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Infanticide : Fait-divers ou fait commun comorien?

Infanticide : Fait-divers ou fait commun comorien?

Société | -

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Quand j’étais petite, on me racontait l’histoire de ces jeunes filles qui avaient fauté et qui, se retrouvant enceinte, avaient dû jeter le fruit de leurs entrailles au nyumani (latrines) après l’accouchement. L’histoire sordide ne s’arrêtait pas là, on me racontait aussi comment les femmes – celles abritant une grossesse non désirée ou matrones avec un honneur familial à protéger – infligeaient la mort au tout-juste né. «Il paraît, me chuchotait-on, que si tu étouffes le nourrisson avant qu’il ait émis son premier cri, tu ne l’as pas vraiment tué, car il n’est pas vraiment né».

 

Nul besoin d’inspecter les nyuma de nos îles pour savoir que l’infanticide est une réalité. Ce qui est relaté dans les colonnes de nos journaux l’apparente à un fait-divers. Fait-divers ? Vraiment ? Comme l’illustre le dernier cas documenté, un corps de bébé retrouvé abandonné à Rivegauche à Moroni, l’infanticide est une triste réalité.

La réalité d’un pays où l’avortement est illégal, selon les dispositions de l’article 147 du code de la santé publique, pendant que les violences sexuelles envers les femmes et notamment mineures sont monnaies courantes, c’est une récurrence de ce crime. Crime présumé, car aucune autopsie ne sera pratiquée, on ne saura donc jamais les conditions qui ont mené au drame.

Certains s’interrogent sur les motivations qui poussent un parent à tuer sa progéniture.  Le phénomène est marginal dans les pays où les femmes ont la possibilité de choisir leur partenaire, leur contraception de routine, une contraception d’urgence, une interruption volontaire de grossesse (Ivg) et la possibilité d’accoucher sous X voire plus tard de renoncer aux droits parentaux. On peut effectivement parler de fait-divers dans leur cas, le système offrant une pléthore d’alternatives à l’issue macabre. À l’inverse, peut-on s’étonner qu’une partie des Comoriennes qui n’ont accès à aucune de ces options, en viennent à commettre le pire ?


Responsabilité partagée

La responsabilité est partagée entre le parent infanticide, l’État comorien et la société dont il protège les tabous. Un État qui se contente de sévir quand il est déjà trop tard, une société qui se contente de blâmer la mère infanticide alors qu’elle a créé les conditions du massacre. Si certaines sont prêtes à se tuer pour ne pas mener une grossesse à terme, combien seraient prêtes à tuer leur enfant ? Si l’on refuse de donner aux concernées le contrôle de leur utérus, il ne faut pas s’étonner que parmi elles, certaines exercent cette prérogative, par tous les moyens, y compris les plus violents.

Conséquences sanitaires

Est-il normal que plus jeune, j’ai vu des collégiennes, le ventre piégé, réduites à rechercher des recettes de cocktails toxiques pour s’avorter elles-mêmes ? Prêtes à tout sauf à accoucher d’un bébé hors-mariage ou issu d’un viol ? Et ces filles-là, prêtes à envisager de telles extrémités fréquentaient les écoles privées moroniennes !

Qu’en est-il des autres? Les démunis survivant dans la misère? Parce que si dans certains lieux, l’eau, l’électricité, le système de santé ne fonctionnent pas, l’appareil génital masculin lui ne chôme pas et avec, une avalanche de conséquences sanitaires. En privant les citoyens de lois et d’infrastructures permettant de maîtriser sexualité et naissances sur tout le territoire, l’État comorien fait de l’infanticide, un moyen pour certains désespérés de régler eux-mêmes le problème posé par une grossesse non-désirée.

Des solutions existent : légaliser l’avortement, généraliser l’accès à la contraception. Notre législation et les structures actuelles sont dignes d’un pays de moines abstinents ! Sommes-nous un pays d’anges qui n’a nul besoin d’accéder à des préservatifs ? Non, mais ceux qui pourraient changer cela ne s’en préoccupent pas car ils ne se sentent pas concernés.

En cas de grossesse non-désirée, un médecin à Moroni leur règle le problème rapidement ou ils vont avorter à l’étranger discrètement. Faciliter l’accès à la contraception et à l’Ivg est pourtant une mesure de bon sens. Pour les femmes privilégiées des grandes villes, comme pour les femmes désemparées dont le fruit défendu finit au nyumani.


Biheri

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