Cela fait 14 mois que vous avez rejoint la communication du président de la République, êtes-vous satisfait de votre bilan ?
Evidemment, sinon j’aurais mis fin à mes fonctions. Dès les premiers jours de ma prise de fonction, je me suis attelé à établir un état des lieux de l’exercice de la communication de la présidence de l’Union pour mieux comprendre la réflexion globale menée jusqu’ici, la stratégie spécifique retenue, les actes coordonnés et engagés, les outils de communication modernes utilisés et les canaux traditionnels exploités. Je vous rappelle que la situation du pays et de ses institutions étaient presque au rouge : des élections contestées par la classe politique, des conflits ouverts et profonds qui ont abouti à des actes de rupture, un écroulement de la majorité présidentielle et une rupture du dialogue politique. Le défi consistait à sortir de l’isolement par une communication massive, ciblée, et responsable. Nous avons évité la polémique et privilégié l’information institutionnelle. Le président a pris par la suite des mesures d’apaisements politiques qui ont abouti à des grâces présidentielles.
Mais au même moment, l’idée de la tenue de la conférence des bailleurs a été lancée par le président. Sa vision pour le développement du pays est de faire de l’Union des Comores un pays émergent d’ici 2030, respectueux des droits de l’Homme, de l’égalité de genre et promouvant l’Etat de droit.
Quel a été votre apport à ce niveau- là ?
C’était une aubaine. J’ai trouvé à Beit-salam une équipe performante et expérimentée. Il fallait élaborer en un temps record une stratégie de communication pour mobiliser les ressources nécessaires à la mise en œuvre du plan Comores émergentes (Pce) 2030 et à l’atteinte des Objectifs de développement durable.
La stratégie de communication mise en place par la coordination a permis d’informer un large public à l’échelle mondiale sur la tenue de la Conférence des partenaires au développement des Comores, attirer des investisseurs potentiels à s’intéresser aux Comores et à participer à la Cpad, disséminer les échos de la tenue de la Cpad, mobiliser la population comorienne pour s’approprier ce rendez-vous et adhérer à la vision affichée. La diplomatie a été d’un grand concours pour la réussite de cette conférence.
Je ne reviendrai pas sur les détails des actions programmées, mais sur les résultats. Une trentaine de partenaires bilatéraux ont répondu à l’appel du président ; 25 institutions internationales et régionales, 115 entreprises étrangères, 30 responsables du secteur privé comorien, et 25 correspondants de la presse et télévisions, nationales et étrangères, et un total de participations institutionnelles de l’ordre de 221 délégués ont pris d’assaut le siège de la Banque mondiale à Paris. Les Comoriens dans leur ensemble ont suivi en direct sur Ortc les deux jours qu’ont duré la conférence. Il n’était plus possible de mentir sur la conférence. Surtout que nous sommes parvenus à obtenir les financements escomptés pour l’organisation de ce grand événement.
Puis est venue la Covid-19. Tout a été bouleversé. Il faut sans doute noter que malgré les dérives et les mensonges, le résultat est là. Une prise en charge totale de l’Etat, un protocole de traitement qui a permis la guérison de la quasi-totalité des malades quand d’autres pays sur le continent en comptent plusieurs centaines ; nous déplorons à ce jour 7 morts des suites, pour lesquels nous continuons de prier. L’inspiration du chef de l’Etat dans la prise rapide des mesures urgentes, de barrières et de distanciation, la mobilisation et la sensibilisation ont permis au pays de stopper la propagation de la maladie. La levée des mesures et la reprise de certaines activités suspendues s’accompagnent de mesures drastiques de protection. La vigilance n’est pas relâchée, elle est au contraire renforcée.
Parmi les raisons qui vous auraient poussé à rejoindre l’équipe de communication du chef de l’État, figurerait le classement 2019 de Reporters sans frontières dans lequel le pays a enregistré une dégringolade. Les choses ne semblent pas s’être améliorées puisque cette année nous avons perdu 19 points, ce qui constitue la deuxième plus grosse chute après Haïti.
La liberté de la presse n’est jamais offerte sur un plateau d’argent et n’est pas le fait du prince. Quand j’étais directeur général d’Al-watwan, les Comores étaient 40è dans le classement mondial, 5è en Afrique et 1er dans la zone de l’Océan Indien. J’avais alors ouvert les colonnes du journal d’Etat avec le soutien éclairé de Faïza Soulé Youssouf, alors rédactrice en chef, à des jeunes talentueux comme Mohamed Rafsandjani et Biheri Said Soilihi, ce qui a permis un débat fécond sur l’avenir institutionnel, les grands enjeux du monde et les questions sociétales. Par le biais de notre magazine, nous avons mené des enquêtes sur la gestion chaotique du budget de l’Etat, l’opacité des marchés publics, les détournements des fonds de la citoyenneté économique et la vente des passeports à des personnes sulfureuses, etc.
