Et les mesures de redressement se poursuivent dans les entreprises publiques. Après la Société comorienne des hydrocarbures (SCh) qui a revu à la hausse les prix des carburants, le 30 mai, vient le tour de l’Office national d’importation et de commercialisation du riz (Onicor) de se séparer d’une soixantaine d’agents contractuels. Après avoir augmenté, elle aussi, le prix du riz ordinaire (malgré la subvention apportée par l’Etat), début juillet, la société a décidé cette fois-ci de ne pas renouveler les contrats de 62 employés.
«Non-respect des obligations de l’Etat»
Le but de ces mesures d’austérité observées un peu partout ces derniers temps ? Sauver ces entreprises d’État dont “certaines sont menacées de banqueroute”. Si elles ne sont pas logées à la même enseigne, ces sociétés d’État ont, en revanche, un point en commun : des difficultés financières criantes. Une situation qui aurait probablement pu être évitée si les décideurs avaient suivi les conseils formulés par le Fonds monétaire international (Fmi) dans un rapport rendu il y a deux ans.
Consacré à la situation financière des entreprises publiques, ce document élaboré à la suite d’une requête émanant du ministre des Finances de l’époque est plus que jamais d’actualité. En effet, du 29 octobre au 12 novembre 2019, une mission composée de 5 experts du département «Finances publiques» du Fmi et de l’Afritac Sud [centre régional d’assistance technique pour l’Afrique australe] a séjourné à Moroni avec un seul objectif : proposer des pistes pour améliorer la rentabilité financière, la gestion et la gouvernance des principales entreprises publiques (Eps).
Un rapport de 76 pages
Mais avant de remettre ses conclusions, le groupe d’experts avait établi un diagnostic de 19 entreprises publiques. Ce qui lui a permis de déceler les principaux facteurs qui les plombent. Sur cette liste, on retrouve, entre autres, «le non-respect par l’Etat de ses obligations envers les établissements, les violations des règles des marchés publics, et l’absence de contrôles et d’audits externes». Parmi les sociétés passées au peigne fin, il y a la Sonelec, la Sch, Comores Telecom, l’Apc, mais pas seulement. Dans ce rapport de 76 pages, qu’Al-watwan a consulté, la mission a, d’abord, classé par ordre d’importance les faiblesses des établissements.
Des fragilités accentuées par la politique de l’Etat vis-à-vis de ces entreprises. Souvent considérées comme des «vache à lait», celles-ci font peser «un risque considérable sur le budget de l’Etat» auquel elles apportent une part importante chaque année, ont alerté les auteurs du rapport. En 2017, par exemple, les établissements publics (Eps) ont contribué à hauteur de 43% dans le budget. Preuve qu’il y a de quoi s’inquiéter, ce chiffre est tombé à 31% l’année suivante. En 2018, l’apport de la Sch ne dépassait pas 15%, alors qu’un an plutôt, ce chiffre frôlait les 30%. Même tendance pour l’Onicor dont la courbe de contribution au budget connait une chute (moins de 5% en 2018).
Raison pour laquelle, il a été recommandé à l’Etat de tenir compte des performances des sociétés dans l’élaboration du budget. Car les niveaux de contribution fixés et retracés dans la loi des Finances montrent un décalage entre les capacités d’apport. Certes entre 2016 et 2018, Comores Telecom et Sch concentraient en moyenne 37% des recettes budgétaires, mais leurs résultats connaissent en revanche “une dégringolade” depuis 2015, surtout pour la Société comorienne des hydrocarbures, d’après ce rapport.
Créances douteuses
“Les créances douteuses”, les endettements[ en 2020 la dette cumulée représentait 21% du Pib national, sans tenir compte des investissements futurs dont certains font déjà l’objet de prêts constituant un frein pour les entreprises publiques, alertaient les experts. Ces derniers avaient d’ailleurs invité Comores Telecom à renoncer au projet d’investissement de 80 millions.
L’absence d’un processus de mise en concurrence systématique au sein des établissements comme l’Onicor ou la Sch qui s’approvisionnent à l’extérieur a, par ailleurs, été pointée du doigt. «La règlementation des prix de vente sans indexation avec les coûts des matières importées ou des coûts de production expose les entreprises à un risque de vente à perte», ont soulevé les experts citant le cas de la Sch. En 2019, la société a importé 4 fois sur les 6 livraisons de pétrole à des prix supérieurs à 245fc, prix de vente fixé par le gouvernement. Ce n’est pas tout. «Le manque de transparence dans le choix des fournisseurs ne permet pas à la Sch d’assurer un approvisionnement à des meilleurs prix», a souligné enfin l’étude.
Un constat qui coïncide avec la situation que traverse la société nationale d’importation de produits pétroliers, habituée aux changements de fournisseurs, souvent «sans respecter les règles de passation de marchés publics» [lire Al-watwan du 22 juin 2022 ]. «L’Etat doit tenir compte des coûts internationaux des matières premières avant de fixer les prix des produits pétroliers ou ceux du riz tout en mettant en place des mécanismes de revalorisation avec des amortisseurs pour garantir une stabilité pour le consommateur final», recommandaient les experts. Observé presque partout, le problème des effectifs pléthoriques dans les sociétés d’Etat a été évoqué par les auditeurs. Les auteurs du rapport ont aussi constaté pendant leurs investigations que les masses salariales augmentaient plus rapidement que les chiffres d’affaires des entreprises.
Masse salariale
Le cas de l’Onicor en est une parfaite illustration. En trois ans de 2019 à 2022, la masse salariale mensuelle de cette entreprise dirigée aujourd’hui par Abdou Miroidi est passée de 20 à 50 millions. Jusqu’en 2018, la masse salariale de la Société comorienne des ports (ex Apc), avait lui atteint 80% du chiffre d’affaires. Il représentait 60% pour Comai’r et contre 50% à l’Ampsi. Maamoune Chakira, directeur de l’Adc (ancien Ampsi) reconnaissait sans détour que son personnel dépassait le besoin réel de l’entreprise.
Un autre facteur soulevé par les auditeurs dirigés par Jean Luc Helis : “les dividendes engrangés par l’Etat”, en sa qualité d’actionnaire principal. Selon le rapport, les entreprises publiques versent presque 90% de leurs dividendes du résultat net à l’Etat, qui, en plus de ça, récupère directement des taxes affectées, privant ainsi aux sociétés de leurs ressources. A l’heure où les faiblesses des entreprises publiques se révèlent au grand jour, n’est-il pas temps pour les autorités de retourner consulter et appliquer les recommandations du rapport du Fmi publié depuis février 2020 ?