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Gestion de l’Etat I Hamada Madi Boléro pour «une réconciliation générale entre Comoriensr»

Gestion de l’Etat I Hamada Madi Boléro pour «une réconciliation générale entre Comoriensr»

Société | -   Nassila Ben Ali

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Dimanche dernier, l’ancien premier ministre et ancien secrétaire général de la Commission de l’Océan indien, Hamada Madi Boléro a accordé une grande interview à plusieurs médias de la place. Plusieurs sujets ont été abordés. De l’indépendance à nos jours, en passant par la transition après la mort du président Mohamed Taki, la tournante, le procès sur la citoyenneté économique et la position des Comores concernant la guerre en Ukraine, entre autres. Al-watwan a fait le choix de revenir sur certaines questions saillantes. Interview.

 

L’armée nationale a pris le pouvoir en 1999 pour, disait-elle, stabiliser la situation. La transition tant voulue à l’époque a-t-elle eu lieu ? Que peut-on retenir de cette période ?

Je tiens à préciser que les Comoriens n’ont pas été informés de ce qui s’est passé et dit à Addis-Abeba, à Fomboni et/ou à Antananarivo. A Madagascar, on est allé discuter sur comment constituer un nouvel Etat, une nouvelle manière de gérer le pays qui permettrait à toutes les îles de s’autogérer dans le respect de l’intégrité territoriale. Tout le monde s’est mis d’accord, mais les natifs de Ndzuani ont émis la réserve de ne pas faire partie de la transition car, ils voulaient avoir un gouvernement insulaire. Au moment de signer l’accord, ils ont persisté et demandé de soumettre cela à un référendum à Ndzuani pour qu’ils puissent le juger, l’accepter ou le refuser. Cela a engendré des frictions à Moroni contre les natifs de Ndzuani et l’armée s’est interposée pour stabiliser la situation et éviter une guerre civile. J’étais parmi les civils sollicités par l’armée pour aider et j’ai accepté. Nous avons opté pour la transition et avons décidé de réunir tout le monde sur la table de discussions. Ces discussions n’étaient pas faciles. Pas du tout.

Et au final ?

Au final, nous nous sommes entendus, avec un premier petit accord selon lequel tout le monde a accepté d’entamer les discussions, avant de se mettre d’accord à travers un deuxième accord pour instaurer les fondements. Cela a abouti aux réflexions avec la communauté internationale et à l’accord cadre pour la réconciliation des Comores, autrement dit l’accord de Fomboni, signé le 17 février 2001, avec bien sûr la présidence tournante. Nous avons élu les présidents des îles autonomes et le président de l’Union des Comores. Nous nous sommes confrontés à la question des conflits de compétences entre l’Union et les îles car on devrait élire les députés pour venir instaurer cela mais ça n’a pas encore eu lieu. La communauté internationale s’est réunie à Beit-salam et on s’est mis d’accord de donner certains pouvoirs aux îles pour apaiser la situation. Ainsi, la première tournante est passé sur le processus de mis en place des instances et règles du nouvel Etat.

Et la deuxième tournante ?


Le président Sambi est élu, mais il s’est toujours heurté aux conflits de compétences car tous les présidents insulaires réclamaient des droits. Avec le président de l’île de Ndzuani, le courant ne passait pas du tout. Cela a même fait l’objet d’un débarquement militaire. Après celui-ci, les autorités de l’époque ont jugé nécessaire de changer la constitution. Il est vrai que celle de 2001 était très complexe et budgétivore, mais tout le monde s’y retrouvait. Donc, avec la nouvelle constitution, on a mis fin à l’autonomie, les présidents des îles sont devenus des gouverneurs. Il y a eu trois vice-présidents au lieu de deux. On a introduit l’harmonisation des élections, le président, les gouverneurs et les députés devaient être élus en même temps. Alors, il faut l’accepter, il y a eu plusieurs vices de formes concernant l’application de la nouvelle constitution. Donc, la tournante de Ndzuani s’est résumée au changement de constitution et des lois.

Et la troisième tournante ? On dit aussi qu’il y a eu des changements de constitutions. Quelle lecture faites-vous de cette période ?


