Sans doute, faudrait-il aller plus loin dans la définition de ce qu’est le racisme, et pas uniquement par rapport aux Usa. Le racisme est-ce uniquement la propension de quelques policiers américains à tirer à bout portant sur le premier Afro-américain venu et de s’en tirer sans conséquence? Est-ce, uniquement, la propension chez quelques fonctionnaires de certaines administrations européennes, nord-américaines et d’ailleurs dans le monde, à décider du sort des dossiers qui leur sont soumis sur la base du degré de pigmentation de la peau et de l’origine géographique?
Ne serait-ce pas aussi le fait pour certains pays, leaders d’opinion, autorités d’Etat, et pour certaines idéologies des quatre coins de la planète, de considérer que conduire les affaires sensibles politiques et diplomatiques, battre la monnaie, parler leurs langues, assurer la défense de leur pays et la sécurité de leurs citoyens étaient au-dessus des capacités de certains pays, leaders d’opinion, autorités d’Etat, populations et nécessitent, donc, absolument, une tutelle ad vitam aeternam?
Ne serait-ce pas aussi le fait, pour des religions, de considérer, près de trois mille trois cent ans après la naissance du premier des trois principaux monothéismes, que certains, parmi les femmes et les hommes – aussi pieuses ou pieux qu’elles (qu’ils) soient – doivent, pour ceci ou pour cela, “attendre encore” avant de pouvoir présider aux affaires du bon dieu au plus haut sommet des hiérarchies “cléricales”?
Qu’en est-il de la conviction chère à certains d’entre nous qu’il faille se méfier et haïr certains d’entre nous au point de vouloir les effacer de la surface de la terre ou encore de les rebaptiser avant de les parquer dans des réserves? Et si c’était aussi cette conviction inébranlable chez certains d’entre nous que tout ce qui a fait et fait le monde depuis qu’il est monde, du premier homme, aux Pharaons, en passant par les tous premiers mathématiciens et les tous premiers voyageurs au-delà des mers et des continents, vient d’eux?
Le remède et le mal
Devant une situation aussi complexe, une éventuelle avancée dans le combat contre les idéologies discriminatoires, hostiles, humiliantes, racistes et apparentées, si elle devait être comprise et prise – pour ce qui est des Usa – pour une victoire de Noirs “afro-descendants”, de Rouges “Amérindiens” ou de “minorités” diverses, sur des Blancs “européo-descendants” et de “minorités diverses”, ne serait pas une avancée pour notre société et pour notre civilisation mais, avant tout et peut-être uniquement, une revanche sur l’histoire. Pire encore, une victoire sur l’autre. Et l’on ne peut prétendre bâtir une nouvelle société mieux représentative de toutes et tous, sur les bases d’une revanche sur la société et d’un rapport de force permanent. Autrement, le “remède” ne pourrait qu’être, tout au moins, aussi pire que le mal.
Floyd, la marche et la montagne
L’expérience enseigne que, s’il est vrai que les révoltes sporadiques à répétition ont pu constituer de puissants révélateurs de la souffrance à laquelle sont confrontées, parfois depuis des siècles, les populations victimes d’idéologies discriminatoires, hostiles et déshumanisantes, les avancées qualitatives enregistrées jusqu’ici n’ont pas été le fait d’actions violentes – nécessairement circonscrites dans le temps – mais essentiellement, celui du combat permanent, patient et long et d’une résolution ferme et tranquille. Il ne faut pas se faire d’illusions, la “marche qui va permettre de voir George de l’autre côté de la montagne”*, sera encore longue et harassante.
Charge historique et mémoire
En effet, pour qu’il aboutisse, le fort besoin de changement actuel doit avoir vocation à être intégré par la société dans son ensemble et porté par elle et non à lui être imposé ou même superposé. C’est pourquoi, réduire le combat à des coups de semonce sur la société et à des démonstrations de force face aux forces réactionnaires en place, serait fatalement contreproductif.
Cela, cependant, n’exclue pas la chute de certains symboles, matériels ou immatériels, du fait de leur charge historique. Dans la mesure, par exemple, où certaines communautés, dans leurs déferlements sur les “nouveaux mondes”, n’avaient pas considéré leurs hôtes indigènes comme des égaux, on peut aisément comprendre la réticence de ces derniers à ériger ce qu’elles représentent en référence historique exclusive de la société commune, même sous le prétexte de la mémoire.
D’autant plus, tout simplement, que la nouvelle société que tous, désormais, nous appelons de nos vœux, ne peut faire, raisonnablement, l’économie d’une réécriture de l’histoire basée, cette fois-ci, sur de nouvelles vérités, de nouveaux symboles, de “nouvelles lois et de nouvelles institutions”** en rapport avec ses nouveaux idéaux. Il nous faut, en effet, de toute urgence, rendre la vérité et, peut-être plus, la justice à l’Histoire en lui extirpant les injonctions à sens unique qui lui sont faites depuis trop longtemps.
C’est cette lame de fond que ne semblent pas percevoir, malheureusement, certains hommes politiques qui ne voient dans le mouvement de contestation mondial actuel, que du “désordre” et du “chaos” récupéré par des “séparatistes”, ou encore, des “pillages, des actes de vandalisme”, et du “terrorisme intérieur”. ***
La République et le cigare
Le véritable drame dans l’”Affaire George Floyd” – pour ne citer que la dernière “affaire” en date – c’est, certes, le fait qu’un individu a été assassiné de sang-froid des mains et en présence de représentants d’une institution que la société a chargé de le protéger mais, c’est surtout et peut-être plus, le message qu’elle renvoie à la société.
Cet acte signifie, en effet, qu’aux Usa et ailleurs, des tueurs de sang-froid, des criminels, des êtres peu recommandables peuvent être admis, tout à fait légalement, dans une institution de la République sensée vous servir et vous protéger, y prospérer, puis, après avoir sévi contre vous sur les seules bases de leurs propres philosophie, pulsions et fantasmes, s’en aller, tranquillement, reprendre leur sieste en délectant un cigare.
C’est ce constat d’horreur qui indique qu’il va falloir, vraiment, qu’aux Usa et ailleurs, quelque chose change. En profondeur.
Madjuwani hasani
*Letitia James, procureure de l’Etat de New York (Usa)
**Angelina Jolie, actrice américaine : “il est temps de modifier nos lois et nos institutions en écoutant ceux qui ont été les plus touchés et dont les voix ont été exclues”
*** Emanuel Macron et Donald Trump, cités par l’hebdomadaire français “Courrier international” et les quotidiens allemand et français, “Süddeutsche Zeitung” et “Le Monde”.