat aux présidentielles de 2016, Me Fahmi Said est revenu sur plusieurs sujets. Il y évoque ses relations avec le parti Juwa, ses dernières prises de parole, et l’incarcération de l’ancien président Ahmed Abdallah Mohamed Sambi, entre autres.

 

Vous avez récemment rencontré l’ancien raïs Ahmed Abdallah Mohamed Sambi dans son lieu de détention. Comment se porte-t-il?

Il se porte très bien, aussi bien physiquement que moralement. Vous savez, le président Sambi est foncièrement croyant. Il a une foi réelle et profonde en l’Islam : la Takwa. C’est-à-dire, la crainte de Dieu, maître de l’univers.

Selon vous, le sort de Sambi est définitivement scellé en prison, ou est-ce qu’il est toujours possible de le libérer ? Si oui, par quelle voie ?

Par quelle voie ? Certainement légale. Je saisis l’opportunité pour appeler le président Azali à faire preuve de compassion et d’humanisme. Il peut le gracier par sa propre volonté. Je pense que sa libération sera un facteur de concorde nationale et permettra d’envisager la réconciliation de notre nation. Sans cela, il n’y aura jamais de perspectives sérieuses pour l’avenir de notre nation. Le pays a besoin de sérénité et de conciliation pour regarder notre avenir et le bâtir.

Concrètement qu’est-ce que ses avocats et sa famille continuent de faire pour sa liberté depuis la fin du procès ?

Avec mes confrères, nous ne nous sommes pas concertés depuis. Nous déplorons toutefois le fait que nous n’ayons pas facilement accès à lui, sachant que tout ce qui pourrait être entrepris, doit être fait avec lui et surtout, avec son accord. En matière pénale, l’avocat n’a pas pour rôle de représenter la personne, mais de l’assister. Cependant, comme il est difficile de le voir, il nous est également compliqué de nous concerter et d’envisager une quelconque action. J’ignore par contre ce que sa famille entreprend.

Il semble que la justice ne donne plus d’autorisation de visite à Sambi. Comment avez-vous eu la vôtre, alors que vous n’avez même pas reconnu le tribunal qui l’a condamné ?

Effectivement, la justice estime que le mandat d’assistance prend fin après le jugement. Je ne partage pas cette interprétation, mais c’est ce qu’elle a décidé. Comme nous n’avons pas accès à lui en tant qu’avocat, comment pouvons-nous envisager des actions en concertation avec lui ? À propos de votre question, avant d’être son avocat, je suis un citoyen. Cela fait 8 mois que j’ai tenté, mais en vain.

Parlons de votre relation avec Juwa, votre parti. Le mandat de l’actuel bureau a expiré depuis plusieurs années. Pourquoi est-il toujours là ?

Vous dites qu’il est toujours là ? Il n’est nulle part. Le mandat du dernier bureau a pris fin en 2020. Depuis cette date, le bureau sortant n’a rien fait pour respecter la légalité du parti, encore moins nos statuts. Et c’est troublant. Les responsables du parti doivent être exemplaires. Avant de donner des leçons à ceux qui prennent des libertés avec la loi de la République, nous devrions scrupuleusement respecter les statuts de notre parti pour exercer au mieux notre rôle d’opposant républicain et crédible. Nous devrions nous montrer exemplaires en toutes circonstances. Je finis par rappeler que ce bureau, qui n’est plus légal, n’a pas non plus respecté la volonté de Sambi, leader du parti, qui s’était prononcé en faveur de notre participation aux dernières élections présidentielles. Cela me fait dire que le bureau et son secrétaire général ne sont ni légaux ni légitimes. Ils ont violé les statuts et ont refusé d’obéir à la volonté de Sambi.

Avant que votre nom soit proposé comme candidat du Juwa à la dernière présidentielle, l’ancien président et son entourage proche avaient consulté quatre autres personnes pour porter les couleurs du Juwa. Comment avez-vous vécu cela ?

Je voudrais rectifier une erreur. Je n’ai pas été proposé candidat. J’ai été candidat par mon propre chef à l’occasion des primaires. Maintenant, ce que vous dites semble être avéré. Effectivement, de nombreuses personnalités du parti ont été consultées par le président Sambi pour être candidats aux élections présidentielles. Quatre d’entre eux ont décliné l’offre. J’ai compris qu’il pouvait choisir n’importe qui sauf moi. Mais c’est la politique.

Il a été choisi d’abord par Sambi et Salami avant les primaires. Comment je l’ai vécu ? Très mal, je l’avoue. D’autant plus que les grands électeurs n’ont pas été libres de faire leur choix en âme et conscience. Cela veut dire que, malgré mon parcours, deux fois député d’Itsandra et deux fois ministre, ils ne m’ont pas fait confiance. J’ai pris acte et j’ai respecté leur volonté. Je m’y suis plié et j’ai même soutenu le candidat choisi, qui ne voulait même pas les élections mais, a fini par être candidat. J’ai reçu, à mes dépend une belle gifle politique. Mais je suis convaincu que si Sambi l’a choisi, c’est qu’il est à ses yeux le meilleur d’entre nous. Et donc, mieux qualifié pour être le président de la République.