Pendant cette troisième tournante, il n’y a pas eu de changement de constitution, en tout cas, pas de changement très important. L’autonomie a été déjà revue. Par contre le président Ikililou Dohinine a fait en sorte que les gouverneurs et les vice-présidents s’entendent et coopèrent, notamment dans le cadre des nominations des autorités insulaires. On peut dire que c’est la tournante la plus apaisée car le président a fait en sorte d’échapper aux conflits de compétences. Pour moi, cette tournante devait être celle du bilan de toutes les tournantes comme convenu à Fomboni, même si ce n’était pas écrit, mais les réformes faites lors de la deuxième tournante ont tout chamboulé.

Le procès sur l’affaire de la citoyenneté économique a eu lieu ces derniers jours. Malheureusement, certains inculpés n’ont pas voulu répondre à la justice contestant la cour de sûreté qui devrait les juger. En tant que juriste de formation, quelle est votre réaction ?


Le commissaire du gouvernement a déjà fait son réquisitoire, des avocats de la défense se sont déjà exprimés, alors, en tant que juriste, je n’ai rien à dire. Certaines personnes s’expriment ici et là, mais ce ne sont que de simples commentaires. En tout cas, ça m’est déjà arrivé. J’étais premier ministre dans ce pays, mais j’ai fait une garde à vue de trois jours à la gendarmerie avec ma femme. J’ai souffert là-bas. C’était dans une période de 6 juillet, me rappelle-je. On m’a accusé d’avoir volé une petite table. Je n’ai pas accusé le gouvernement ni la justice, je m’y suis soumis, alors que, selon la loi, toute personne ayant occupé de hautes fonctions comme moi devrait être jugé par une "Cour de justice". Moi, j’ai été jugé par une juridiction correctionnelle.

C’était sous le régime de quel chef de l’Etat ?


Je préfère ne rien dire de ce côté-là. Sinon, on m’a jugé à la correctionnelle, ensuite j’ai fait appel et on m’a libéré. On attend le verdict pour nous exprimer. (Nous rappelons que l’interview a été réalisée dimanche avant l’énoncé des verdicts, ndlr).

Mais certains inculpés ont refusé d’être jugés par la cour de sûreté de l’Etat, notamment l’ancien président Sambi, Ibrahim Mhoumadi Sidi et l’ancien vice-président Mohamed Ali Soilihi. D’autres ont répondu présents ou bien représentés par leurs avocats.Quel est votre commentaire ?


C’est ça la justice. Etre libre de prendre sa décision, dire qu’on est prêt à être jugé ou non. Je le répète, j’ai été jugé, j’ai accepté le jugement. Il y a des personnes qui refusent leurs jugements. C’est ça la démocratie. Pour moi, je demanderais ce qu’il faut faire maintenant, car des cas pareils ont eu lieu après l’assassinat du président Ali Soilihi. Certaines personnes ont été emprisonnées après Djohar. Mohamed Abdou M’madi, ancien premier ministre a été emprisonné. Après Azali, certains de ses ministres ont été jugés et mis en prison. C’est le cas de Msaidié ou Aboudou Soefo. Alors, la question reste à savoir,
que faut-il faire pour éviter que cela se reproduise ? Le temps est venu de s’asseoir ensemble, vu la complexité de notre pays et la population moins nombreuse, la proximité des uns des autres. Je propose alors de s’entendre sur tout ce qu’on veut faire, que la population et toutes les couches sociales soient au courant, sinon on sera toujours inquiété après son règne. Alors le temps est venu de se réconcilier tous. Une réconciliation générale entre Comoriens. S’asseoir ensemble et se pardonner. D’ailleurs, je profite pour demander solennellement des excuses à tout le monde. Pour moi, j’ai tout pardonné.

Certains membres du gouvernement ont rencontré Bachar Kiwan, un des inculpés et recherché dans l’affaire de la citoyenneté économique. Le ministre des Affaires étrangères cité parmi ces membres ne l’a pas nié. Qu’en dites-vous.


Tout d’abord, vous avez dit que le ministre des Affaires étrangères l’a accepté, alors je ne dis rien le concernant personnellement. Par contre, je sais que Bachar Kiwan a sollicité rencontrer le gouvernement pour lui dire où il pouvait récupérer une partie de l’argent évoqué, mais également donner des informations concernant la gestion d’une partie pour aider la justice à avancer. Cependant, il voulait être disculpé de l’affaire.
Le président de la République ne l’entendait pas d’une bonne oreille et ne veut en aucun cas entrer en discussion avec Bachar. Concernant la rencontre entre le ministre des Affaires étrangères et l’inculpé Bachar Kiwan, je voudrais souligner que dans les grands pays cela peut se faire, mais discrètement et pas avec une haute autorité.
On peut rencontrer une personne ou un criminel recherché, par contre ce n’est pas un ministre qui va à la rencontre, mais un agent. Pour moi, cette rencontre n’aurait dû pas avoir eu lieu, encore plus avec un membre du gouvernement. Qu’on nous explique comment se fait-il que de hautes autorités de notre pays rencontrent une personne recherchée par la justice du pays, lequel a lancé un mandat d’arrêt international pour l’arrêter.

