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Hausse des viols, des violences et des meurtres I Trois sociologues livrent leurs points de vue sur ces phénomènes alarmants

Hausse des viols, des violences et des meurtres I Trois sociologues livrent leurs points de vue sur ces phénomènes alarmants

Société | -   Abdallah Mzembaba

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Les meurtres d’Asmaïda, Echat et Hikima révèlent une spirale de violence alarmante. Trois sociologues analysent les racines profondes du phénomène et appellent à une mobilisation collective pour protéger la jeunesse.


Asmaïda Mourdane, 15 ans, a été retrouvée morte le 16 février sur une plage de Damou, entre Ouallah 1 et Mirereni. Cette lycéenne empruntait quotidiennement des raccourcis pour se rendre à l’école. Cette affaire rappelle celle d’Echat, 12 ans, retrouvée mutilée et assassinée dans un réservoir d’eau à Moroni le 16 février 2024, ou encore celle de Hikima, survenue également le 31 janvier dernier. Une violence qui ne cesse de croître, interrogeant sur les dysfonctionnements de notre société. Al-watwan s’est approché de trois sociologues pour recueillir leurs avis.

S’attaquer aux conditions de production de la violence

Pour le sociologue Issa Abdoussalami, la société civile n’est pas bien équipée pour lutter contre ces violences et elle s’enfonce dans le politique. Il mentionne que les manifestations, ateliers et séminaires de sensibilisation «ne produisent rien», et que la seule solution est de s’attaquer aux conditions de production de la violence et de les réprimer. A l’en croire, la violence est un fait social complexe. «On peut avancer l’hypothèse d’un sentiment de réponse, de rejet et d’abandon ressenti par les jeunes. L’absence de contrôle, d’encadrement et de suivi des jeunes par les adultes en est l’une des causes. La jeunesse est en perte de repères, et une éducation ‘à la carte’ s’est imposée dans certaines familles ». Selon lui, la transformation des structures sociales a laissé un vide. «On ne parle plus d’enfance, mais d’enfant. Les normes sociales qui s’appliquaient ont presque disparu et la société ne prend plus en charge l’éducation des nouvelles générations ».


L’expert pointe aussi du doigt les nouvelles pratiques. «Les objets connectés, la banalisation des moyens de transport individuels, la consommation de substances illicites, l’autonomie précoce… Ces éléments contribuent à la dégradation des mœurs. La perte de confiance dans les structures de répression et la normalisation de la violence dans le champ politique accentuent ce phénomène », avance Issa Abdoussalami. Il insiste sur la responsabilité collective. «Les familles, l’école et l’État doivent réagir ensemble pour enrayer cette spirale de violence. Il faut restaurer les valeurs sociales et les instances de régulation communautaire pour encadrer la jeunesse et réduire les actes violents.»


Mistoihi Abdillahi, lui aussi sociologue, critique aussi l’organisation des cérémonies politiques alors que l’argent pourrait être utilisé pour financer des recherches sur la violence. Il ne cache pas ainsi son indignation. «Cette montée des violences me choque en tant qu’humain, mais en tant que sociologue, je ne peux pas être surpris. Avec les conditions de vie actuelles, cela devrait être pire. Si les autorités ne réagissent pas, dans dix ans, nous aurons un crime et un viol chaque minute ». Selon lui, la violence est une conséquence et non une cause. «Si on refuse de traiter la maladie et qu’on s’attaque uniquement aux crises du malade, rien ne changera.»

Il dénonce un laxisme structurel. «Notre société applaudit les voleurs et les corrompus. Le mensonge n’est ni une infraction ni un délit. Le système formalise même certaines violations sur mineurs. Les gouvernements successifs doivent élaborer un programme national axé sur la prévention, pas seulement sur l’incarcération des auteurs ». Mistoihi Abdillahi plaide pour une meilleure implication de la société civile. «Les Ong et les chercheurs doivent travailler ensemble pour produire des données fiables. Il faut une analyse rigoureuse des faits afin de développer des stratégies de prévention efficaces.»

L’urgence d’une approche globale

Pour Msa Ali Djamal, également sociologue, «la tragique affaire d’Asmaïda Mourdane met en lumière des problématiques profondes au sein de la société comorienne. Ce drame s’inscrit dans un contexte de transformation sociale marqué par l’effritement des mécanismes de protection ». Selon lui, ces violences ne peuvent être réduites à des problèmes socio-économiques. À l’en croire, «les crimes surviennent souvent dans un cadre relationnel où l’auteur et la victime se connaissent. Le passage à l’acte est favorisé par la dérégulation sociale et l’affaiblissement des systèmes de contrôle traditionnels ».


Il pointe un paradoxe dans l’approche comorienne. «Malgré le maintien de valeurs traditionnelles censées protéger les femmes, certaines pratiques culturelles accentuent leur vulnérabilité. La culture du silence et la peur du jugement social dissuadent les victimes de porter plainte, renforçant le sentiment d’impunité des agresseurs ».

D’un point de vue institutionnel, il reconnaît une volonté politique. «Le gouvernement du président Azali affiche une volonté de renforcer la sécurité et de sanctionner plus sévèrement ces actes. De nouveaux outils législatifs ont été introduits ». Mais pour lui, ces efforts restent insuffisants. «L’école est un levier idéal pour promouvoir l’égalité, mais ces enjeux ne sont pas prioritaires. Les campagnes de sensibilisation manquent de ressources et peinent à toucher la population».

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