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Ibrahim Ali Mzimba, bâtonnier de l’Ordre des avocats :«La mise en place du tribunal de commerce est salutaire»

Ibrahim Ali Mzimba, bâtonnier de l’Ordre des avocats :«La mise en place du tribunal de commerce est salutaire»

Société | -   Mariata Moussa

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Le bâtonnier revient dans l’interview qui suit sur les réformes menées ayant permis, selon lui, de démocratiser le barreau et ce dans l’esprit d’anticiper la relève. Ibrahim Ali Mzimba se félicite de la dynamique engagée visant à améliorer le cadre organisationnel de l’appareil judiciaire. Il appelle les autorités à penser à la récusation des juges qui seront reconnus coupables de faits répréhensibles et à prévoir des rémunérations aux professionnels des tribunaux de commerce.

 

Me Ibrahim Ali Mzimba, vous êtes le bâtonnier de l’Ordre des avocats et également un homme politique. Depuis que vous avez annoncé votre retrait de la politique, vous vous n’êtes plus exprimé sur un sujet ou un autre, pourquoi ce silence ?


J’estime que je me suis suffisamment exprimé lors de l’élection présidentielle. Pour moi, après ces élections de mars 2019, l’action politique est suspendue. Aujourd’hui, je me consacre à ma profession d’avocat et à m’occuper de mes clients, des personnes physiques et morales qui ont besoin des prestations de mon cabinet. Après ces élections, je me suis surtout investi à préparer ma succession au barreau de Moroni.

Justement, en parlant du barreau, vous venez de dire que vous êtes en train de préparer votre successeur. Pourquoi ne seriez vous pas candidat en avril prochain ?


Je ne serai pas candidat à ma propre succession pour la raison simple que je constate que la nouvelle génération a autant de talent et de savoir-faire comme nous, sinon plus. Je serais fier et heureux de voir un jeune avocat me succéder dans la fonction de bâtonnier de l’Ordre des avocats.

Est-ce que ce choix de ne pas vous porter candidat, n’est pas motivé par le fait que certains de vos confrères, vous reproche de laxisme et d’avoir ouvert la profession à des personnes qui ne le méritent pas et cela en violation avec la loi. Est-ce que ces reproches sont-ils justifiés ?


….Il n’y a aucun laxisme. Il faut retenir deux choses pour comprendre pourquoi le Conseil de l’Ordre essaie de démocratiser le barreau. Jusqu’à une date récente, le barreau de Moroni ne comptait que quatre à cinq avocats depuis l’indépendance ce qui était très préjudiciable pour tout le monde.  Il était très difficile pour un Comorien, d’accéder à la profession d’avocat. Aujourd’hui, nous avons instauré tout un système pour permettre aux jeunes juristes de ce pays d’accéder à la profession, qui était toujours réservé à une élite souvent pour de raisons économiques puisque pour devenir avocat, il fallait nécessairement faire les études en France. Vous savez dans beaucoup de pays, il existe plusieurs voies pour devenir avocat, une manière de démocratiser la fonction et la rendre vivante et dynamique.
Aujourd’hui, j’ai demandé au Conseil de l’Ordre de donner la chance aux jeunes juristes comoriens d’accéder à la profession car dans le pays, il s’installe un lobby qui ne voit pas de bon œil de donner la chance à une nouvelle génération. Comment pouvons-nous fermer l’accès à la profession à des jeunes et à des personnes qui ont la formation adéquate et l’excellence en termes de compétences ? C’est la raison pour laquelle je salue l’initiative de mon prédécesseur le bâtonnier, Me Harmia Ahmed, qui a eu le courage d’ouvrir le barreau à de compétences nouvelles.
L’architecture juridique du pays s’élargit davantage avec l’installation des tribunaux de commerce sur tout le territoire de l’archipel, qu’en pensez-vous de cette juridiction ?
La mise en place de ce tribunal entre dans le cadre effectif de l’organisation judiciaire du pays et complète l’ordonnancement juridique. Le manque de cette juridiction constituait un handicap majeur pour le justiciable comorien. Au passage, je salue l’initiative du gouvernement d’avoir bien voulu donner corps à ce tribunal. C’est une très bonne chose, cependant, il y existe tout de même des insuffisances majeures.

Quelles sont-elles ces insuffisances ?


Le premier point se porte sur la récusation. En cas de récusation d’un juge supposé malveillant par l’une des parties, il n’y a pas de possibilité que de se soumettre en cas de refus du tribunal de recevoir la récusation d’une partie au procès, pratique dangereuse. Je demande au ministre de la Justice d’introduire rapidement un texte rectificatif pour permettre au citoyen lésé par un juge indélicat d’avoir la possibilité de le récuser. L’autre insuffisance du texte, c’est de n’avoir pas prévu une indemnité au profit du juge consulaire. Comment voulez vous qu’un juge puisse trancher raisonnablement un litige financier ou commercial qui implique plusieurs sommes d’argent sans en être payé ?


Le danger de l’absence de rémunération expose les juges à la tentation et à la corruption. Là encore, il faut un dispositif législatif ou réglementaire qui accorde une rémunération conséquente au juge du tribunal de commerce pour une meilleure administration de la justice. La troisième insuffisance est relative à la transition entre le tribunal d’instance qui en a la charge du contentieux commercial jusqu’à maintenant et le nouveau tribunal de commerce. Cette transition n’est pas suffisamment cadrée. En effet, il aurait fallu que dès la mise en place de du tribunal de commerce, le tribunal d’instance soit immédiatement dessaisi de tout dossier de nature commerciale conforment à l’article 37 de la loi. Or nous constatons qu’il y a toujours chevauchement entre le tribunal d’instance et le nouveau tribunal de commerce, tout cela fait désordre.

Il se pose aussi un problème au niveau de la chambre commerciale….

C’est un autre point qui me parait essentiel. Nous constatons malheureusement qu’au jour d’aujourd’hui, il n’existe pas une chambre commerciale auprès de chaque Cour d’Appel. Vous constaterez avec moi que «l’ancien juge consulaire» prévu par la loi pour compléter la composition de cette chambre commerciale (deux magistrats professionnels et un ancien juge consulaire), son absence va rendre difficile le fonctionnement de la chambre commerciale. En définitive, l’initiative de mettre en place un tribunal de commerce est une idée formidable pour l’économie de l’archipel, mais qu’il est nécessaire de prendre les dispositions nécessaires pour rendre cette loi opérationnelle.

Propos recueillis par
Mariata Moussa

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