Quelles seraient les conséquences, selon vous ?

 Cela concerne le principal concerné. C’est lui qui connait les raisons de cette rencontre et qui peut expliquer si cela valait la peine. C’est au concerné de gérer cette question, de voir ce qu’il faut faire. S’il s’explique devant les médias comme il a déjà fait, s’il s’excuse publiquement. C’est à lui de voir. C’est le patron de la diplomatie de notre pays, c’est à lui de prendre les décisions dont il juge nécessaires pour éclaircir l’ambiguïté qui est autour de cette affaire. Pour les autres concernés, je n’ai rien entendu, j’ai vu des photos seulement. On attend.

 

Peut-être vont-ils s’exprimer ou non. Mais, je ne peux rien dire pour le moment. Par contre, je tiens à préciser qu’il y a des ministères qu’on appelle régaliens, à savoir le ministère de la Justice, celui des Affaires étrangères, le ministère de l’Intérieur et celui de la Défense. On ne peut pas faire n’importe quoi avec ces ministères. C’est ainsi que pour nommer quelqu’un à la tête d’un de ces départements, on fait des enquêtes de moralité. Par exemple, on cherche à savoir si on est marié, pour éviter de petites choses qui pourraient entacher le ministre. En tout cas, on peut dire que cette affaire a déshonoré notre pays, encore plus lorsque a-t-on appris que l’inculpé a payé le déjeuner de notre ministre.

 

Qu’avez-vous à dire par rapport à la guerre en Ukraine, laquelle a engendré une grande crise économique dans le monde et bien sûr dans notre pays ?

 

Je sais par exemple que l’Ukraine produit 40% de la farine consommée dans le monde et la Russie 30%. 70% à eux seulement. Pour ce qui est des carburants et du gaz, la Russie est le premier producteur qui en vend beaucoup dans le monde entier. Il y a aussi d’autres produits et d’autres secteurs qui sont concernés. Alors, qu’on le veuille ou non, la guerre entre ces deux pays doit affecter le monde. Là, il n’y a pas débat. Notre pays ne peut rien faire. Peut-être, devrait-on multiplier les prières pour l’apaisement et la fin des hostilités. Sinon, nous ne sommes pas capables d’échapper aux difficultés de cette guerre. D’ailleurs, nous en subissons moins, car nous nous approvisionnons dans plusieurs pays. Qu’on sache que les grands pays comme la France sont aussi affectés. Toutefois, nous prions pour que des solutions soient rapidement trouvées pour mettre fin à ces hostilités. 

 

Par contre, les Comores ont pris position…

Oui. Les Comores votent contre la Russie aux Nations-unies pour nos intérêts, mais pas contre la Russie. Nous ne nous opposons pas cependant à la Russie. Nous n’en sommes pas capables. Je tiens à préciser que la Russie soutient les Comores sur la question de Mayotte. Il faut que la population comprenne qu’à chaque fois qu’on se trouve devant les instances internationales, on revendique notre île de Mayotte. On le fait aussi pour le Palestine contre l’Israël concernant son occupation du  territoire palestinien. Alors, comment va-t-on comprendre que les Comores qui revendiquent tout cela soient derrière la Russie qui veut occuper des territoires ukrainiens.

Le langage diplomatique ne sera plus cohérent avec les pays qui nous aident dans ce combat. Il serait illisible. C’est pourquoi le chef de l’Etat a pris cette position sinon, nous n’avons pas de position hostile à la Russie, nous ne sommes pas en mesure. J’insiste que la Russie et la Chine sont les grandes puissances qui sont derrière nous sur la question de Mayotte. Bientôt l’ambassadeur de la Russie viendra à Moroni pour discuter de plusieurs questions dont celles que je viens d’élucider. Mais je précise que nous avons condamné l’occupation de l’Ukraine par la Russie comme nous le faisons sur la question de Mayotte illégalement occupée par la France et le Palestine avec l’Israël.

 

 

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