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Foncier : quand la terre attise les conflits familiaux

Foncier : quand la terre attise les conflits familiaux

Société | -   Mairat Ibrahim Msaidie

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Conflits familiaux, ventes illégales, documents falsifiés… Le flou juridique entourant la propriété foncière plonge de nombreuses familles comoriennes dans des querelles interminables, parfois enracinés depuis plusieurs générations.

 

Aux Comores, le problème foncier prend une ampleur inquiétante. Entre conflits d’héritage, ventes illicites, falsification de documents et absence de régulation claire, de nombreuses familles sombrent dans des querelles interminables, souvent transmises de génération en génération. Nassim, un jeune homme originaire de Mitsudje, illustre bien ce phénomène :
«Mes trois grands-mères ont hérité d’un terrain de leur père. Mais ce terrain n’a jamais été officiellement partagé. Il est resté en friche. Personne n’y a construit ni cultivé quoi que ce soit. Mais dès qu’une des parties tente de s’y installer, les autres s’y opposent. Et le conflit éclate. On appelle ça manyahuli.»

De nombreuses problématiques

Une autre voix, souhaitant garder l’anonymat, dénonce un cas plus grave encore : « Mon oncle a vendu un terrain qui ne lui appartenait pas. Il a profité de l’absence du vrai propriétaire, qui vivait à l’étranger, pour falsifier des documents et conclure la vente. L’acheteur a entamé les travaux… avant de découvrir l’arnaque. Mais c’était trop tard.»Ces cas ne sont pas isolés. Le procureur Abdou Ismail rappelle que ces litiges remontent à l’époque coloniale.«Après l’indépendance, les Comoriens devaient nationaliser les terres. Mais cela a été mal fait. Résultat, certains villages se sont appropriés des terres entières sans aucune base légale», explique-t-il.


Le phénomène des «biens indivis» complique encore les choses : plusieurs descendants revendiquent la propriété d’un même terrain hérité d’un ancêtre commun. «Quand le père meurt, les enfants, puis les petits-enfants se proclament propriétaires sans qu’il y ait eu un partage clair. Cela bloque toute vente. On peut y habiter, mais pas vendre», poursuit le procureur. De nombreuses transactions foncières se font ainsi sans documents légaux solides, sur la base de simples témoignages ou de papiers falsifiés. Certains vont jusqu’à ternir la mémoire des morts pour justifier une appropriation. « On voit parfois des actes d’hérédité signés au nom de personnes déjà décédées. C’est ignoble», s’indigne le magistrat.


Autre situation fréquente : un terrain vendu légalement est contesté des années plus tard par les héritiers du vendeur. «Il arrive que les enfants poursuivent l’acheteur en justice, alors que celui-ci avait acquis le bien en toute légalité», déplore-t-il.
La responsabilité des notaires est également engagée. «Ils devraient vérifier la régularité des documents, enquêter auprès du voisinage, s’assurer que le terrain n’a pas déjà été vendu. Malheureusement, beaucoup ne le font pas», note le magistrat.
Pour le procureur, seule une réforme en profondeur peut sortir le pays de cette impasse : «Il faut une assise nationale sur le foncier, clarifier les propriétés, créer un registre fiable et moderniser les procédures.» Il appelle également les citoyens à la vigilance. «Avant d’acheter, il faut vérifier l’identité du vendeur, l’authenticité des documents et se renseigner auprès des autorités locales», suggère-t-il.Aux Comores, la terre est à la fois une richesse, un héritage et un symbole. Mais sans encadrement solide, elle continuera d’alimenter divisions, conflits et drames familiaux.

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