Les jeunes générations méconnaissent ou ne connaissent pas du tout la grève des lycéens de mars 1968. Lors du colloque du 29 juin des Mawadja (Mashudjayi wa Djana) qui s’est tenu à Mitsamihuli, une intervention sur cet événement majeur a été effectuée notamment par le Dr Mbae Toyb. Ceci alors que le pays s’apprêtait à célébrer le cinquantenaire de l’Indépendance.La grève de mars 1968 a lieu alors que les Comores sont régies par le statut de l’autonomie interne. C’aurait peut-être pu être une année comme une autre. Sauf qu’un accident tragique, un crash d’avion en l’occurrence et le propos mensonger et insultant d’un journaliste de l’Ortf (Office de la Radio et Télévision Française) viennent précipiter le cours des événements.
Dix élèves identifiés
Mbae Toyb alors jeune lycéen se trouve cette année-là au Lycée Said Mohamed Cheick. Lors de son intervention à Mitsamihuli, il explique que l’établissement devait contribuer à la formation de prochains cadres coloniaux. Très élitiste, seuls les meilleurs élèves de l’archipel y poursuivent leurs études. S’y trouvaient également des Réunionnais, Français, des Indiens et des Pondichériens. Le lycée compte moins de 100 élèves, 90 pour être précise. L’ambiance y est studieuse. Des activités ludiques sont prévues dans le programme. Musique, sport, photo, cinéma.Et puis survient le crash ce samedi 27 janvier 1968. L’appareil appartenant à Air Comores revient de Dar- Es-Salaam, la capitale de la Tanzanie fait un accident alors qu’il tentait d’atterrir à l’ancien aéroport d’Itsambuni, qui se trouve non loin du lycée Said Mohamed Cheick. « Lors du journal de l’Ortf, André Sabas, rédacteur en chef en rapportant les faits annonce que les Comoriens présents sur les lieux de l’accident ont commis des actes de pillage pendant que les Français faisaient le sauvetage des victimes », se remémore Mbae Toyb.
Le lundi qui suit, donc le 29 janvier, les lycéens comoriens manifestent leur indignation. « Ces derniers assiègent le bâtiment du Haut-Commissariat de la République française, identifié comme étant le siège du pouvoir colonial pendant environ une demi-heure », relate l’exposant. En représailles, 10 élèves identifiés comme meneurs sont expulsés du lycée. « En réponse, la grève des cours est décidée par solidarité », poursuit-il.Le mouvement s’étend sur plusieurs semaines alors que l’administration décide de fermer le lycée. Le 02 mars se tient une réunion à la salle « Grimaldi », du petit marché de Moroni. « Face aux pressions familiales et des autorités pour la reprise des cours, les grévistes décident de prendre le maquis et de se mettre à l’abri dans la forêt et les villages éloignés », rembobine le conférencier.
Entre le 6 mars et le 14 mars, les grévistes s’éloignent de la capitale. Ils font une halte à Kuhani dans le Washili et filent droit à Itsinkudi, toujours dans la même région. Ils y passent deux nuits avant de faire cap sur Mbeni le 8 mars. « Il y a une grande réunion publique avec la population de toute la région, en présence de Mohamed Maaloumi, chef du village et Fundi Cheik Ahamada Mfoihaya, grand savant lettré, spécialiste de l’exégèse du coran », explique-t-il.L’exposition de Mbae Toyb est enrichie par des photos de l’époque. On y reconnait des hommes qui ont fait par la suite partie du paysage médiatique. Mohamed Said Abdallah Mchangama, Ali Toihir Keke, Mohamed Soidik, El-Macelie, Aboubacar Mchangama sans oublier le conférencier.Cependant, le mercredi 13 mars, les autorités coloniales décident de l’ouverture du lycée Said Mohamed Cheick pour les élèves non-grévistes.
Des renforts
La nouvelle parvient au maquisard. « Le comité de grève décide de quitter Mbéni pour Moroni dans le but de refermer le lycée. C’est la grande marche du retour », indiquet-il.Le comité arrive à Moroni à la nuit tombée. Le lendemain à 11 heures, la cloche sonne. C’est le signal de l’attaque. « Des affrontements violents ont lieu entre lycéens dans les classes, les couloirs. Intervention des forces de l’ordre. Il eut des interpellations et des arrestations. Tous les grévistes sont capturés et placés en rétention dans les salles de classe et 16 d’entre eux seront accusés d’atteinte à la sécurité de l’Etat, rébellion contre la France puis emprisonnés à la prison centrale de Moroni », fait-il savoir.Toujours selon lui, le pouvoir fait venir des renforts, notamment l’arrivée d’un régiment de parachutistes en provenance de l’île de la Réunion.« Le 22 mars, soulèvement de la population de Moroni à l’appel du grand Cadi Said Mohamed pour protester contre les mauvais traitements faits aux grévistes et demander leur libération », dit Mbae Toyb. « L’armée française qui défendait l’entrée du lycée a fait preuve de retenue ce jour-là et n’a pas fait usage des armes à feu pour disperser la population », reconnait l’exposant.
Le lendemain, la quasi-totalité des prisonniers sont libérés à part les 16 élèves considérés comme les meneurs. « Ils seront libérés après un procès colonial au cours duquel ils seront accusés d’atteinte à la sûreté de l’Etat, rébellion contre la France, contact avec le Mouvement de Libération des Comores (Molinaco), une organisation alors interdite et tentatives de soulèvement de la population contre la France », relate-t-il.Les cours reprennent au Lycée Said Mohamed Cheick le 25 mars. Seuls deux élèves manquent à l’appel. Il s’agit de Mohamed Said Abdallah Mchangama et Ali Toihir Mohamed.