Les journalistes rivalisaient d’imagination et d’audace. Relisez-vous maintenant. Quelle liberté voulez-vous si vous vous contentez de couvrir les comptes rendus du conseil des ministres et les ateliers. La peur du licenciement et de la prison ? J’ai personnellement été licencié sous Djohar, en raison de l’enquête sur les ordures hospitalières d’Allemagne censés être déversées aux Comores, suspendu après l’enquête sur la vente de la compagnie Air Comores à Ashley, licencié deux fois pendant 24 mois après un article sur les tortures et viols à Ndzuani sous le Colonel Abeid. Nous avons vu nos magazines retirés des kiosques pour avoir dénoncé la gabegie, j’ai été interdit d’écriture pour avoir dénoncé la prolongation illégale d’un mandat présidentiel, démissionné de mon poste de rédacteur en chef, puis nommé et licencié, en raison de la diffusion des résultats du troisième tour à Ndzuani, puis nommé et licencié avant la nouvelle réforme constitutionnelle. C’est dans le combat et en prenant des risques et non dans le silence, le repli et la peur que nous pouvons préserver nos libertés. C’est aussi ici et maintenant que se mènent les vrais combats, mais pas à Genève ou au Quai d’Orsay. Ce temps là est révolu. Surtout au moment ou l’intellectuel africain se bat pour l’indépendance politique, économique et monétaire du continent. C’est pour cette raison qu’on doit beaucoup d’égards et de respect envers les personnalités de l’opposition qui se battent sur place et refusent d’emprunter la voie humiliante des kwasa. La constitution accorde une place importante et un rôle majeur à l’opposition. Du côté de la majorité, le discours d’exclusion doit absolument cesser tout comme les dénonciations malveillantes.
Vous avez été pendant longtemps aux avant-postes de la défense de liberté de presse. Vous êtes aux côtés du président depuis un certain temps et les arrestations de journalistes continuent. Ne considériez-vous pas cela comme un échec de votre part ?
Parlons des faits. Quand j’ai pris mes fonctions, Abdallah Agoi et Oubeidillah Mchangama étaient en prison, les journalistes Toufe Maecha (de La Gazette des Comores) et Anziza M’Changama (correspondante de Radio France Internationale) à l’étranger, craignant pour leur intégrité physique. Les deux journalistes en prison ont été libérés après ma prise de fonction. Ils savent comment et pourquoi. Une fois à Paris dans le dernier trimestre 2019 dans le cadre des préparatifs de la Conférence des partenaires, j’en ai profité pour discuter avec les plus hauts responsables de Radio France internationale et négocié le retour de Anziza Mchangama, avec l’aval du président de la République. J’ai pris contact avec Toufé qui se trouvait à l’époque à Paris, et lui ai assuré de tout mon soutien et de sa protection après sa mésaventure à la gendarmerie (en avril 2019 peu après la présidentielle, ndlr). J’estimais que les journalistes les plus courageux comme Toufé ne peuvent fuir le pays et espérer ici des avancées en matière de liberté. Ils sont tous à Moroni et exercent. Fort heureusement. Pour votre gouverne, à chaque fois qu’un journaliste est touché, je suis parmi les premiers à réagir, dès l’instant que mes amis me mettent au courant. Il n’y a aucun journaliste en prison aux Comores. La liberté ne sera jamais acquise une fois pour toute. Il ne faut pas se leurrer. La liberté est le fruit de notre engagement collectif au quotidien, de notre solidarité et de notre détermination.
Vous aviez déclaré vouloir organiser des «états généraux de la presse» en juillet, puis septembre 2019. Ce rendez-vous est-il toujours d’actualité ?
Dès les premiers mois, j’ai élaboré et remis au président de la République, Azali Assoumani, la note conceptuelle des Etats généraux de la presse. Dans son discours d’investiture le 26 mai 2019, il a déclaré que ‘la liberté de la presse et la qualité de la production comme l’un des vecteurs d’une bonne santé démocratique’. Il invite je cite «les professionnels à tenir dans les plus brefs délais des Etats-généraux de la presse écrite et audiovisuelle pour élaborer un diagnostic serré et dégager des pistes et des recommandations pour sortir du long tunnel de la crise financière et enrayer la pauvreté éditoriale.» Je l’ai pris au mot et engagé une longue bataille, impliquant tout le monde dans ce processus. Au stade où nous en sommes, le président a rencontré Action Médias Francophone et l’a invitée à s’impliquer pour aider à l’élaboration des documents qui seront soumis à ces assises et réfléchir déjà sur les programmes de formation et l’ouverture d’un centre. Le Cnpa qui fait déjà un travail admirable est aussi mobilisé pour cet objectif. Nous avons réuni le premier comité scientifique, mais la Covid-19 a retardé le lancement des travaux préliminaires. Après l’ouverture des frontières, nous allons relancer la machine et le président nommera par décret ce comité.
La presse, notamment privée fait face à de graves difficultés financières. Il était question de subventions gouvernementales pour l’aider à tenir le coup. Où en est le projet ?
