Le temps n’est-il pas venu de changer de discours ?
Je ne suis jamais allé à Mayotte. Car je ne me vois pas prendre un visa pour me rendre dans mon propre pays. Autant y aller en kwasa, plutôt que de prendre ce visa. Mais je pense que continuer à dire Maore io yatru (Mayotte est comorienne) ne suffit plus. Cela fait des années qu’on continue à reprendre la même litanie. Je pense qu’il faut des actions de part et d’autre.
Pendant que l’Etat continue de se rendre aux Nations Unies, le citoyen ne cesse de mourir en mer. Il nous faut changer de discours. L’Etat peut et doit continuer à plaider à l’assemblée générale des Nations Unies, mais les citoyens doivent aussi prendre conscience et agir. Tout le monde doit aider à trouver une solution. On nous parle de « clandestin »… Mais par rapport à quoi ? Un Comorien peut-il être « clandestin » à Mayotte ? Pourquoi ne voit-on pas des Comoriens se faire refouler en France pour « clandestinité », tous les jours, mais à Mayotte, chez eux ? On nous parle aussi des « passeurs ». Mais que fait le Maria Galanta, dans l’autre sens ? Ce n’est pas un passeur, peut-être ? Il y’a des questions profondes sur lesquelles il faut nous pencher, aujourd’hui. Il faut un autre discours et c’est la raison pour laquelle nous pensons que nous devons faire l’effort de connaitre la réalité de ce qui ce passe dans cette mer. Combien de morts depuis 1995 ? C’est une tragédie. Cette jeunesse qui part, c’est notre richesse.
On sait que la question du Visa Balladur vous tient à cœur. Mais qu’est devenu votre projet justement de vous rendre à Mayotte en kwasa ?
La population n’a tout simplement pas compris. Cela serait insignifiant que je prenne un kwasa pour Mayotte tout seul. Il faut une grande mobilisation. Il faudrait peut-être que les Comoriens prennent des kwasa par milliers que la France comprenne ce qui nous arrive. J’ai d’ores et déjà acheté le mien. Mais il faut que tout le monde se mobilise le jour du départ. Du président au gouverneur, du maire au chef du village, en passant au citoyen lambda. On verra alors si la France nous bombarde avec ses bateaux de guerre ?
Vous-êtes le gouverneur de Ndzuwani, principal point de départ vers ce qui est devenu le plus grand cimetière de l’océan indien. Quelle politique préconisez-vous pour en finir ?
Nous n’avons pas les moyens d’empêcher les Comoriens d’aller et venir en kwasa. Même la France, une puissance mondiale, ne dispose pas de ce moyen. Quelque soient les moyens mis en place, on ne peut pas empêcher les Comoriens d’aller chez eux. Mais nous devons tous être conscients de ce qui nous arrive. Certes, ce n’est pas correct, d’entasser des gens dans une petite embarcation, sans sécurité et sans gilet de sauvetage. Mais c’est tout aussi incorrect d’entasser les gens sur des bateaux comme le Maria Galanta, sans aucun respect de la dignité, ni des normes de sécurité. J’aimerais cependant que ceux qui partent vers Mayotte soient conscients du risque qu’ils prennent et se dotent de moyen de sauvetage. On donne cent à deux cent mille francs pour une place en kwasa, mais on n’est pas capable de donner sept mille cinq cent francs pour s’acheter un gilet de sauvetage ? Si on se dotait d’un peu plus de moyen, les morts en mer seraient peut-être moins nombreux.
Après cette première stèle aux Comores, érigée par les enfants du club Soirhane en mémoire des milliers de victimes du Visa Balladur, est née l’idée d’un d’observatoire national. Qu’en dites-vous ?
Le projet est à la fois intéressant et ambitieux. Le réaliser est un défi qu’il nous faut relever. Je pense que tous les Comoriens doivent y contribuer. Car c’est vrai qu’il est absurde d’entendre tous les jours parler de "plus de 20.000 mille morts", sans parvenir à donner un nombre exact des disparus. Cela fait plusieurs années qu’on brandit les mêmes chiffres. Nous envisageons la possibilité d’une enquête sur cette tragédie. Lors des élections, nous nous montrons capables de recenser notre population. Pourquoi ne pas essayer de recenser ces victimes du visa Balladur ? Ils ont au moins droit à un certificat de décès, en bonne et dure forme. Il est de notre devoir de réaliser ce travail. Ce projet d’observatoire doit impliquer tout le monde, et surtout les maires et les préfets. Ils doivent être capables d’enregistrer leurs enfants décédés au village comme ceux qui périssent en mer.
Mahdawi Ben Ali