Ne vous arrive-t-il pas de regretter d’avoir dissous votre parti, le Pec ?

Non. Je ne regrette pas. J’assume ce que j’ai fait, quelles qu’en soient les conséquences. Il serait pourtant facile de le regretter. Mais moi, non. J’ai laissé incontestablement des plumes, mais c’est la dure réalité de la politique politicienne de notre pays.

Vous avez reconnu les résultats positifs de la diplomatie comorienne sous le régime du président Azali. Cela vous a valu toutes sortes de critiques venant de votre propre camp. Quelle est votre réaction ?

Au cours d’une interview que j’ai accordée à Comores Info et Shabakat, j’ai soutenu que si le président Azali a réussi à se faire élire président de l’Union Africaine, et que cinq chefs d’État sont venus aux Comores pour son investiture, c’est une victoire diplomatique en soi. Maintenant, ce qu’il a pu faire ou pas pendant son mandat, c’est un autre débat. Une levée de boucliers a eu lieu dans nos rangs de l’opposition et je fais l’objet de critiques acerbes.


Pendant cette sortie médiatique, j’ai porté des critiques sérieuses sur la faillite de notre système de santé publique, qui est privatisé. Les médecins reçoivent de plus en plus de clients et non des patients. Pas tous, bien sûr. J’en connais de grands humanistes, qui exercent leur profession avec beaucoup de dévouement. J’ai dénoncé l’abandon de l’éducation nationale par l’État. Il entraîne une baisse généralisée du niveau scolaire. Ça fait que, seuls les enfants qui fréquentent l’école privée, avec des parents à revenus élevés ou moyens, ont une chance de s’en sortir à l’avenir.


Sans réformes structurelles de notre système éducatif, notre nation et notre État s’appauvriront. Seul l’investissement dans l’éducation peut nous permettre de préparer notre avenir, celui de nos enfants. J’ai critiqué sévèrement l’absence de mesures appropriées pour accompagner la population après une inflation de 22 % entre 2022 et 2023, qui diminue de manière conséquente le pouvoir d’achat des ménages à faibles revenus. J’ai critiqué l’administration publique, qui ne joue plus son rôle avec un déclin sur le niveau de qualification des fonctionnaires. Il y a 50, 40 et même 30 ans, les fonctionnaires comoriens étaient hautement qualifiés, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.


J’ai appelé à une grande réforme structurelle de l’État pour rationaliser nos choix budgétaires en fonction des priorités que je viens de citer. Nous n’avons aucune autre alternative malheureusement, et rien n’est fait. Tout ce diagnostic posé, n’intéresse pas mes adversaires. Ils ont juste retenu ce que j’ai dit sur la diplomatie d’Azali. J’aime ce qu’a dit Eleanor Roosevelt : “Les grands esprits discutent des idées ; les esprits moyens discutent des événements ; les petits esprits discutent des gens.”

Certains considèrent votre dernière sortie médiatique comme un signe annonciateur d’un ralliement au régime…

Vous savez, je ne porte jamais de jugement sur les suppositions. À chacun de se faire son opinion. Pour ma part, j’agirai quand je devrai, en âme et conscience.


On dit que vous avez un contrat de conseil avec la Société comorienne des hydrocarbures, et d’aucuns estiment qu’un vrai opposant n’aurait pas obtenu cette faveur. Qu’en dites-vous ?

Je ne devrais pas répondre à cette question. Mais comme je réponds sans détours ni complaisance à toutes les autres, je vous réponds quand-même. Ce sont les esprits simples qui prennent de tels raccourcis. Une société d’État n’est pas la propriété des gouvernants. Une grande société d’État a intérêt à se faire conseiller par un grand cabinet. Pendant toute ma carrière d’avocat, la politique n’a jamais interféré dans mon métier.

J’ai toujours été très professionnel et soucieux du respect de la déontologie de ma profession. Alors que je soutenais Sambi, cela ne m’a pas empêché de défendre des innocents poursuivis et mis en détention par le ministère de la Justice. Je suis l’avocat de la Sch. Pourtant, il y a deux mois, j’ai été sollicité par Mohamed Daoud (Kiki) pour le défendre parce qu’il savait qu’il allait être défendu correctement. J’ai décliné sa sollicitation, parce que je devais voyager. En novembre dernier, j’ai défendu le candidat du Juwa, disqualifié par la cour suprême. Notre métier, comme celui de médecin, ne tient pas compte des positions politiques ou religieuses de nos clients. Maintenant, comme disait Giscard d’Estaing : «Il faut laisser les choses basses mourir de leur propre poison».

Si le président Azali fait appel à vous pour rejoindre son gouvernement, le rejoindrez-vous ?

Vous connaissez sans doute le proverbe : «Avec des si, on mettrait Paris en bouteille», n’est-ce pas ?

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