Les subventions gouvernementales prennent plusieurs formes. Directes, elles peuvent être sources de corruption, de chantages et de grandes dérives éditoriales. Sous formes indirectes, comme l’obligation d’abonnement des administrations, la mise en place d’une imprimerie commune de la presse pour baisser les coûts de production, l’appui de l’Etat pour la formation continue des journalistes, sont tout autant de pistes à explorer. Aux USA toute subvention est interdite parce que jugée suspecte. En Grande-Bretagne, c’est l’inverse, ce sont les subventions privées qui sont accusées d’influer au final sur les lignes éditoriales et profiter aux seuls groupes financiers et autres holdings. Je pense que l’organisation de la profession et les textes sur la protection de l’intégrité des journalistes et la liberté de la presse, peuvent protéger la profession. Si la presse ose, diversifie ses articles, enrichit sa production intellectuelle, elle survivra à la crise.
En plus du site de Beit Salam qui est de nouveau fonctionnel, quels sont les outils de communication novateurs que vous utilisez pour promouvoir la communication du chef de l’Etat ?
Le site de la présidence a été relooké en même temps que celui de la conférence des partenaires. Tous les événements de Beit Salam et du président de la République y sont instantanément diffusés sous formes de dépêches et de productions audiovisuelles. Le site de la conférence a été aussi créé. Il sera par contre administré par le secrétariat exécutif qui se charge du suivi de la conférence des partenaires. J’espère que nos pages Facebook, Instagram, et nos comptes Youtube, Tweeter, du président sont connus d’Al-watwan, car des échanges entre les chefs de l’Etat se font à ce niveau- là. Le site de Beit-salam est techniquement administré par Kinu Ink.
La gouvernance d’Azali est toujours verticale alors que vous prôniez une politique horizontale dans le sens où il y aurait le choix de communiquer les politiques définies.
Au contraire. Le président ne s’enferme pas dans une tour d’ivoire. Il est en contact permanent avec le peuple. Rien que ce dernier mois, il a visité sur le terrain, les femmes agricultrices de Ndzuani, le centre photovoltaïque, les agricultrices de riz et oignons de Mwali, les jeunes de Itsamia qui sont à la pointe de la défense de l’environnement et notamment de la protection de la tortue marine. Il a rencontré et discuté avec une trentaine des chefs d’entreprises du secteur privé à Ndzuani et relancé à Moroni le dialogue public-privé. Il a visité les grands chantiers dont celui de Moroni-Fumbuni. Le président est présent. Il implique la population pour s’approprier les projets qui les concernent. Il tente d’impliquer les acteurs économiques dans le processus de prise de décision. Ce samedi, il a inauguré le projet Facilité Emploi des jeunes en milieu rural. Quant à l’opposition, le président a tendu plusieurs fois la main pour engager le dialogue. La gestion de l’Etat ne peut être à la merci d’un groupe sectaire. Toutes les options sont sur la table, à condition que les règles démocratiques et la loi soient respectées. Nous travaillons chaque jour à notre niveau pour l’apaisement politique. L’idéal est d’éteindre tous les foyers de tensions. Le pays regorge également de leaders d’opinion entreprenants qui font l’honneur de ce pays et qu’il faut écouter et protéger à l’exemple d’Idriss Mohamed, Fahmi Said Ibrahim et de Mohamed Said Abdallah Mchangama, etc…
Vous avez été pendant longtemps Grand reporter, rédacteur en chef puis directeur de la publication à Al-watwan. Quel œil portez-vous deux ans après sur cet organe et sur la presse de manière générale.
Je regrette très profondément la disparition d’un titre prestigieux comme l’Archipel ou l’échec de l’expérience du journal Masiwa. J’espère que les Etats généraux permettront d’apporter la lumière et donner des réponses. Je connais les difficultés d’être journaliste aux Comores. J’ai une admiration sans limites pour des hommes et femmes de presse comme Aboubacar Mchangama (directeur de publication de l’Archipel et correspondant de l’Agence France Presse) Elhad Said Omar ( directeur de publication de La Gazette des Comores) Ali Moindjié et Kamal-Eddine Saindou, (conseillers au Conseil national de la presse et de l’audivisuel), Sardou Moussa (journaliste à Al-watwan) Kamardine Soulé ( ancien journaliste d’investigation d’Al-watwan), Hassani Madjuwani ( ancien directeur et actuel grand reporter d’Al-watwan), Moinadjoumoi Papa Ali, entre autres.
Très sincèrement, je n’ai pas de leçons à donner à travers cette interview. Les hommes et les femmes de la presse, je les rencontre presque tous les jours. C’est dans ce cadre intime que nous échangeons nos expériences. Mon inquiétude réside ailleurs. Le secteur de la presse, a subi de plein fouet la crise sanitaire, qui a ralenti l’activité et impacté la production. Les chiffres d’affaires ont chuté d’une façon vertigineuse. Le président a dû à plusieurs reprises apporter son appui pour soutenir l’imprimerie en raison des retards de paiements des journaux. L’Etat doit devoir encore mettre la main à la poche pour soutenir la presse, indépendante tout particulièrement. En attendant les Etats généraux, parce que sa survie est l’unique preuve de la vitalité démocratique.